J'habite actuellement à trente minutes par la route du village où mon grand-père paternel possédait une propriété. Je m'y rendais tous les étés jusqu'à ce que je veuille me grandir de cinq centimètres en m'adjoignant un pompon rouge sur le sommet du crâne.
Je suis récemment passé devant, me suis arrêté et ai remis les pieds dans l'antre où j'ai sévi, plus jeune. Déception! Rien n'était aussi grand que je ne le pensais. Rien n'était aussi majestueux que je ne le voyais. Rien n'était aussi beau que je le croyais. Le charme avait disparu.
Pourquoi, sur un site de marins, fais-je une telle confidence, apparemment anodine pour vous?
J'ai animé depuis cinq ans les réunions annuelles des anciens de l'Étourdi, patrouilleur P637, à bord duquel j'ai sévi comme chouf radar triste. Cette année, l'escale fut Toulon.
Dans nos visites était inclus le CIN Saint Madrier, pardon, les Arpettes.
Arpettes ou je me suis fait scier pendant un an, me distinguant par mon incompétence notoire, primaire et majestueuse avec marteau à boule, queue de rat, trusquin sans ses saints.
Arpettes où un an après, je me classais majestueusement 117° sur 120. Les trois suivants, sortant de l'école des Radios, et des Électriciens, et destinés après, à se rendre sur le Jean Bart pour le cours de Canonnier; étaient assurés de devenir Amiral dans leur pays, à moins qu'ils ne finissent au peloton d'exécution, mais ceci est un autre sujet.
J'ai commenté sur ce post le jour ou dans mon plus bel uniforme, j'ai subi le passage à la commission qui, dans son immense générosité, a accepté de me garder dans ses rangs et d'aller exercer mes talents chez des Détecteurs, comme on disait, à l'époque.
Nous étions un groupe d'anciens, accompagné de nos épouses, à visiter l'école.
Arrivés un peu en avance, j'ai contemplé l'évolution.
Le village de Saint Mandrier n'a pas changé, hormis qu'on ne le reconnait plus(?). On ne peut plus voir l'autre rive de la baie car les mâts des voiliers passant l'année entière à quai donnent l'impression de visionner une chaine de télévision codée sans décodeur.
Un service privé, efficace et régulier, permet de rejoindre régulièrement la presqu'île au port de plaisance de Toulon. Fi des Cavalas et Pipady ancestraux. De magnifiques catamarans sans barre avec un joy stick avec lequel s'amuse la capitaine.
Plus de majestueux Dixmude. Un grand vide offrant plus de volume l'a remplacé. Au diable les lourdes baleinières en bois, rescapées du sabordage de la Flotte, à bord desquelles les petits minets que nous étions se faisaient des ampoules. Ce doit être la raison pour laquelle je n'ai jamais pu tenir une lime correctement…
A l'aubette, un quartier maître maistrancier radio faisait les cent pas. Je me suis approché de sa cahute. Plus de bonne guérite en bois! Un "machin" en plastique, clos par des panneaux en plexiglass avec deux parpaings gris au pied pour empêcher le mistral, peuchère, de l'envoyer dans la darse.
Sur la tablette, une bouteille en plastique remplie d'eau (tiédie) et… l'incontournable téléphone mobile.
Cerise sur le gâteau, des consignes de sécurité ainsi que la photo en pied du CV, commandant l'école. Ben Dame, quoi, si "çui-ci" y pouvait pas rentrer chez lui, quoi, même!
Une second maître, aussi mignonne que compétente, nous a accueillis et nous a guidés vers le bâtiment de direction, le principal, central.
Nos dortoirs, les fameux 4A, 2C, 1A, ceux des Meumeus et les autres sont devenus des classes et bureaux, agrémentés d'issues de secours et d'accès dans tous les azimuts.
La Lieutenant de Vaisseau responsable des visites nous a pris en charge, ainsi qu'un directeur des cours qui nous a expliqué l'évolution de l'école.
Couverture goudronnée ou empierrée de la cours, suppressions d'arbres vénérables, probablement à cause de leur âge et remplacés par des feuillus. Seuls quelques résineux dont le tordu de l'entrée, je parle de l'arbre, pas d'un gars de quart, subsistent. Les bancs, sièges régionaux à accès limité et après justification, existent encore, mais en moindre nombre et la tradition ségrégationniste (ben woui, quoi, vous trouvez un autre nom, vous?) a disparue.
J'ai donc pénétré dans le bâtiment tant craint, il y a de cela cinquante ans (Déjà?). Le temps a joué en sa faveur car des matériaux modernes lui ont donné un petit coup de jeunesse malgré ses deux cents et quelques années. Nous avons déambulé dans le musée où des documents, uniformes et outils de navigations trônent.
Pour les cours de mécanique, finies les deux années à suer, vareuse dans le pantalon, calot de couleur et de forme correspondant à l'ancienneté. L'apprenti, selon son niveau professionnel, est élève pour un, trois ou six mois, puis embarque.
Là, il retourne en cours et à la fin de ceux-ci, soit retourne sur son ancienne affectation, soit est muté ailleurs. Puis il retourne et le mouvement perpétuel est recrée. Nous parlions avec un major instructeur de trente-trois ans d'ancienneté qui disait être retourné en cours (il n'avait pas besoin de déménager, c'est toujours cela de pris) il y a deux ans de cela.
Nous avons effectué un petit tour rapide là où lavoirs et cafétéria se trouvaient. Tout a été détruit, juste un parking couvert pour deux roues où traînent quelques bécanes probablement oubliées.
Sur la colline, a été édifié un bâtiment où dortoirs, cafétérias et service sociaux se trouvent. Là-haut, au moins l'été, ils n'auront pas chauds. L'été???
