Début juillet, la Marine nationale comptait 32 grandes coques désarmées de plus de 373 tonnes (du P400 au croiseur) pour un tonnage total de 100.000 tonnes.
S'appuyant sur le retour d'expérience de l'ex-Clemenceau, la Rue Royale traite les navires en fin de vie en trois phases : désarmement et sécurisation, expertise des matériaux polluants permettant l'obtention d'un « passeport vert » et, enfin, démantèlement.
Actuellement, seule la Jeanne d'Arc en est au stade du désarmement et de la sécurisation.
14 autres coques ont déjà été expertisées et entrent désormais dans le processus de déconstruction.
Un premier appel d'offres en ce sens a été lancé en février 2010 et le marché doit être notifié en 2011.
Il porte sur l'ex-Bouvet (actuellement à Lorient), et les anciens Dives, Argens et Saône, en attente à Toulon.
Ces quatre bateaux seront les premiers à partir à la déconstruction, l'an prochain.
Un second appel d'offres pour le démantèlement de 10 autres coques doit être lancé en 2011 en vue d'une notification en 2012.
Il concerne les ex-Duperré, La Galissonnière, Enseigne de Vaisseau Henry, Détroyat, Jean Moulin et D'Entrecasteaux ; situés dans la région brestoise (Brest, Lanvéoc et Landévennec) ; ainsi que les ex-Orage, Ouragan, Commandant Rivière et Bougainville, conservés à Toulon.
17 grandes coques et 80 petits navires en attente
17 autres coques ne feront pas partie de ces deux appels d'offres.
Il s'agit de bâtiments désarmés récemment ou servant de brise-lames (Lanvéoc, Lorient, Saint-Mandrier, Ile du Levant).
Dans ce dernier cas, ils partiront à la démolition lorsque les ouvrages maritimes appelés à les remplacer seront réalisés.
La marine prévoit l'achèvement de ces ouvrages entre 2014 et 2017.
Les coques brise-lames sont les ex-Suffren, Duquesne, Duguay-Trouin, Aconit, Bouvet (qui va être remplacé par la Loire), Rhin, Rhône et Rance.
Un certain nombre d'autres bateaux sont, quant à eux, conservés à quai ou au mouillage :
Colbert et Fougueuse à Landévennec
Persée, Verseau et Rari à Brest
Jules Verne, Persévérante et Isard à Toulon.
L'ancien dragueur de mines Phoenix, à Cherbourg, fait quant à lui l'objet d'un marché particulier, en cours de notification.
Il sera probablement déconstruit sur place compte tenu de son état. Les 16 autres coques feront l'objet d'appels d'offres ultérieurs, l'objectif de la marine étant de les éliminer d'ici la fin de la décennie.
Outre les grandes coques, la marine recense 80 petits navires désarmés de moins de 373 tonnes, ce qui représente un tonnage global de 10.000 tonnes.
Ces bateaux sont soit expertisés, soit le seront d'ici 2011.
L'an prochain, toutes les petites coques qui auront leur passeport vert feront l'objet d'un appel à candidatures spécifique en vue d'être démantelées.
Un processus très strict.
Depuis l'affaire du Clemenceau, le ministère de la Défense a repris à son compte le démantèlement des navires (les coques appartenaient autrefois aux Domaines, qui dépend du ministère des Finances).
Pour cela, la marine a reçu un budget de 50 millions d'euros sur la période couvrant la loi de programmation 2009-2014.
Tous les navires désarmés font désormais l'objet d'un processus très strict, financé par ce biais.
Après la phase de sécurisation (évacuation des fluides, débarquement des matériels, obturation des ouvertures...), chaque bateau est expertisé afin de cartographier, à bord, l'ensemble des matières polluantes ou potentiellement polluantes (amiante, PCB, peintures au plomb...).
En la matière, le principe de précaution prévaut.
Ainsi, si on soupçonne la présence d'amiante sur une cloison, c'est l'ensemble de cette cloison qui est considérée comme amiantée.
Pour l'expertise, un premier marché portant sur une vingtaine de coques avait été confié au Bureau Veritas.
Un second appel à candidatures sera lancé fin 2010 pour l'expertise des Colbert, Jules Verne, Persévérante et Fougueuse ; alors qu'un troisième marché d'expertise est prévu en 2011.
D'autres devraient suivre en 2012 et 2013.
Ces expertises servent aux entreprises candidates au démantèlement des bâtiments.
Pour la déconstruction, le ministère de la Défense a opté pour une procédure de marchés publics négociés avec mise en concurrence.
En clair, les entreprises intéressées par cette activité se font connaître.
