Bill,En mémoire à ton Frère Philippe, qui y est cité, je te soumets ainsi qu'à nos camarades l'allocution prononcée par notre Ami (désormais commun...) Robert BREUIL à l'inauguration de la stèle d'Arrow Head, le 12 décembre 2008 lors du fameux voyage de mémoire de l'ANAFF ONU en Corée:
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Commémoration de la Bataille d'
ARROW HEAD la dernière importante Bataille de Corée...
Allocution de mon ami
Robert BREUIL___________________
EN SOUVENIR DES MORTS ET DES BLESSÉS DE ARROW HEAD
Le 3 octobre 1952, nous nous installions tranquillement sur la position qui est devant nous -au delà de cette ligne de démarcation qui coupe la Corée en deux- car le QG avait obtenu des renseignements qui annonçaient une attaque de plusieurs divisions chinoises sur Arrow Head (Myonjang). Nous étions très fiers d'avoir été chaisis pour arrêter l'attaque qui se préparaiet.
À cette époque, le Bataillon était commandé par le Colonel Borreill et la 2ème Compagnie, où je me trouvais, par le Lieutenant Claude BARRÈS. Le 5 au soir nous reçumes quelques obus de gros calibre qui n'avaient rien à voir avec les coups de mortier auxquels nous étions accoutumés. Nous ne prîmes pourtant pas ce changement de style pour un salut amical de bienvenue. En fait, les Chinois règlaient leurs tirs pour plus tard.
Le six octobre au soir ils confirmèrent leurs vraies intentions et ce fut autre chose. Un orage d'acier tomba sans répit sur nos positions et sur celles de la Division ROK (Republic of Korea - ndlr) qui était à notre droite. Nous apprenions par le Q.G. qui comptait les coups que nous étions placés sous le plus violent bombardement de toute la Guerre de Corée. Un général du Q.G., dont j'ai oublié le nom, devait dire qu'il était impossible à une unité de tenir sous un tel déluge de feu. À l'extérieur, par une nuit silencieuse et sans lune, nous aurions peut-être pensé la même chose mais nous n'étions pas à l'extérieur ainsi l'idée de ne pas pouvoir tenir ne nous vînt pas.
Les canons de gros calibre étaient accompagnés d' "orgues de Staline" ainsi nommés par les Allemands pendant la 2ème Guerre mondiale. Ces fusées participaient à l'effort chinois en vue de notre destruction totale. C'était terrifiant. Je scrutai l'horizon et vis que si les canons chionois étaient établis loin en arrière de la ligne de front, les rampes de lancement étaient sur la ligne de front derrière une éminence de terrain que je pus situer avec précision. Je venais de découvrir d'où partaient leurs tirs! Les lignes téléphoniques étant détruites, je fonçai en trombe hors de l'abri et grimpai la pente sous le bombardement jusqu'au PC qui n'était pas épargné. Arrivé, j'indiquai l'endroit précis sur la carte où se trouvaient les engins automoteurs.
Je revins aussi vite, sain et sauf, malgré les éclats d'obus qui déchiraient l'air autour de moi, et déclarai à mes camarades que les coordonnées ayant été transmises, l'artillerie allait s'en occuper. On me l'avait assuré. Nous nous mîmes à observer l'horizon tout en surveillant la pente devant nos lignes d'où pouvait survenir à tout moment une troupe chinoise. Quelques minutes plus tard, sur le piton qui nous faisait face, des flammes montèrent dans un bruit assourdissant qui dépassait celui des obus ciomme si un volcan en éruption crachait ses entrailles. Pour un coup au but, c'était un coup au but! Les Chinois qui étaient dans la fournaise déclenchée par nous et alimentée par leur propre matériel devaient brûler comme du bois sec. Il ne fut pas désagréable de le penser. Après tout, c'était une bataille où nous étions quelques centaines tandis qu'ils étaient plusieurs milliers. Nous avions l'ordre de résister. Ça voulait dire ne pas rester inactif. Tenir, comme sur la Marne, c'était fermer la route de Séoul aux Chinois car rien derrière nous n'était pévu pour les arrêter.
Ce bombardement dura plusieurs jours et le nombre d'obus que nous recevions à l'heure était supérieur, nous le sûmes plus tard, aux terribles moyennes de Verdun en 1916. Dès les premières heures le nombre de tués et de blessés était durement ressenti car ce nombre représentait plus du tiers de nos effectifs sur le champ de bataille. La section des Pionniers avaient été anéantie par le bombardement et par la horde de Chinois qui submergea son poste avancé.
À bout de munitions les pionniers survivants se battirent à l'arme blanche et à coup de pelle.