Nous nous sommes alors dirigés vers les ateliers, délaissant au passage, terrain de sport, ancien foyer et cinéma. C'est ainsi que j'ai noté que les ateliers et tous les autres bâtisses se trouvaient plus près que je ne l'imaginais, me ramenant chez l'aïeul.
Quoique… les sakos aimaient à nous faire marquer le pas entre les classes d'étude et la chambrée, surtout en février, lorsque le vent remontait le col de vareuse et envoyait le bachi à dache.
J'ai précédemment décrit les sols ateliers, fusion de terre battue, sueur, copeaux, graisse et OVNI (origine vraiment non identifiable). La Queen of England aurait pu venir faire sa dinette sur ces sols. Planifiés, bétonnés, lissés, peints brillant, ils égaient les ateliers dont la surface a dramatiquement diminué. Il est vrai que, lorsque, dans un domaine, il y a quinze poilus, c'est le summum.
Par contre, plus de forge (c'est quoi ça, ça vient de l'âge de bronze, c'est sûr), mais quelques briques réfractaires (à l'armée!!!) et… et… mon enclume. Ma bonne vieille enclume, celle qui se trouvait près de mon poste de souffrance, reconnaissable à un défaut dans son bec. (Cela doit également être une des raisons pour lesquelles mes courbes étaient anguleuses…).
La session en stage venait de quitter les lieux une heure auparavant et nous avons pu contempler les soudures effectuées par les élèves B.S. Ne me demandez pas de commenter la nature des travaux, moi qui n'ouvre jamais le capot de ma voiture!
Il y avait des soudures gauche, droite, en haut, deux mains, internes, externes, d'excellentes, des très bonnes, des bonnes, toutes meilleures que ce que j'aurais pu effectuer.
J'ai croisé des arpettes de vingt et quelques années dont je n'ai pas pu remarquer le grade, puisque maintenant, entre le matelot et l'amiral, c'est la même barboteuse pour tous.
Cela m'a rappelé que les gonses, matricule 10 et quelques ont vu un zombie matricule 61, âgé de 66 printemps bientôt.
Or, en 61/62, alors que je m'escrimais sur un machin rond que je ne pouvais faire carré, j'ai croisé le regard d'anciens venant retrouver les lieux de leur crime (autre sujet déjà débattu sur le site), des vieux, pensez donc, ils avaient entre 65 et 70 ans, donc leur matricule devait être 10 également, mais du siècle précédent.
Alors, maintenant, quand un jeunot, même de quarante ans, vient me dire qu'il sait tout…
Les instructeurs, major et cipal, finissant leur temps à la fin de leur contrat, nous ont montré également des outils, comme une cisaille et un tour que j'ai utilisée pour l'une et vue pour l'autre. Vint le moment de contempler des parties de machine, en provenance de la Jeanne, du Chevalier Paul, de la Saône, du Clem, même du Paul Goffeny. J'ai préféré laisser les explications techniques à ceux qui savent se servir d'une clé à molette et me suis concentré sur la trois galons et la double sardine, belles machines également (Si elles lisent ces lignes, qu'elles me pardonnent).
J'ai ainsi appris que, de service lors de chacune des visites d'anciens, elles écoutent les remarques et commentaires des zanciens et possèdent maintenant la connaissance d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître…
Revenu auprès des instructeurs mécano, j'ai écouté avec stupeur l'évolution. Par mesure d'économie, les machines, principales ou auxiliaires, ne sont plus réparées ni par le bord, ni par la DCAN.
Des compagnies privées s'en occupent et effectuent la maintenance. Il faut reconnaître que le graisseur avec sa burette et son chiffon gras, c'est ramené à l'époque des chauffeurs et de leurs briquettes. Tous les quarts se font dans une bulle climatisée avec des zinzins électroniques qui anticipent, avertissent, donnent les instructions et, à l'aide du même zinzin, une touche est appuyée et vogue la galère ou la frégate, selon le type. Le graisseur peut alors retourner finir son quart, les oreilles couvertes par un appareil électro acoustique diffusant de la zizique, à moins qu'il préfère un appareil électrique à Cousteau.
Donc le mécano ne répare plus. Il gère. Il devient électronicien mécanique. Il ne sait plus tarauder, aléser ou braser.
Dans ce contexte économico-cucul, une série de 5 navires du même type possèdera des moteurs provenant de 3 ou 5 différents fournisseurs, afin d'éviter l'assujettissement et offrir un appel d'offre indépendant.
Le mécano qui embarquera sur tel rafiot possédant un moteur "ovision" se spécialisera sur ce modèle. Mais s'il embarque sur le sistership doté du moteur " éka", il devra tout réapprendre. Ainsi des mécanos peuvent ne pas devoir embarquer sur d'autres navires que sur ceux dont il sont spécialistes.
Le jour où les navires qu'ils maitrisent vont à la casse et sont remplacés par de nouveaux à moteur étranger pour eux, ils peuvent aller à la pêche.
En mer, si un incident lambda survient, obligeant le moteur être démonté, le cipié contacte la firme installatrice et demande autorisation de travail. Ubu n'est pas mort…
Les instructeurs considèrent que l'attrait technique est dévalué. Cela entraîne une diminution des engagements pour cette spé, un abaissement des compétences professionnelles et une accumulation de difficultés amenant des passages au port en conséquence.
Pour clore, j'ai demandé si une nouvelle chance pouvait m'être offerte de rempiler car j'estime avoir appris de mes erreurs. J'ai spécifié que des séjours de quelques mois me convenaient mieux que deux années consécutives. Il m'a été répondu que ma demande était à l'étude (elle aussi).
Donc, j'attends.
Dernière édition par BOBOSSE le Sam 20 Aoû 2011 - 15:55, édité 1 fois