Reste qu’ils n’en ont aucunement reçu l’autorisation, convaincre l’équipage de l’accueillir à bord ne va donc pas être une mince affaire.
Associés dans leur coupable activité, les deux matelots cachent provisoirement leur passagère clandestine, pas très difficile d'ailleurs car l’un des matelots est responsable de la coopérative du bord, une aubaine que ce local pour planquer l’animal.
La nouvelle mascotte est immédiatement baptisée Zazie en référence à la chienne du film "Zazie dans le métro".
Une chose est sûre, et ils feront tout pour cela, pas question de la débarquer, tant que le navire est à quai, il leur faut user de subterfuges pour tant bien que mal dissimuler Zazie.
Ce faisant, le temps leur parait bien long.
Et puis, un matin, forcément un beau matin, l’ordre d’appareillage est donné.
Vite, au poste de manœuvre ! L'Aviso croisant maintenant au large, la petite chienne peut enfin faire connaissance avec le reste de l’équipage.
Une fois le navire en haute mer, qui oserait jeter Zazie par-dessus bord pour s’en débarrasser ?
"Essaye un peu pour voir !".
Car on sait que l'innommable chose s'est déjà produite sur d'autres navires.
Pour ce qui concerne Zazie, ce n'est heureusement pas le cas.
Tous au contraire l'accueillent et lui souhaitent la bienvenue.
On charge même le quartier-maître armurier du bord de confectionner un uniforme pour la nouvelle petite mascotte.
Voilà comment, en octobre 1964, la petite chienne est officiellement inscrite au rôle de l'équipage en tant que matelot.
Appréciée et choyée par tous, à elle la belle vie, à elle les grands horizons et l'aventure.
Très rapidement, Zazie s’adapte parfaitement à la vie du bord, assiste aux diverses manœuvres du bâtiment, prends ses marques et ses repères. Chaque jour, presque consciencieusement, elle rend une visite de courtoisie aux marins de chaque poste.
En avril 1965, la jeune mascotte est promue au grade de Quartier-Maître.
Comme si elle a compris ce que l'on attend d'elle, elle intègre ses nouvelles fonctions avec un sérieux qui en impose.
Elle veille à la coupée, aboyant à l'envi sur toute personne étrangère au Doudart qui veut pointer le bout de son nez et monter à bord sans montrer patte blanche.
Les 29 et 30 mars 1965, le bâtiment se poste à quai, amarré pour une escale à Wallis.
Nouvelle aubaine pour la jeune mascotte qui profite des permissionnaires pour aller librement gambader en leur compagnie.
Avec les marins certes, mais aussi avec ses congénères avec qui elle sympathise rapidement, c'est qu'elle a fière allure, Zazie !
Le lendemain, sur la place du village, l’équipage du Doudart de Lagrée convie les autochtones à une séance de cinéma, emportés par l’action, tous ont les yeux fixés sur le grand écran, les matelots du Doudart aussi qui en oublient Zazie.
Laissée sans surveillance, la jeune chienne vaque donc à ses occupations, gambadant de conserve avec ses nouveaux amis et se laissant volontiers séduire par le tombeur du coin, ce qui devait arriver arriva.
Emportée par le mouvement, ivre de liberté et insouciante, Zazie connaît le grand frisson.
Mais, comme toutes les bonnes choses ont une fin, il faut repartir.
Quelques heures plus tard, le Doudart appareille, il faut quitter Wallis à regret et faire route vers le Japon pour une dernière escale programmée en mai avant le retour en France.
Le bâtiment met le cap vers Cobé, la traversée est pour le moins agitée ; le Doudart navigue dans la queue d’un cyclone.
Il enfourne et embarque baleine sur baleine.
A bord, Zazie est plutôt mal en point, sur le point de mettre bas elle part se réfugier dans le local du Gyro, elle sait que là elle sera moins secouée, mais comment le sait-elle ?
Le trois mai, en mer, elle met au monde trois magnifiques chiots, l’équipage décide de garder l’un d’eux qu’il baptise Youky.
La croisière se poursuit sans incident majeur jusqu’à Cobé que le bâtiment touche le 21 mai.
Pour stationner au Pays du Soleil Levant, l'escale de l'Aviso sera, une fois de plus, inoubliable, évidemment Zazie est de la partie, mais il n'est hélas de tour du monde qui ne doive s'achever.
Après avoir passé du bon temps, l'heure est venue pour l’équipage du Doudart de faire route vers la France.
