Curieusement sur ce bateau de guerre il y avait un « officier trans « et un second maitre radio mais c’est le quartier maitre qui s’inquiétait de rester en contact avec la France… bizarre… je faisais mon boulot comme dans la marine marchande et je rendais compte directement au Pacha en ignorant superbement mes supérieurs hiérarchiques qui appréciaient apparemment cette situation… je trouvais cela bizarre…
Mon chef direct, un Second Maitre radio, n’apparaissait que rarement dans le local radio, ne me donnait jamais d’instructions sur le travail à exécuter, les fréquences à écouter...
Une seule chose le préoccupait : la propreté du local !
Pourtant j’étais complétement ignorant des procédures de communication dans la marine militaire.
Je faisais de mon mieux et m’adaptais aux circonstances.
L‘Officier Trans, un Enseigne de vaisseau, restait invisible et je crois qu’il ne m’a jamais adressé la parole pendant mes 6 mois de présence à bord.
60 ans après, je ne comprends toujours pas pourquoi on laissait un civil incompétent agir à sa guise dans une fonction qui avait quand même une certaine importance.
Le remorqueur américain d’accompagnement, le Molala, avait des problèmes avec son émetteur principal.
En phonie il me passait ses messages que je devais retransmettre à l’US Navy par la station d’Honolulu NMO.
Cette station des US coast guards était mi-civile mi-militaire : les opérateurs utilisaient indifféremment les procédures aussi bien civiles que militaires.
Heureusement pour moi qui était plus à l’aise avec le code Q plutôt qu’avec le code Z.
(En France les stations de la marine nationale sont spécifiques).
C’est pendant cette traversée que notre hélice à pas variable rendit l’âme : notre remorqueur US d’accompagnement (le MOLALA) nous prit en remorque, et c’est dans ces conditions triomphales que nous fîmes notre entrée dans le port de Panama.
Il fut décidé que la réparation s’effectuerait dans l’arsenal de Balboa.
La réparation de notre hélice à pas variable nécessitait le remplacement d’une pièce mécanique et au lieu de la faire venir des US, l’arsenal décida de réaliser cette pièce artisanalement : un seul ajusteur était capable de faire ce travail et il lui fallut 2 ou 3 semaines pour mener à bien cette réalisation ! nous eûmes largement le temps de visiter Balboa où il n’y avait pas grand-chose à voir.
Du coup, tous les autres dragueurs du convoi, les Français et les étrangers, nous abandonnèrent et poursuivirent leurs routes sans nous.
On nous laissa à notre triste sort et nous rentrâmes tout seuls comme des grands, quand la réparation fut terminée.
Après la traversée du canal de Panama, on engagea la traversée du golfe du Mexique car notre destination était Fort-de-France ; le Garigliano n’était pas un navire rapide ce qui nous permettait de mettre une ou deux lignes à l’eau pour tenter de pécher un thon : notre attente ne fut pas déçue, on tira de l’eau un gros poisson et le cuistot s’empressa de le mettre au menu dès le lendemain.
C’est toujours appréciable quand on est en mer de manger quelque chose de frais, aussi tout le monde fit honneur au repas : las ! le lendemain la totalité de l’équipage était intoxiqué et malade = soit la chair du poisson n’était pas comestible, soit le traitement en cuisine n’avait pas été correct…
On dit souvent qu’un malheur n’arrive jamais seul = un matin je sentis une piqure sur ma poitrine : horreur ! je vis dans mes poils une bestiole blanchâtre : un pou de corps ! j’en avisai aussitôt le quartier maitre infirmier qui décida de faire un contrôle sur tout l’équipage ; bien lui en prit car la totalité du personnel était contaminé.
On nous distribua de la poudre DDT, on s’enduisit la peau de la tête aux pieds et on poudra généreusement les bannettes* !
