Les quatre officiers mariniers de Phnom-Penh jouissent d'une totale liberté.
Un seul officier, le commandant, ne fait que de courts séjours à la Marine, préférant les plaisirs de la ville aux astreintes du service.
Comme nous sommes en paix et que le rôle de la Marine consiste surtout à faire de la représentation, personne ne bouscule personne.
Nous avons la faculté de sortir en tenue civile si nous le voulons.
Quel contraste avec la Cochinchine toute proche !
Personnellement, après avoir fait la connaissance de la petite sino-khmère qui deviendra ma femme, je crois que ma couchette à la Marine ne sera pas occupée une seule nuit.

La marine française au Cambodge se résume à la base de Phnom-Penh, la capitale, et à deux ou trois unités (LCM et vedettes ou LCVP) stationnées sur le grand lac Tonlé-sap.
Ces unités, indépendantes de Marine Phnom-Penh, constituent la patrouille des lacs, la "Patlac".
Commandées par un enseigne, elles sillonnent les abords du Tonlé-sap dans le but de faire échec aux bandes de pirates qui troublent la région, plus ou moins encouragées et armées par les communistes "khmer-Issaraks"

Les petits cargos peuvent, de la mer, remonter le Mékong jusqu'à Phnom-Penh. Ils s'amarrent sur le port, face à la Marine dont le personnel est là pour contrôler leurs cargaisons et mouvements.
L'ambiance est celle de tous les ports, qu'ils soient fluviaux ou maritimes : va-et-vient de bateaux, chargements, déchargements, défilé de coolies pliant sous les fardeaux divers car ici, point de grues, point d'engins de levage.
Pour les charges très lourdes, on se sert des mâtereaux des cargos.
L'animation est constante, encore plus soutenue que dans le reste de la ville où les Chinois s'évertuent à ne pas distinguer le jour de la nuit.

Le soir, après le service, on va danser au "Lampton", le bal cambodgien, puis prendre un verre au "Tricotin", le café-concert, siroter une bière bien glacée ou un "Bisquit-soda" sous les ventilateurs qui brassent l'air chaud et moite.
Lumières, bruits, grelots des pousse-pousse, trottinement des marchands de soupe, leur fléau sur l'épaule, avertissements sonores des coolies pliant sous la charge, de nuit comme de jour, c'est le grouillement de l'Asie, pleine de vitalité, sans pitié pour les faibles, fourmilière toujours piétinée, toujours reconstruite, éternelle.

Le Lampton est un bal gentil.
On y trouve des militaires mais aussi des civils, blancs et jaunes.
L'ambiance n'est pas celle de certains bals à soldats de Saïgon.
Les orchestres sont autochtones et distillent des airs aussi bien européens que cambodgiens.
L'intérêt est avivé par la présence de filles joliment tournées dans leur costume chatoyant brodé d'or ou d'argent, ou bien habillées à l'européenne.
Lorsqu'on sait que l'on couchera le soir au même endroit que la veille, qu'il en sera de même le lendemain, on a envie d'une certaine stabilité dans ses amours.
Après quantités d'aventures d'un soir, on aspire à une relation plus durable.

A plus, les amis.