Il faudra d'abord au navire traverser le Canal de Panama.
Mais à la Roadman Station, la base navale américaine de transit, on sait parfaitement qu'aucun animal n’est toléré à bord des navires.
Qu'aucun ne doit traverser ledit canal et passer côté Atlantique.
De plus, la progéniture de Zazie n’est pas vaccinée.
A contre cœur, on opte donc pour l'unique solution qui s'impose mais qui avait déjà fait ses preuves.
Une nouvelle fois, Zazie et ses chiots sont cachés dans le bord, planqués dans le local du bosco.
Tous pensent, avec juste raison, que là au moins, personne ne viendrait les chercher.
Rien n'est moins sûr cependant, alors, pour s’en assurer, on organise une garde discrète aux abords du local pic.
L'idée est bonne car l'Aviso Escorteur traverse le canal sans encombre.
Ne reste plus maintenant au navire que de poursuivre sa route vers les eaux territoriales françaises qu'il atteint après trois mois de navigation.
Le sept août 1965, le Doudart de Lagrée passe devant la Citadelle du Port-Louis, la salue comme il se doit et va s’amarrer au quai du Péristyle du port de guerre de Lorient.
On imagine sans peine la fête organisée par l’équipage après deux ans d'absence pour découvrir le monde.
Comme de coutume, Zazie est de la fête et y participe on ne peut plus activement.
L'année suivante, en février 1966, Zazie met au monde une nouvelle portée de sept chiots.
Le premier août, elle est officiellement promue au grade de Quartier-Maître de première classe.
A la fin de cette même année, le fier vaisseau largue les amarres pour une nouvelle campagne.
Le Doudart appareille et fait route vers sa première escale prévue dans l'Archipel des Gambiers.
Fière et altière sur le pont, humant à pleins poumons le vivifiant air marin, Zazie est là qui ne boude pas son bonheur.
A cette époque, la mascotte du bord a encore quatre pattes.
Le cinq novembre 1967, au retour du navire à Diego Suarez, elle est, comme souvent, la première à débarquer aux permissionnaires.
Mais quelle n’est pas la surprise des hommes d’équipages restés à terre de voir leur petite mascotte débarquer sur trois pattes.
Dès lors, les questions fusent, dans quelles circonstances a-t-elle perdue sa patte avant gauche ?
Comment la chose a-t-elle pu se produire ?
Ce sont les matelots du bord qui vont apporter la réponse à cette douloureuse question.
La voici, telle qu'ils nous l'ont confiée, nous sommes à Tahiti Nui.
Tous les matins, cette chienne exceptionnelle a pour habitude de suivre joyeusement le tiers de sport dans ses activités, a Tahiti, elle va souvent courir avec l’équipage autour de Fare-Ute, la base nautique située non loin d'Arue et où stationne le 5ème RMP, Régiment Mixte du Pacifique de la Légion Étrangère.
Un triste matin, la petite mascotte est violemment heurtée par un scooter chevauché par deux jeunes tahitiens, ramenée à bord dans un très mauvais état l’équipage décide dans l’urgence de faire conduire Zazie chez un vétérinaire.
Alors qu’il revient à peine du Bureau Postal Militaire, c’est au vaguemestre du bord que la délicate mission est confiée.
Dans la clinique de l’hippodrome de Pirae, la mascotte est immédiatement prise en charge par le praticien, rassurée, soignée et méticuleusement plâtrée.
Dans l’état où elle se trouve, il est vain d’espérer ramener Zazie à bord, d’une part, elle a un urgent besoin de soins, d’autre part, l’Aviso doit appareiller le lendemain pour une mission météorologique, pas question qu'elle y participe.
Pour comble de malchance, le vétérinaire déclare ne pas pouvoir garder l’animal en observation ce jour là, comment faire alors qu’il est impossible de la ramener à bord ?
Finalement, la décision est prise de placer la petite chienne au domicile du vaguemestre à Paofai sur la route de Faaa, confiée à la propriétaire des lieux, le vétérinaire assure qu’il viendra la chercher.
C’est effectivement ce qu’il fait le lendemain, alors que le Doudart de Lagrée vient d’appareiller pour gagner la haute mer pour quinze jours de mission. Quinze horribles jours à la seule pensée du drame qui venait de se produire.
Nonobstant, les membres d’équipage sont confiants, Zazie, ils le savent, est entre de bonnes mains.
