Guerre civile à Mangareva
Il y avait sur les passerelles de navigation des bâtiments qui travaillaient pour le CEP, je l’ai vu sur « l’Amiral Charner » et sur le « Commandant Rivière » à la fin des années 60, un ouvrage qui nous faisait découvrir la Polynésie Française et principalement les îles de l’Est, dont je ne me rappelle pas le titre. C’était une forme d’Instructions Nautiques locale, en somme.
C’est dans cet ouvrage que j’appris que les Reao, atoll sur lequel je venais de séjourner presque un an, étaient originaires de Mangareva, des îles Gambier donc.
Plus tard, j’ai pu approfondir la chose, quand affecté à Taku, sur l’île de Mangareva, je baignais, dans ce milieu qu’à décrit le missionnaire Honoré Laval, et puis, m’étant procuré ses ouvrages, principalement dans le premier qui a pour titre : « Histoire ancienne d’un peuple polynésien », je fis connaissance avec cette guerre civile, dirait-on, qu’il décrit et qui vit la victoire de Rikitea sur Taku et la fuite des gens de Taku qui avaient provoqué ce conflit.
Bien entendu quand Laval est arrivé aux Gambier, lui et ses compagnons ne connaissaient pas un mot du langage de ces îles, venant directement de France via le Cap Horn et Valparaiso. Quand il eut appris la langue, il engagea ses ouailles, ceux qui connaissaient l’histoire réelle, et l’histoire légendaire, non écrites, à les lui raconter et c’est ainsi que le père Laval est devenu l’historien des Gambier
Avant l’arrivée des Européens et l’importation de nos maladies qui firent de très gros ravages dans tout l’Océan Pacifique, la population de ces îles étaient importantes, et l’étroitesse des terres disponibles fit que de nombreuses guerres se produisaient, entre famille, entre tribus, ou entre clans. Le père Laval, dans son histoire nous en parle d’un bout à l’autre
L’évolution fit qu’à la longue, ces îles comptèrent deux fédérations de tribus : Rikitea et Taku, mais ce n’est pas ce qui fit cesser les guerres, bien au contraire, il y avait trop de rancunes, trop de morts à venger.
D’après la généalogie des chefs de Rikitea, indiquée dans l’ouvrage, on peut penser que cette grande guerre s’est produite avant l’avènement de Henri IV, en France, soit au temps de nos guerres de Religion ; en gros :1570.
Apetiti était le chef du parti de Rikitea et Tupou du parti de Taku.
Le chef de guerre de Rikitea était Poro, celui de Taku se nommait Tahitu. Un jour, le combat se déroulait sur le rivage de Oneroa (dans le territoire de Taku) où les deux armées étaient aux prises quand, sur le versant de la colline, les deux « généraux » se trouvèrent face à face et engagèrent un combat singulier. Poro saisit Tahitu par les cheveux, l’abattit et ses suivants assommèrent le vaincu.
Tout le parti de Tupou se débanda et s’enfuit à Atihoi, puis à Apeakava à l’arrivée des vainqueurs, et des scènes de cannibalisme se déroulèrent. Le lendemain, le combat reprit, mais Tupou voyant fondre ses effectifs prit la décision de s’expatrier, de partir sur l’océan à la recherche de terre où s’installer lui et les plus compromis du peuple de Taku.
Tupou prépara, du côté de Akaputu et de Gahutu, à Taku, sept radeaux avec lesquels ils partiraient vers le nord explorer l’océan.
On peut se demander pourquoi Taku s’expatria sur des radeaux alors qu’ils connaissaient les grandes pirogues doubles. Personnellement, j’apporte l’explication suivante : les radeaux leur enlevait la possibilité de revenir sur Mangareva pour se venger, la navigabilité des radeaux étant quasi nulle par rapport à celle des pirogues.
Toujours est-il qu’un des chefs subalternes d’Akaputu n’a pas pris la mer, et sa mère, qui considère ce bannissement comme glorieux, ne cesse de lui rappeler.
Elle a composé un chant qu’elle lui serine souvent aux oreilles :
- Ô Tupou, ô mon roi !
- Le sourd mugissement des écueils se fait entendre sous les vents régnants, derrière Hararuru ; c’est pour toi qu’ils mugissent.
- Ô Tupou, ô mon roi !
- Hélas ! tu as disparu avec tes sept radeaux.
- Ô Tupou, ô mon roi !
- Et il en est encore un qui reste, c’est la pirogue double de Ma Pukutagaroa. Et que va-t-elle faire ?
- Ô Tupou, ô mon roi !
A la suite des incantations de sa vieille mère, Ma Pukutagaroa prit la route de l’exil.
Ce livre de passerelle nous informait que l’expédition des fuyards de Taku avait peuplé les atolls de l’Est dont Reao et Puka Rua.
André Pilon