Donc quand on passe cette ligne, c’est soit que l’on saute un jour, comme le
Golo, ou soit que l’on redouble si l’on va dans l’autre sens vers l’Amérique.
Alors pour le
Golo et son équipage, le 2 janvier 1952, n’a pas existé.
Ce matin, j’ai pris le zéro à quatre - du 3 janvier donc -.
Il fait très bon, à la passerelle nous gardons malgré tout le bon blouson de mer américain, juste le tricot et la chemise en-dessous
En effet nous avons des chemises américaines et aussi des pantalons jeans comme les équipages américains, les jeans que nous avons découverts également.
Je ne sais pas si c’était une convention avec la marine américaine d’être ainsi vêtu, mais cet uniforme fut de rigueur pendant notre séjour US et puis aussi jusqu’à notre arrivée à Haiphong. Nous gardions seulement le bonnet à pompon rouge qui nous permettait d’être choyé, caressé, câliné, pomponné etc… les petites Américaines savaient aussi que le pompon portait bonheur.
4 janvier, RAS : alizé, exercices habituels, poissons volants, parfois quelques marsouins, coups de soleil.
Nous prenons nos repas sur la plage arrière sur les tables de bois installées par nos deux charpentiers.
5 janvier 1952, voilà notre neuvième jour de mer depuis notre départ de Hawaï.
Le grand trait au crayon Hawai – Guam tracé sur la carte est plus qu’à moitié parcouru et nous n’avons dans ce désert liquide dont on prend connaissance de la dimension et que l’on se rend compte de son immensité, pas rencontré un seul bateau ni aperçu un seul oiseau.
Demain d’après la carte nous devons passer au sud d’une île ; un atoll puis-je lire sur les documents nautiques, il a pour nom Wake.
6 janvier :
A 10 heurs 30, l’atoll Wake est en vue dams le nord-ouest, sur l’avant du travers tribord ; le radar nous le signalait depuis un moment.
Nous sommes bien sur notre route.
C’est que nous avons de bons navigateurs à la passerelle et aussi, il faut le dire, de très bons timoniers (aie mes chevilles !) qui savent bien compter les secondes au chronomètre, quand l’officier de quart fait ses mesures de hauteur des astres.
Cette île est donc un atoll, elle atteint quelques trois à six mètres d’altitude au-dessus de l’océan, d’après les instructions nautiques ; comme tous les autres atolls du Pacifique elle est le sommet d’un volcan sous-marin.
Lu sur internet « L’île Wake est un atoll situé dans le nord de l'océan Pacifique, à deux tiers entre Honolulu et Guam.
Elle fait partie des îles mineures éloignées des États-Unis et elle est sous responsabilité des États-Unis en tant que territoire non-incorporé et non-organisé.
Wake est réclamé par les îles Marshall. »
Voir l'article sur wikipedia.org
Tout naturellement bien que n’étant pas de quart, je suis a la passerelle et je ne quitte pas des yeux cette terre basse.
Mais il faut que j’aille aux rations car je prend à midi.
Aujourd’hui nous fêtons les Rois, alors G. notre QM1 boulanger, assisté du QM1 cuisinier Julien A. matricule 38, et de son matelot, ont fait de la galette.
On s’en régale un brin avant d’aller au quart, les parts étaient belles mais les morfals en voudraient bien une seconde...
En arrivant à la passerelle, Wake est en plein par le travers et nous en sommes à trois milles.
En effet, elle est bien basse et vu la couleur du rivage il semble que ce sont des plages de sables.
Maintenant, connaissant les atolls de Polynésie, nous savons que ce rivage n’est que de la roche corallienne battue par les vagues déferlantes.
Elles est couverte de végétation, peut-être est-ce des cocotiers ?
Les documents nous indiquent qu’il y a là, une base américaine et un terrain d’aviation.
On aperçoit, échoué là, l’épave d’un cargo, peut-être celle d’un liberty-ship de la dernière guerre ?
L’officier de quart m’a demandé de faire gaffe si quelques signaux lumineux ne nous sont pas adressés de la terre ; je crois qu’une liaison a été établie au central radio.
Il n’y a pas eu de morse, c’est dommage, cela nous aurait fait un exercice grandeur nature.
Comme nous qui n’avons rencontré personne, il ne doivent pas voir passer grand monde non plus, eux.
Je vous dirai que pendant 6 mois sur l’atoll Reao, à part nos rares liaisons militaires, j’ai vu passer, de jour, un seul paquebot, et il n’a même pas daigné nous égayer d’un coup de sirène !
Mais nous nous marchons à neuf nœuds, et à deux heures, Wake disparaît derrière la ligne d’horizon ; nous restons avec la mer, le ciel, les nuages.
Ce soir, après les deux quarts de chien, comme dit Jack London, et mangé une part du reste de la galette, le reste que Julien a su partager, je prendrai le quart de 20 à 24.
Le Matelot gabier Jacques Raymond, bien habillé comme nous tous, en marin américain ; seul le bonnet nous différencie.
Jacques, qui était membre de l'association des anciens des LST, est décédé en fin 2008, à Nice où il habitait.
Atoll Wake vu du satellite.
André Pilon