Puis, sa vacation terminée, l’Aviso Escorteur revient à quai à Papeete, sur la route qui le mène au Bureau Postal, le premier geste du vaguemestre on s’en doute, est d’aller prendre des nouvelles de sa jeune protégée.
Justement, elles ne sont pas bonnes, la propriétaire lui déclare en effet que le soir même de son arrivée, Zazie s’était échappée.
Alors qu'il avait fait le déplacement, il avait donc été impossible au vétérinaire de la récupérer comme prévu, déclarée en fuite, Zazie demeure introuvable.
Lorsque tous à bord du Doudart apprennent la nouvelle de la bouche du vaguemestre, c’est la consternation, la longue attente commence alors.
Jour après jour, l’œil en radar pour peut-être l’apercevoir, rien !
Aucun signe qui laisse espérer retrouver Zazie, mais où donc la petite mascotte est-elle allée se cacher ?
Seule sûrement !
Pour y mourir peut-être ?
Interminables, les jours paraissent être des semaines, mais ce que les matelots ignorent encore, c’est qu’au-delà du découragement le plus absolu, la chose tant espérée va pourtant se produire.
Voici comment la chose est arrivée.
Un jour, pour raisons de service dont la narration n'a ici aucune espèce d’importance, deux matelots du bord se rendent à la Direction Centrale de l’Artillerie Navale de Papeete, c’est là qu’ils aperçoivent Zazie dans un piteux état, elle traîne là, abandonnée, le plâtre à moitié arraché, la patte en lambeaux ne tenant plus que par la peau.
L’émotion et l'effet de surprise passés, les matelots ramènent à bord du Doudart la pauvre Zazie.
Fi des conciliabules ! Une fois de plus, c’est au vaguemestre qu’est confiée la difficile mission de conduire la chienne chez le vétérinaire, le diagnostic n’est alors pas bien brillant.
"Cette patte avant droite ne lui servira plus jamais à marcher, certes le processus vital de l’animal n’est pas engagé, mais il faut malheureusement procéder à l’amputation !".
Durant toute l’opération à laquelle il assiste courageusement, le vaguemestre doit finalement sortir.
S’en est décidément trop ; sa résistance à la souffrance de Zazie est cette fois totalement vaincue.
Mais c’est sans compter avec le courage, la résistance, la volonté farouche et la fidèle reconnaissance du chien à l’égard de ses maîtres.
L’opération une fois terminée, bandée, pansée et longuement réconfortée, la jeune mascotte est enfin ramenée à bord.
Toute sa convalescence, la chienne est aux petits soins de l’équipage.
Choyée, elle reprend doucement mais sûrement le dessus et finit par guérir, va-t-elle bien s'adapter ?
De toute façon la pauvre bête n’a pas le choix, contrainte désormais de ne devoir marcher que sur trois pattes.
Courageuse, elle fait l’admiration de tous, elle s’adapte parfaitement au handicap dont elle est atteinte et poursuit vaille que vaille sa vie de mascotte à bord du Doudart de Lagrée.
Étalant incroyablement les mouvements de roulis et de tangage du navire, elle est un exemple et fait, une fois de plus, l’admiration de tous.
Sauvée in extremis, la mascotte du Doudart de Lagrée poursuit sa carrière militaire et vit parfaitement heureuse à bord de son cher navire.
Deux ans plus tard, le Quartier-Maître de première classe Zazie donne des légers signes de faiblesse.
Puis un triste jour de novembre à Lorient, la petite mascotte s’en va, cette fois vers un autre paradis, celui des animaux.
Épilogue.
Jamais aucun membre d’équipage n’oublia ni n'oubliera jamais cette chienne exceptionnelle !
Cette affirmation est d’autant plus vraie que, quarante quatre ans plus tard, Zazie fera se rencontrer deux matelots affectés à bord de l'Aviso Escorteur à des périodes différentes.
Matelots qui, par conséquent, ne se connaissaient pas.
L’un était celui qui, en 1964, à Nouméa, avait amenée la jeune chienne à bord, l’autre celui qui, en novembre 1969, l’avait vue mourir à Lorient.
De mémoire de marin du Doudart de Lagrée, nul ne se souvient que le commissaire du bord ait reçu une quelconque facture émanant de la clinique vétérinaire, impensable de nos jours !
Dans l’histoire de la Marine nationale, Zazie fut parmi les toutes premières mascottes, sinon la première à avoir été élevée au grade de Quartier-maître de première classe.
Skagerrac (avec l'aimable autorisation des principaux acteurs).