Les militaires évaluent ensuite les capacités techniques et financières des candidats, ce qui leur permet de déterminer une « short list » d'industriels auxquels les expertises sont confiées, afin que les sociétés puissent chiffrer le coût des travaux et remettre une proposition.
Ces « appels d'offres » sont exclusivement européens, la législation communautaire interdisant l'exportation de matières dangereuses hors des pays de l'UE (sans compter que le code des marchés publics impose, au delà d'une certaine somme, de passer les appels d'offres au niveau européen)
L'entreprise retenue pour déconstruire le ou les navires fait, ensuite, l'objet d'un suivi de la part de la marine tout au long de la déconstruction.
« La Marine nationale est extrêmement attachée à développer sa politique de développement durable pour la déconstruction de ses navires.
C'est une priorité de respecter la protection de l'environnement, des ouvriers travaillant sur les chantiers et, bien entendu, la législation sur les matériaux polluants.
Cela se traduit par un cahier des charges extrêmement strict et développé sur ces points, et un suivi permanent, par nos experts, tout au long du processus.
Comme cela est le cas pour l'ex-Clemenceau, nous nous rendrons physiquement sur les chantiers pour vérifier concrètement que, dans les faits, les entreprises respectent notre cahier des charges », explique-t-on Rue Royale.
L'exemple du Clemenceau
Cette politique en matière de déconstruction découle des mésaventures de l'ex-Clemenceau, dont la démolition avait initialement été gérée par Bercy (propriétaire vie de la coque via les Domaines).
Après ses invraisemblables périples en Méditerranée puis vers l'Inde, avant son retour à Brest au printemps 2006, le ministère de la Défense a repris les choses en main.
A l'issue d'une cartographie des matières polluantes puis d'un appel d'offres, la déconstruction du Q790 a été confiée en juin 2008 à la société anglaise Able UK.
Remorqué, l'ex-Clemenceau est arrivé aux chantiers d'Hartlepool en février 2009.
Dans une gigantesque darse, où Able UK procède également au démantèlement de vieux bâtiments logistiques américains et de navires de la Royal Navy, la dépollution et la déconstruction a pu commencer.
Les travaux sont surveillés de très près par les militaires français, qui se rendent régulièrement sur place.
L'attention porte plus particulièrement sur le traitement des matières amiantées.
Celles-ci sont introduites dans des sacs spéciaux hermétiques puis stockées à bord dans un local confiné.
A partir d'une certaine quantité, elles sont ensuite évacuées vers un centre de traitement spécialisé situé à quelques kilomètres du chantier.
Pesés au départ et à l'arrivée, ces matériaux font l'objet d'une traçabilité très stricte.
Les dernières phases de dépollution de la coque sont menées parallèlement à son découpage.
Il s'agit, en effet, des parties amiantées qui n'étaient pas accessibles avant la déconstruction du bateau.
Le chantier, qui a bien avancé, devrait s'achever à l'automne, avec un peu de retard sur le calendrier initial.
Comme ce sera le cas pour les futurs marchés, le ministère de la Défense récupèrera le produit de la vente des matériaux recyclés issus du Q790.
Ces gains seront soustraits du prix de la déconstruction, estimé à une dizaine de millions d'euros pour l'ancien porte-avions.
Ainsi, les militaires français estiment que la déconstruction de l'ex-Clemenceau devrait, in fine, coûter entre 2.5 et 4.5 millions d'euros, suivant le cours des matières premières.
On notera que le ministère de la Défense a initié une démarche assez intéressante avec Able UK, visant à inciter l'entreprise à recycler le plus possible de matériaux.
Un minimum de recettes a été fixé avec la société anglaise à 5.8 millions d'euros.
Puis, si Able UK vend plus, il y gagne. Entre 5.8 et 7.8 millions d'euros de matières recyclées vendues, 65% sont versés à l'Etat et 35% à l'entreprise.
Et, au delà de 7.8 millions d'euros, Able UK récupère 100% des bénéfices.
Après ce premier marché avec la France, nul doute qu'Able UK postulera au démantèlement d'autres unités de la Marine nationale.
Mais l'industriel anglais n'est pas le seul en lice.
Le franco-belge Galoo (qui a déconstruit des bâtiments belges et britanniques) et les groupes français Veolia et Suez se positionnent également. Veolia souhaite implanter un centre de recyclage à Bordeaux (où il a déconstruit des navires de pêche), et Suez a achevé cette année la déconstruction de l'ex-frégate Lucifer à Cherbourg.
D'autres entreprises plus petites, notamment dans la région brestoise, pourraient aussi faire valoir leurs atouts.
Ainsi, la société quimpéroise Le Gall va débuter à l'automne, à Brest, le démantèlement du cargo Winner, arraisonné en 2002 par la Marine nationale.