Pour
Michel, voila ce que j'ai trouvé concernant Zanzibar et Henri de Monfreid.
Au carrefour de l'Inde, de l'Arabie et de l'Afrique, l'île, située au large de la Tanzanie, ouvre le continent africain aux explorateurs.
Elle va devenir un fantasme pour les écrivains et les poètes, Rimbaud, Kessel et Conrad, qui l'ont rêvée sans pouvoir l'atteindre.
Naissance d'un mythe.
Dans Le devisement du monde, Marco Polo décrivait ainsi Zanghibar : «Une île noble et grande, qui a bien environ deux mille milles de tour.
Les gens sont tous idolâtres, ont langage à eux et ne paient tribut à personne. [...]
Ils sont si grands qu'ils ressemblent à des géants...» (p. 285)
Depuis, l'île a colporté son mythe à travers son nom improbable, qui désignerait la «terre des Noirs» en arabo-persan.
Située à proximité des côtes tanzaniennes, elle servit de camp de base aux expéditions anglaises à destination du «c?ur des ténèbres».
L'écrivain-explorateur Burton y résida avant de se lancer à la recherche des sources du Nil.
Jules Verne voyait en elle le lieu idéal pour enclencher l'aventure de son premier roman, Cinq semaines en ballon.
Neuf ans après les héros verniens, un journaliste du nom de Stanley débarque à Zanzibar sur les traces d'un grand explorateur disparu : «Parmi ces images confuses et mouvantes, je distinguais à peine les Arabes des Africains, les Africains des Banians, les Banians des Hindous, les Hindous des Européens.
Zanzibar est le Bagdad, l'Ispahan, le Stamboul de l'Afrique orientale.
C'est le grand marché qui attire l'ivoire et le copal, l'orseille, les peaux, les bois précieux et les esclaves de la région.» (Comment j'ai retrouvé Livingstone, p. 6)
Carrefour maritime de l'océan Indien, possession du sultanat d'Oman puis protectorat britannique, Zanzibar fit fantasmer des milliers d'érudits au cours des derniers siècles.
Pourtant, l'île fait surtout figure de rendez-vous manqué de l'histoire littéraire.
Arthur Rimbaud, qui ne parvint jamais à s'y rendre, la mentionne à cinq reprises dans sa correspondance : «Peut-être irai-je à Zanzibar, d'où l'on peut faire de longs voyages en Afrique...» (23 août 1887) «Et peut-être ne partirai-je pas pour Zanzibar, ni pour ailleurs...» (24 août 1887) Joseph Kessel connut la même malédiction : «Zanzibar... Je n'aurai plus jamais loisir de m'y rendre.
Zanzibar, paradis dans l'océan Indien, embaumé de clous de girofle.» (Le lion, p. 112)
On ne compte plus les écrivains aventuriers qui n'y ont jamais posé pied : Conrad, Cendrars, Segalen... Henry de Monfreid, après avoir bourlingué d'Alexandrie à Aden et de Mascate à Bombay, ne semble pas avoir descendu la côte des Somali jusque-là...
Experte en «esprit des lieux», Nathalie de Saint Phalle garde espoir : «J'irai à Zanzibar.
J'irai parce que j'en rêve comme j'ai rêvé de Trébizonde. [...]
Parce que 27 ans c'était l'âge de Rimbaud lorsqu'il a débarqué dans le port d'Hodeidah à la recherche d'un travail.
J'irai aussi à Zanzibar parce qu'il en a eu l'obsession...» (Hôtels littéraires, p. 462).
A l'âge de 27 ans, Evelyn Waugh a eu cette chance rare.
Le futur auteur de Grandeur et décadence arrive dans l'île après avoir assisté au couronnement d'Hailé Sélassié en Abyssinie : «Des palmeraies s'étendent de part et d'autre; la ville semble très petite et plate. [...]
Sur le quai, les deux principaux monuments sont le palais du sultan et le "palais des Merveilles" - traduction du nom donné par les Arabes à l'hôtel de ville.»
(Hiver africain, p. 203)
Mais Waugh n'apprécie pas son séjour, tant la chaleur l'accable : «Je prends des notes sur l'histoire de Zanzibar ; l'encre se dilue dans les gouttes de sueur qui tombent sur le papier.» (id., p. 194) Jean Rolin est le dernier gagnant de cette loterie géographique.
Sur place, il rêve à «cette insouciance, cette apparente absence de mémoire, qui font la beauté de ces palais abolis, de ces cimetières d'une religion indécise, aux tombes renversées, de ces escaliers effondrés donnant sur des cours vides d'où jaillit la flèche d'un cocotier, de cette forteresse portugaise livrée aux piaillements des orphelins d’État et de ces bains persans aux coupoles béantes, alourdies de chauves-souris en grappes [...] attestant que si l'Afrique est le continent où les choses vieillissent le plus vite, c'est aussi celui où elles durent le plus longtemps.»
(La ligne de front, p. 22)
Cet étrange vieillissement intemporel donne son charme incomparable à Zanzibar.
Le voyageur y retrouve le fil de ses rêves, entre la maison de Livingstone et le palais des Merveilles, toujours présents, à défaut des géants de Marco Polo.