Je me suis pris d'amitié pour un légionnaire, Le Guignou, (dont le nom réel est Le Guillou que je revois régulièrement, son unité opérant toujours avec la nôtre.
Comme tout légionnaire, il a son secret.
Réticent pour parler du passé, il finira au cours d'une sortie à terre, par me révéler qu'il a été enseigne de vaisseau, qu'il a choisi le mauvais camp pendant la guerre.
Il a eu aussi des ennuis conjugaux sur lesquels il ne s'est pas étendu.
Je suis désolé de son état d'esprit actuel.
Engagé comme simple soldat dans la Légion, il ne veut pas remonter la pente.
Comme tout légionnaire, il ne s'opposera pas à la mort, si elle veut le prendre.
J'ai connu aussi dans la même unité de Légion, Max Bonnafous, ex-ministre de l'information (?) du gouvernement Pétain, maintenant sergent-chef.
Les légionnaires sont des types épatants dans leur ensemble.
Beaucoup d'Allemands parmi eux, la plupart meurtri par la guerre dans ce qu'ils avaient de plus cher, ont choisi la Légion, un peu comme un renoncement à la vie.
Insensibles au danger pendant le combat, ils sont capables de "dégagements" redoutables que nous célébrons en commun, au repos.

C'est dans le secteur de Nam-Dinh, non loin des évêchés, que nous opérons le plus souvent.
Le coin est infesté de Viets.
Nous n'avons pas assez d'effectifs pour occuper le terrain conquis et les opérations de nettoyage sont sans cesse à recommencer.
Dans le canal des Bambous, nous avons débarqué un régiment de jeunes paras fraîchement arrivés de métropole, débarquement sous le feu qui impressionne ces jeunes.
La nuit venue, nous irons compter leurs cadavres que l'intendance a bien empilés, bien alignés en rangs d’oignons, avant de les mettre en bière.
Ce qui est réconfortant à la veille d'une opération de grande envergure, c'est que l'intendance a paré à tout, notamment en embarquant une certaine quantité de cercueils en bois blanc.
Le participant peut ainsi se rassurer en contemplant les piles de caisses débarquées des GMC :
- Tiens, celui-là sera peut-être pour moi.
Nous sommes souvent "assistés" de personnages du contre (espionnage, dont le rôle est de tirer des renseignements des prisonniers viets.
Parmi eux, le ou plutôt la plus pittoresque est une fille annamite, les fesses moulées dans un pantalon serré, flanquée de deux énormes 11,43 de chaque côté de la ceinture.
Le calot incliné sur la tête, elle déambule crânement au milieu de tous ces bonshommes.


Une autre fois, nous sommes restés plantés dans un secteur sans ravitaillement aucun.
La cambuse complètement vidée, il reste seulement un gros stock de confiture "Lansbourg" conditionnées en boîtes de cinq kilos.
Rien à glaner dans ce paysage de plaine où toute trace de vie a disparu.
Le régime exclusif va durer plus de quinze jours.
Un beau jour, on apercevra un buffle errant au loin dans la campagne.
Une bande de gaillards mitraillette au poing, s'élance vers le buffle qui n'a aucune chance de s'en sortir...
Dépecé, découpé, rôti en un clin d’œil, jamais buffle ne parut aussi succulent.
Quant à la confiture, après cinquante années passées, je n'en tolère qu'une cuillère à café, de loin en loin...
Lors d'une autre mission prolongée, c'est le manque de pain que nous avons subi.
On avait à bord de la farine et de la bière.
La confection d'un four sur une berge du canal des Bambous, avec quelques tôles et de la terre, nous a permis d'obtenir un pain acceptable.
Quand je vous disais que nous savions tout faire !
Retour à Haï-Phong.
Un séjour sur la vasière pour réparations nous a fait découvrir le curieux crabe chinois, à une seule pince.
Les premiers sujets aperçus faisaient penser à des combattants malheureux qui auraient tous perdu la pince gauche.
Jusqu'à ce que, de milliers de trous dans la vase, sortent des milliers de crabes manchots.
Je n'ai retrouvé nulle part ailleurs cette curiosité de la nature.