A cette époque on ne connaissait pas la nocivité du DDT, toujours est-il que les poux disparurent ; bien entendu personne ne revendiqua l’origine de cette infestation probablement due à un corps à corps dans cette bonne ville de Balboa…
La météo annonça le passage d’un cyclone dans la région : le Pacha changea de route pour l’éviter et descendit vers le sud, vers les cotes du Venezuela... mais ce cyclone était puissant et bien que nous fussions à une distance importante de l’œil, la mer devint vite impraticable avec des creux énormes : le malheureux Garigliano avec ses 600 tonnes et son faible tirant d’eau dansait la sarabande sur la crête des vagues ! résultat : un mal de mer épouvantable pour la quasi-totalité de l’équipage.
Un mélange de roulis et de tangage qui obligea le Pacha à réduire la vitesse pour essayer de ne rien casser = pourvu que la pièce de l’ajusteur de Balboa tienne le coup et que notre hélice ne nous lâche pas au milieu des éléments déchainés !
La mer se calma après deux jours de cette « branlée » et on reprit le cap de Fort-de-France.
Enfin une escale ou on put aller dans un petit restaurant manger un steak frites : cela nous semblait délicieux après plusieurs mois de régime américain.
Après une courte escale à la Martinique on reprit la mer plein sud pour rallier la Guyane.
Depuis notre départ de Seattle on s’arrêtait dans de multiples escales dont je n’ai jamais connu la raison…
A cette époque Cayenne était un tout petit port et faute de place, sans doute, on nous envoya s’amarrer dans une rivière sur un ponton en bois.
La rivière était vaseuse et il n y avait pas beaucoup de fond ; bien que le tirant d’eau très faible du Garigliano le permette, les crépines d’aspiration d’eau de mer trainaient sur le fond et aspiraient plus de vase que d’eau ! quand on tirait la chasse d’eau des wc il en sortait une boue très épaisse…
Un autre navire de guerre était là : le « Commandant Delage » ; on m’expliqua que ce bâtiment était un « semi-submersible », quelque chose entre le sous-marin et le bâtiment de surface.
Sa proue très effilée lui permettait de traverser les grosses vagues au lieu de le faire monter dessus.
C’était quelques jours avant le 14 juillet 1954 et le maire de Cayenne demanda un défilé militaire pour égayer la fête ! on nous distribua des pétoires qui dataient de la guerre de 1914 et on se mit à l’entrainement pour marcher au pas sur le ponton formé de grosses planches à claire voie.
Le Capitaine d’armes avait du mal à transformer des marins en fantassins en si peu de temps : le maniement d’arme était très loin de la perfection.
Au commandement : « Reposez arme ! », le Bidel criait = je veux entendre les crosses claquer en même temps sur les planches ! on recommence ! : plein de bonne volonté on faisait claquer sa crosse sur le plancher, jusqu’au moment ou l’un d’entre nous vit son arme disparaître dans l’intervalle des planches ; heureusement le levier de culasse se bloqua dans les planches et évita que le fusil ne disparaisse dans la boue du fleuve… on poursuivit l’entrainement dans un chemin de la foret équatoriale !
Le jour du 14 juillet notre escouade défila devant l’estrade des autorités : ce n’était pas fameux mais la petite foule nous applaudit quand même : l’essentiel n’était pas la démonstration mais plutôt notre bonne volonté !
Ce fut notre dernière escale sur le continent américain, on entreprit la traversée de l’Atlantique en mettant le cap sur Dakar.
Le temps de remplir les soutes de carburant et nous repartîmes aussitôt vers le nord : le Garigliano sentait son écurie et traçait sa route sans problème.
Voila cinq mois que nous avions quitté la France et chacun ressentait le besoin de retrouver son village et ses proches.
L’arrivée à Brest déclencha une activité fébrile dont nous n’avions plus l’habitude après la longue période de mer et la routine des quarts : en effet le parrain du « Garigliano » n’était autre que le Maréchal Juin qui avait été le chef de l’armée française en Italie en 1944.
Son armée avait enfoncé le front allemand (la ligne Gustav) sur la rivière Garigliano et ouvert la porte pour la prise de Rome.
