Une description de Diégo, de sa rade et des environs datant de 1885
"""A bord du Bisson au port de la Nièvre, Diego-Suarez.
Lundi 26 octobre 1885, 4 h. 1/2 matin.
(…) Le lundi 26, à neuf heures du matin, nous sommes arrivés à Diego-Suarez. L’entrée de la baie est large de huit cents mètres environ. A peu près au milieu est un îlot relié à la côte nord par des hauts-fonds, de sorte que la passe se trouve au sud de l’îlot, et réduite à une largeur de trois cents mètres environ. Quelques torpilles et quelques batteries la rendraient inabordable. Dans l’intérieur de la baie, en face de l’entrée, l’île aux Aigrettes; plus loin, le cap Diego. Des fortifications sur ces hauteurs compléteraient le système de défense.
L’immense baie de Diego-Suarez, abritée de tous côtés, profondément dentelée, contient plusieurs baies plus petites et de nombreuses rades, dont cinq principales : baie du Tonnerre, baie des Cailloux blancs, baie du Sépulcre, port de la Nièvre, Cul-de-Sac Gallois, baie des Français. Laissant à sa droite la baie du Tonnerre, à sa gauche la baie des Français, le Bisson s’est dirigé tout droit sur le port de la Nièvre et a jeté l’ancre à côté de la Dordogne, gros transport-ponton affecté au service de Diégo-Suarez depuis le mois de juin dernier.
La baie de Diego-Suarez n’est pas au-dessous de sa renommée. Cette position célèbre est réellement splendide. L’aspect des terrains qui l’entourent est très varié. Dans le nord et l’ouest, des mamelons dentelés, ressemblant aux ruines de vieux châteaux forts, Windsor Castle, Dower Castle (j’espère qu’on ne leur laissera pas ces noms anglais). Au sud, ce sont des plateaux superposés, de vastes prairies qui s’élèvent en pente douce jusque vers la montagne d’Ambre, couverte de forêts. Dureau, Pierre Parent et moi, nous ne pouvions nous lasser d’admirer ce paysage qui nous rappelait le riche spectacle des hauts de Saint-Louis, à Bourbon.
J’ai eu le plaisir de retrouver à Diego-Suarez un ami, M. le capitaine de frégate Caillet, commandant supérieur du nouvel établissement. M. Poudra l’a retenu à déjeuner à bord du Bisson, après quoi M. Caillet a eu l’amabilité de nous faire parcourir la rade dans sa baleinière, remorquée par un canot à vapeur. Nous avons remonté pendant une quinzaine de kilomètres le cours de la jolie rivière des Caïmans, dont les rives sont couvertes d’une épaisse bordure de palétuviers. Le palétuvier est un grand arbre qui pousse en abondance dans les terrains où se fait le mélange des eaux douces avec l’eau de mer, et que la marée laisse à découvert. Ce bois est très liant, très dur, presque incorruptible, très bon pour la construction des navires et pour toutes sortes d’ouvrages de charpente. C’est aussi un excellent bois de chauffage.
Au retour de cette excursion, nous avons mis pied à terre au village d’Antombouck ou Antsirane, composé d’une vingtaine de paillottes malgaches, abritant une population très pauvre, de cent vingt ou cent cinquante habitants*. A gauche du village, le casernement de nos soldats, très bien conditionné, ici, comme à Vohémar et à Tamatave. Ici également, l’esprit de la troupe et des officiers est au-dessus de tout éloge. C’est avec un vif plaisir mêlé d’orgueil patriotique que nous leur avons serré la main.
Au-dessus du village s’élève un plateau qui s’étend vers le sud. Sur le rebord du plateau, deux fortins dominent le village et la rade. Nous y avons vu nos soldats, joyeux et contents de leur sort. A l’heure de notre visite, ils cuisaient leur fricot dans de vastes marmites, sur un feu bien flambant. On voit que l’on est dans un pays où la viande de boeuf n’est pas rare. Un caporal m’a offert de goûter à son rata de pommes de terre et de boeuf Je l’ai trouvé très bon et je m’en serais régalé séance tenante, si nous n’avions dû nous rendre à l’invitation du commandant Caillet, qui nous a emmenés dîner à bord de la Dordogne."""
Textes extraits de : « Autour de l’île Bourbon et de Madagascar - Fragments de lettres familières »
de François de MAHY (1830-1906), ancien ministre de la marine, député de l’île de la Réunion, défenseur de la question de Madagascar.
PARIS - ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR 23-31, PASSAGE CHOISEUL, 23-31