Mais c'était quand les consignes étaient de sortir armés, c'est arrivé plusieurs fois, pour matelots et QM c'était le mousqueton à l"épaule ....pas très pratique ... et avec le risque de te le faire piquer si tu étais un peu éméché ... Les off mar avaient droit au pistolet (en général un vieux 92 à barillet à la ceinture ....) ce qui n'était pas tellement mieux .... Il n'y a vraiment que ces fois là ou la tenue civile avait de l’intérêt. Nos sorties nous amènent souvent du côté de Gia Dinh, quartier de prédilection des parachutistes et des légionnaires, où des tas de petites échoppes en plein air permettent de manger de la bonne cuisine asiatique, et là nous étions entre militaires.
Ensuite comme SM il est arrivé qu"une fois ou deux avec des copains on soit sortis en civil pour aller à Cholon, là bas c'était les Chinois qui étaient les patrons et les Viets ne se risquaient pas à déranger leurs affaires .... Dans les boites à jeux ou pour les taxi-girls c'était mieux d'être en civil , pour éviter d'être pris pour des pigeons ....
Quant aux relations avec les Européens de Saïgon, le milieu restait plutôt fermé aux militaires ... et assez difficile à pénétrer, et à y être accepté .... les moyens n'étaient pas les mêmes .... Sauf si on connaissait quelqu'un dans le milieu européen. C'était le cas de mon copain de cours René Lelionnais avec qui j'étais arrivé, il était de Dinan et sa famille connaissait des civils qui étaient dans les affaires à Saïgon. Après leur avoir rendu visite il a été invité à un cocktail et m'a proposé ainsi qu'à un autre copain de nous y emmener. Là pour le coup on s'est mis en civil, mais malgré l’agrément des bonnes boissons et des zakouskis, cet événement n’a pas eu de suite, le milieu était vraiment très fermé, surtout pour tenter des rencontres féminines. .
J'ai déjà raconté l'histoire de la grenade quadrillée dans le resto, mais je vais la redire à nouveau, car si j'avais été en civil ce soir là on aurait peut être évité l'incident.
L’événement se passe en fin 1948 quand j'étais à la BAN Cat Lai. C'est l'époque ou l’insécurité devient fréquente dans le centre-ville, les Viets procèdent à des attaques à la grenade dans les endroits fréquentés par les militaires. C’est ainsi qu’avec Maurice Grand et Robert Paul deux copains radios volants, habillés en tenue kaki, nous réchappons de justesse à un attentat dans un restaurant de la rue Chasseloup-Laubat ; un quatrième copain, Gaby Agnel pilote de Sea-Otter est également présent ce soir là, à une autre table en compagnie d'une infirmière de l'hôpital 415 de Cholon.
Notre table est située non loin d’une ouverture et je suis tourné dos à la rue, nous finissons notre repas et en sommes au fromage, quand une grenade quadrillée, lancée de l’extérieur par un cyclo pousse, me frappe à l’épaule, juste sur l'épaulette gauche, ce qui amortit le choc, avant de tomber en chuintant sur ma tranche de Roquefort, j’ai juste le temps de réaliser qu’elle est dégoupillée, de la saisir et de la relancer derrière moi vers l’ouverture en criant "À plat ventre ! Une grenade ! " Malheureusement c'est mal visé, elle explose presque aussitôt dans l’encoignure d’une porte ! Après le fracas et la retombée de la poussière nous comptons seulement quelques blessés légers parmi les clients. Par chance aucun de nous n’est touché, à part quelques égratignures. C'est seulement après coup que Robert Paul s’aperçoit quand même qu’il l’a échappé belle, protégé grâce à sa barrette de décorations et à son portefeuille découpé au ras de sa poche de poitrine par un éclat de grenade qu'il retrouve dans le cuir ! Le calme revenu le patron nous offre le champagne et un journaliste présent nous félicite pour notre sang-froid, en nous promettant un article dans le Journal de Saïgon. Comme quoi ce soir là si nous avions été en civils nous n'aurions sans doute pas été vises ....