Le 30 mai en fin de journée, un camion puant Citroën quittant le CFM nous conduisit à la gare de Rennes afin de prendre la direction de Paris. Le but de notre voyage, c’était Toulon et l’école des timoniers qui était établie au fort Cap Brun. De ce voyage de 24 heures vers le midi, c’est étrange, il ne me reste aucun souvenir. Bien entendu, Rennes-Paris se déroula de nuit ; ensuite, il nous fallut embarquer dans un car qui nous attendait, un car de la marine à Paris probablement, m’a rappelé un camarade qui était du voyage, pour rejoindre la gare de Lyon où nous prendrions à nouveau le train pour le midi de la France. La seconde partie du voyage était pourtant susceptible de m’intéresser, d’un bout à l’autre, il allait se dérouler dans des régions inconnues pour moi, il y avait donc matière à satisfaire ma curiosité ; et bien non, aucun souvenir ne m’en reste. Un tel voyage Paris-Toulon peut se dérouler sous la pluie au départ de Paris, ensuite à partir de Dijon, l’amélioration peut de dessiner et puis à Lyon le beau temps est là et ce qui est sûr, c’est qu’à partir d’Avignon c’est le ciel lumineux et le grand soleil provençal qui domine ; et bien non, rien de tout cela n’est resté marqué. Ce n’est qu’en déscendant du train que j’ai pris conscience que nous venions de débarquer dans une magnifique région. Le paysage était remarquablement coloré, je découvrais les premiers palmiers devant la gare, n’en ayant auparavant vu que sur des cartes postales, et puis autre chose qui frappait, c’était l’habillement léger des gens qui semblaient être aussi nombreux et animés qu’à Paris.
Nous étions donc le 1er juin en fin d’après-midi ; le même camion Citroën que ceux de Pont-Réan nous attendait devant la gare pour nous conduire à notre destination. Du fait qu’il fasse si beau, il me semblait qu’il était moins puant, je pensais alors qu’un carburateur fonctionne mieux dans un pays chaud.
Le fort du Cap Brun (qui est de nos jours la demeure du préfet maritime) se trouve au haut d’une petite colline comme il y en de nombreuses bordant le littoral varois, environ à trois kilomètres du centre ville. Nous y sommes vite rendus, tout le trajet se déroule en ville et puis dans les faubourgs ; nous suivons bientôt une avenue parcourue de rails de tramways. Le parcours se termine par un raidillon et quelques virages marqués et nous arrivons devant la porte du fort qui doit-être une construction de Vauban comme il y en a plusieurs dans les environ de Toulon. Celui-là est a été édifié sur une avancée rocheuse et environ à une centaine de mètres de hauteur.
Alors qu’il se fait déjà tard, le gradé qui nous accueille à la descende du véhicule nous demande de porter nos bagages au premier étage, là où nous allons loger et de redescendre pour notre repas.
Au premier niveau, en haut de l’escalier, il y a là les élèves d’un autre cours qui nous regardent arriver « les bleus » que nous sommes, d’un air moqueur et supérieur. Comme ils vont nous bizuter ce soir, ils doivent déjà repérer leurs cibles. Nous apprendrons que leur cours est commencé depuis quatre mois et qu’ils ont fait un an à l’école des mousses. Alors que nous nous découvrons la marine, eux ils sont déjà des petits « durs ».
Aucun souvenir du repas bien sûr ; le réfectoire est une grande salle d’une austérité toute monacale où ne se trouvent rien d’autres que des bancs et des tables ; aucun décor aux murs peints en gris clair, aucune plante verte par exemple.
Et puis alors que la nuit tombe voici que nous allons découvrir à nous servir d’un hamac, ce que nous ne connaissons pas encore à ce jour puisqu’à Pont-Réan nous possédions des couchettes qui étaient là peut-être déjà du temps des Allemands.
Alors les « anciens », sont venus nous aider à gréér ces hamacs ce qui n’est pas inné, mais qui n’est pas difficile, ils ont apporté aussi des morceaux de bois, appelé les bois de lit, qui permettent de tenir écartés les deux bords du hamac.
Pendant ce temps-là, la nuit s’est faite totalement noire et nous apprenons à accrocher nos hamacs et à y monter en prenant à pleine main une barre métallique placée là dans ce but et à faire un rétablissement pour s’y allonger, les boucles des extrêmités se trouvant environ à 1 mètre 80.
Nous apprenons qu’il y a extinction des feux à 22 heures, ce qui permettra de faire connaissance plus amplement avec nos anciens qui roulent un peu les mécaniques en nous précisant ce que nous allons trouver ici.
Mais voilà que l’un de notre groupe est bien embêté, comme les autres, il n’a probablement jamais dormi dans un hamac, ni peut-être jamais entendu parler de ce système de couchage, donc comme les dix-neuf autres il découvre cela ici. Ce garçon, qui arrive de Mimizan avec sept camarades est Algérois et mesure 2 mètres 03, il a donc la tête et les pieds au-dehors de la toile de son hamac, sur les araignées qui sont les petits filins qui rayonnent à son extrémité. Le lendemain, après exposition de ce cas aux autorités du fort, le problème sera résolu en cousant ensemble deux fois deux tiers de hamac, il dormira donc dans un hamac long d’environ 2 mètres 50. Mais ce n’est pas tout ; il venait donc d’Algérie, où il avait fait sa formation maritime, il arrivait avec un papier du médecin de là-bas en poche expliquant qu’il était en déficit de croissance et qu’il devait lui être fourni double ration en nourriture, excepté en vin. Le fait est qu’il était un ogre et même avec ses deux rations ce qui pouvait rester dans les assiettes de certains il se l’appropriait. Par contre, il n’aimait pas la purée de pois cassés – ce qui revenait souvent -, alors pour les gourmands de cette denrée, sa double ration c’était l’opulence ; j’étais de ceux-là et des pois cassés je m’en faisais péter la panse.
A dix heures on éteignit les feux lorsque le clairon, dans le vaste hall à l’entrée de ce bâtiment, sonna la sonnerie de l’extinction. C’est là que commença notre bizutage.
Lorsque les feux sont éteints, on doit dormir et rien autre chose et surtout ne pas parler ; Et voilà que dans la salle, où nous sommes donc vingt, on entend parler à voix feutrée. Et sans tarder quelqu’un secoue rudement mon hamac et celui d’à côté, et sans allumer, une voix peu douce crie :
- Avez-vous fini de parler vous deux ? Et que je ne vous y reprenne pas.
Au bout de quelques minutes, voilà la même conversation qui recommence, mais il me semble qu’elle vient de sous nos hamacs, mais je ne peux pas voir s’il y a quelqu’un de tapi là puisqu’il fait noir.
La lumière s’allume alors et un grand quartier-maître nous ordonne, à mon voisin et moi, de nous lever et de faire dix pompes, naturellement les autres lascars qui étaient sous nos hamacs avaient disparu. A l’autre extrêmité de la salle deux autres nouveaux, aux prises avec un autre quartier maître étaient entrain de subir le même sort. On eut beau dire que l’on avait pas parlé, il fallut faire notre punition ; le quartier-maître avait « tout entendu ».
Le lendemain, nous découvrîmes que les quartiers-maîtres c’était les apprentis Ollivier et Barrouquère, on en rigola, bien sûr.