Les premiers temps je me sens étranger dans cette immense école, où nous ne sommes que quatre pingouins au milieu de tous ces « chienleau », l’ambiance me semble bien différente de celle de Rochefort que je viens de quitter.
Au bout de la route qui passe devant l’EAMF, il y a la BAN Saint Mandrier et l’escadrille 12S commandée par Le LV HIECHE connu à Dakar, avec ses Sunderland dont j’ai la nostalgie. Je m’y rends souvent en visite pour me ressourcer.
Mais peu à peu à l’EAMF des liens s’établissent avec les cadres, mes collègues aéro et avec les élèves pour la plupart sympathiques.
Je passe au grade de maître le 1er avril 1957 (ce n’est pas un poisson !).
Malgré ma jeunesse d’âge par rapport à la moyenne, je suis très bien accueilli au poste des maîtres et je mange à la table du bidel : le PM POMPIGNAC.
Un vieux maître torpilleur qui est à la même table me demande l’année de ma naissance : à ma réponse 1929 il s’écrie « bon dieu, c’est l’année où je suis rentré dans la Marine ! »
En octobre 1957 l’EAMF m’envoie faire un stage de formation pédagogique à Pont Réan dont je vous parlerai une autre fois.
Nous ne sommes que quatre pingouins pour encadrer ces jeunes élèves maistranciers durant leur passage à l’EAMF, plus tard ils iront au CERochefort pour se spécialiser.
Nous sommes sensés leur apporter une préparation aéro « Cours d’aviation ».
Mais comment s’y prendre, il n’y a ni programme ni moyens pour ce faire.
Le seul matériel aéro dont nous disposons est un moteur Arsenal de Noroît, cet amphibie de triste renommée, entreposé dans un local près de la darse, dont il n’y a rien à tirer.
Mes prédécesseurs ont fait ce qu’ils ont pu avec le vieux manuel du mécanicien d’aéronautique, édité avant 1940, dont beaucoup d’anciens de mon âge ont été dotés à leur arrivée à la SMER et qui est complètement dépassé.
Aussi je forme le projet de préparer un cours ronéotypé avec des planches de dessins et des schémas, digne des maistranciers.
Je sors du BS et j’ai encore la matière grise bien entraînée.
J’en fais part à ma hiérarchie, on m’écoute avec intérêt mais je comprends que je devrais me débrouiller seul.
Je réunis un certain nombre de bouquins et de cours provenant de Rochefort et de Maistrance Aéro St Raphaël dans lesquels je puise ce qui me semble utile.
Ce sera long, le Mtre Chaveneau me donnera un bon coup de main pour les dessins et les calques.
Je quémande et fouine un peu partout pour avoir du papier machine et des stencils, on me « prête » un appelé qui sait taper à la machine…
Pour finir j’en appelle à une petite participation financière des élèves pour acheter les couvertures.
J’arrive enfin à faire une première édition mais je n’aurai pas l’occasion d’en faire une seconde corrigée, la première est pleine de petites imperfections à revoir dans les textes, car je passe premier maître le 1er octobre 1958 et je suis débarqué. (Voir photos)
Nous encadrons les élèves dans les locaux qui leurs sont impartis ; chambrées, salles de cours et dans leurs activités.
J’aurai ainsi l’occasion de participer avec eux à une sortie en mer d’une journée sur le célèbre cuirassé « Jean Bart ».
Par petits groupes je les conduirai à la BAN voisine pour des vols d’accoutumance sur des Sunderland de la 12S.
Ils découvrirons alors ce qu’est « une route mal pavée » un jour de mistral quand celui-ci transmet à l’avion, en basse altitude, tous les reliefs survolés.
Nous surveillons aussi les salles de classes et en particulier les jours de composition.
Un jour que j’étais de surveillance pour une composition d’histoire, j’ai été surpris par le comportement bizarre de certains élèves.
Ils sont entrain de « pomper » me dis je.
Je tonne : Tout le monde debout dans les allées !
J’inspecte alors tables et dans toutes je trouve des pompes ou antisèches.
Je ramasse tous ces papiers et j’annonce aux élèves que cette affaire resterait entre nous et qu’ils pouvaient reprendre leur composition et silence absolu !
Je n’ai pas su quelles notes leur avait donné leur prof d’histoire.
Dans leur livret de fin de cours où ils m’ont représenté sur un radeau on y voit « pompe historique, tops secret » en souvenir de cet incident.
Voir photo
Anecdotes :
- Dans les tous premiers jours de mon arrivée j’assiste au repas des maistranciers qui mangent dans leur chambrée après que les hommes de plat aient ramené les gamelles de la cuisine.
Je m’aperçois que les gars jettent tous leurs déchets sous la table.
Très étonné j’en fais la remarque et on me répond qu’ils balaieront après.
Je leur demande alors ce que penserait leur mère s’ils agissaient de cette façon chez elle. Vous devez avoir un peu plus de respect pour vous et vos camarades.
Je ne l’ai plus constaté après et je pense que ce n’était pas parce que j’étais de service ce jour là !
- A ma première ronde de nuit, un mercredi vers deux heures du matin, alors qu’il me fallait faire un tour complet de l’EAMF je suis surpris de trouver les cuisines équipages toutes allumées et de l’activité qui y règne.
Là on m’explique que pour les frites du jeudi, 1200 rations, compte tenu des faibles moyens en friteuses dont dispose les cuistots on est obligé de faire une pré cuisson dès cette heure !
- En mai 1958, au moment des événements politiques, j’encadre une section de Maistranciers prête à intervenir, avec d’autres troupes, en cas de désordres à Toulon dont le préfet maritime de l’époque est l’amiral Barjot.
Ils sont excités, ces jeunes maistranciers et l’un d’eux me demande si on ira avec de Gaulle ?
Ma réponse : nous obéirons aux ordre du gouvernement élu par vos parents, ne semble pas le réjouir !
Heureusement tout se calme et je n’aurai pas à contenir ces jeunes ardeurs !
- Les anciens de mon temps se souviennent qu’à chaque inspection générale tout le monde est pris de frénésie de peinture et de pinceaux, à l’EAMF comme ailleurs.
Mais ici le gris marine, le blanc et le noir sont les seules couleurs qu’on délivre et je voudrais bien mettre en pratique les enseignements du Cdt Ruillier à Rochefort quant à l’influence des couleurs sur l’ambiance des locaux dans lesquels on travaille.
J’en parle à la hiérarchie, on n’est pas opposé mais à moi de me débrouiller.
Avec mes collègues nous nous cotisons très légèrement pour acheter des colorants…
Les salles de cours peintes au blanc de chaux coloré, jaune, ocre, parme, font sensation, mais il a fallu que je discute beaucoup…
C’est sans doute pour cela que dans le livret de fin de cours les élèves me collent un « Projet » dans la poche et que dans ses appréciations générales à mon sujet, l’IMC2 Grondona, Cdt en second de l’EAMF, inscrira «esprit critique très développé (parfois même un peu trop) » !
- Les jours de paye de fin de mois il y a beaucoup de monde devant la porte de l’EAMF.
Par précaution, beaucoup d’épouses viennent attendre leur mari à la sortie pour ne pas les laisser seuls à Toulon ou ailleurs avec la paye dans la poche !
Des fenêtres de maistrance qui donnent sur l’extérieur, les élèves observent ce qui se passe et font des commentaires sur certains gradés qui les emm…. à l’intérieur mais qui filent doux devant la bobonne venue les attendre.
Quand j’habitais St Mandrier mon épouse venait chaque jour à ma rencontre mais je lui interdisais de le faire ces jours là !