Philippe COLLEMANT eût un bras arraché avant d'être tué. BÉSAMAT fut blessé et fait prisonnier. Le lieutenant LIRON, grièvement blessé à la tête dut sa survie à un miracle. Les combats étaient d'une violence inouïe et sanglante. La base arrière fut appelée en renfort mais cela ne suffisait pas. Une compagnie américaine (du régiment auquel appartenait le bataillon français, le 23rd IR US - ndlr) nous épaula sur la gauche pour remplacer nos morts et nos blessés. Les Chinois montèrent à l'assaut de nos positions en pensant que le piton sur lequel nous nous trouvions était abandonné à la suite du matraquage de leur artillerie. Ils furent sévèrement reçus et payèrent le prix de leurs illusions.
Nous avions heureusement l'appui de l'aviation qui bombardait les positions chinoises et qui, la nuit, larguait des éclairants afin d'illuminer le champ de bataille. Le soutien de notre artillerie était de 5000 obus à l'heure dans les meilleurs moments. À notre droite, la division ROK avait, comme nous, perdu son poste avancé. Elle tentait de le reprendre et de maintenir sa ligne de front. Le Lieutenant FAUVELL-CHAMPION (NDLR: autre Ami fidèle du rédacteur L. Rochotte) voyant nos amis Coréens en difficulté prit l'initiative d'intervenir sur "White Horse" avec ses armes lourdes contre les Chinois. Craignant cependant une rupture du dispositif de défense, le Lieutenant BARRÈS avait décidé que nous devions nous installer en appui fermé.
Le 10 octobre il fut évident que, n'ayant pu percer, les Chinois avaient perdu la bataille. Ils abandonnaient beaucoup de morts devant nos tranchées et aussi des blessés que nos brancardiers ramenanaient sur notre position. Sans rancune et parfaitement décontractés ils nous réclamèrent de la nourriture et des cigarettes. Le froid tomba si brutalement (-15°C) que les cadavres chinois furent congelés. Les divisions communistes de Mao avaient échoué à franchir nos lignes. Nous avions eu l'honneur, avec des pertes douloureuses, hélas! de sauver Séoul!
Entre nos positions et celles de Chinois, ce fut alors une terre sans homme que je parcourais de nuit comme chef de patrouille. J'avais un fusil à lunette infrarouge -c'était une nouveauté- qui permettait de voir dans la nuit la plus profonde et de contrôler les mouvements éventuels de l'ennemi. Mais rien ne bougeait. L'ennemi pansait ses plaies. Sur la position des pionniers j'aperçus des débris humains en grand nombre et butai sur un pied dans sa chaussure avec une partie du tibia...
Philippe COLLEMANT, dont j'évoque plus haut la mort, redessinait avant de monter en ligne, les armoiries de sa famille et en refaisait le blason. Il en parlait avec passion. Était-il d'azur au chef de gueules ou d'or au chef d'azur? Je ne peux plus le dire mais retrouvera-t-on les armoiries qu'il avait réalisées pour les transmettre à sa famille? Je n'en sais rien mais cette question m'obsède.
Fin août 1953, les Chinois nous rendirent André BÉSAMAT qui devait décéder le 9 février 2005.
Le Lieutenant BARRÈS, ancien parachutiste de la France Libre, qui m'avait cité suite à la destruction des engins automoteurs, fut tué en Algérie.
LIRON, devenu Général de Corps d'Armée, finira misérablement sa vie en 2007 aux Invalides.
Je n'évoque pas les noms de tous les morts et blessés même si beaucoup me reviennent en mémoire. La liste est trop longue. Nous parlons souvent de nos morts mais combien d'amputés et blessés diversement atteints ont disparus, depuis lors, des suites de leurs blessures et dont nous avons oublié le calvaire?
Il y a maintenant 56 ans, 2 mois et quatre jours que cette bataille s'est déroulée. Plus d'un demi-siècle! Nous venons ici bien tard! Nous ne sommes plus très jeune mais il nous reste le souvenir très présent d'une lutte féroce et sanglante qui ne s'éteindra qu'au jour où les survivants d'Arrow Head auront tous rejoints leurs camarades tombés en ce lieu pour la plus grande gloire de nos armes et des valeurs que nous défendions. Ce fut, quoique d'une manière bien plus brève, le Verdun de notre vie de combattant.
MONCLAR, qui avait parcouru tous les champs de bataille du XXème siècle, se prémunissant sans doute contre notre peu de mémoire, avait tenu à nous rappeler plusieurs fois que nous avions combattu dans ce qui fut la Première Armée des Nations Unies. La Charte de l'ONU porte en son sein la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ainsi que le Droit des Peuples à disposer d'eux-mêmes.
C'est pour cela que ces Hommes, dignes héritiers des soldats de l'An II, venus de France, sont morts. Ce sont aussi ces valeurs universelles qui nous ont fait vivre et nous donneront à penser, jusqu'à notre dernière heure, et adhérer au combat du Dalaï Lama comme à tant d'autres.
Au poète Charles Péguy qui fut tué d'une balle au front le 5 septembre 1914 à Villeroy, je demande la conclusion de cette allocution:
"Heureux les grands vainqueurs. Paix aux hommes de Guerre.
Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence."
Robert BREUIL.(Transcription Léon C. ROCHOTTE)