Cette action décisive fut la raison pour laquelle le gouvernement provisoire lui attribua le bâton de maréchal.
Le Maréchal vint visiter le navire, fit un petit discours, serra la main de chacun et clôtura ainsi cet épisode de ma vie.
En effet pendant notre séjour aux USA, le corps expéditionnaire français en Indochine fut écrasé à Diên Biên Phu ; les militaires évacuèrent l’Indochine et la marine se retrouva avec des effectifs en surnombre.
Les premiers à en bénéficier furent les appelés : ainsi donc après douze mois de bons et loyaux services, la « Royale » me fit un certificat de bonne conduite et m’invita à aller me faire pendre ailleurs.
La marine militaire, toujours pleine d’humour, me congédia de la manière suivante = « le Quartier Maitre Radio de 1ere classe Garrigues sera renvoyé dans ses foyers le 19 janvier 1955 et placé en congé sans solde « ! ! non seulement les appelés ne touchaient pratiquement pas de solde, mais les fourriers chargés de me démobiliser me réclamèrent le paiement de mon habillement militaire ! (dans la marine, le marin est propriétaire de son uniforme) ; étant incapable de payer je dus rétrocéder ma tenue blanche et on m’enleva même mon caban en plein hiver ! le sac allégé sur l’épaule je partis tout joyeux mais je déchantais vite en voulant franchir la dernière porte de sortie de l’arsenal sous le pont de Recouvrance : les fusiliers marins chargés du contrôle des papiers ne voulaient pas me laisser sortir au motif que ma tenue n’était pas réglementaire ! j’avais beau expliquer que la marine m’avait repris mon caban, rien n’y fit !
On fit appel au Chef de poste, un premier Maitre « shako » qui comprit mon problème : je lui expliquais que j’avais loué une chambre à 200 mètres de là, près de la rue de Siam avec une tenue civile et que je ne resterai pas plus longtemps dans une tenue militaire incomplète.
Il me donna le feu vert en me recommandant de me mettre en civil immédiatement…
Ouf ! j’étais libre !… mais que la Royale était ingrate avec un citoyen qui avait donné un an de son temps gratuitement et l’avait servie loyalement.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’histoire du G.I. Lodusky Mccowen s’arrêta net. Aucun contact, aucune lettre ne suivit ma rencontre avec lui !
Il ne m’envoya ultérieurement aucun signe de vie.
De mon coté, je ne fis rien non plus, car mon esprit fut particulièrement occupé dans cette période de fin de service militaire et reprise de mon activité au sein de la marine marchande : il fallait se battre à cette époque pour se faire une place et se réinsérer dans la vie civile…
Je retrouvais vite un embarquement sur le M/S Capitaine Rio, un vracquier de la compagnie U.I.M. heureusement pour moi car la Royale me réservait encore une surprise.
Entre temps des événements politiques importants se déroulaient : L’Algérie entrait en rébellion entrainant la nécessité d’envoyer des troupes pour le maintien de l’ordre.
La Royale se souvint alors que je lui devais quelques mois et envoya les gendarmes à la maison pour me récupérer.
Mes proches leurs expliquèrent que j’étais quelque part en mer et qu’ils ignoraient la date de mon retour...
Les gendarmes repartirent bredouilles et je n’en entendis plus parler…
Fin de l’histoire de ma vie militaire.
Une autre histoire commençait, celle de ma navigation au long cours dans l’Océan Indien et dans le golfe Persique.
J’ai entrepris d’écrire ces souvenirs dans le but d’expliquer à mes petits enfants comment cela se passait dans les années 50 quand la France avait un empire colonial.
Un Quartier Maitre bien entouré.
L'émetteur du Garigliano un TBL de 200watts ondes moyennes et ondes courtes en A1 A2 A3.
Le remorqueur américain MOLALA ravitaille en gasoil un dragueur du convoi.
Le remorqueur américain « MOLALA » N° de coque ATF 106 indicatif d’appel NWZG (November – whisky – zoulou – golf).