Le premier soir dans la chambrée il y a eu pas mal de b....l car les marins-pécheurs, plus ou moins réfractaires, n'étaient pas du tout contents de se retrouver là et ils n'ont pas manqué de le faire savoir.
Le bâtiment dans lequel nous couchions comportait deux chambrées séparées par les armoires de rangement disposées dos à dos.
La chambrée voisine de la nôtre était libre de tout occupant.
Une semaine après notre arrivée a débarqué une bordée de futurs EOR qui s'est installée dans cette chambrée disponible.
Je ne sais plus pour quelle raison il y a eu un conflit entre les deux groupes qui a déclenché une bagarre générale du type oreillers, polochons, chaussures et autres objets à portée de mains et de préférence au voisin.
Plutôt une rigolade et un défoulement !
Après quelque temps "derrière le barreaux" nous avons eu une permission de sortie pour un dimanche.
Une course en canot sur le lac avait été programmée pour le lendemain.
Elle devait se pratiquer à deux par embarcation.
Naturellement mon acolyte ne pouvait être que mon matelot-cuistot qui ne faisait guère de différence entre un aviron et un tangon.
On était mal parti !
Bref, pendant que les marins-pécheurs s'en donnaient à cœur-joie dans les bistrots, j'avais recommandé à mon second de rester sobre s'il ne voulait pas "donner à manger aux poissons" le lendemain.
Nous sommes rentrés sains et sobres pas trop tard en fin de journée pour passer une bonne nuit et être au plus frais à l'heure du départ le lendemain.
Les marins-pécheurs sont rentrés tard dans la nuit et pour certains tôt le matin.
Tard ou tôt, je peux te dire, mon ami, qu'il y avait du vent dans les voiles et une mer force 5 !

La nuit portant conseil je me suis réveillé avec une petite idée en tête.
J'ai avalé mon petit déjeuner en vitesse et suis allé jeter un œil sur les canots ; je voulais vérifier un point tout particulier qui m'a bougrement rassuré.
On était déjà moins mal parti.
Les marins-pécheurs n'étaient vraiment pas frais du tout: réveil type mal de mer et grosse GDB en général.
On était encore mois mal parti !
J'ai même cru que l'on finirait la course.
A peine embarqué j'ai installé mon matelot sur le banc de nage du milieu face à la proue et je lui ai dit :
- Tu ne lâches pas la bouée des yeux et tu me guides droit dessus par "un peu à droite, un peu à gauche ou c'est bon comme ça".
Pour ma part je me suis mis debout à l'arrière, j'ai positionné l'un des avirons - l'autre ne servant plus à rien – dans l'engoujure du tableau et nous voilà partis... à la godille au grand étonnement des marins-pécheurs qui ont bien cafouillé tout le long de la course tant ils étaient encore dans les vignes du seigneur et dans les effluves du divin nectar.
Malgré tout, de temps à autres, je regardais la bouée pour faire le point.
Nous l'avons passé les premiers et sommes arrivés de même.
Quand je dis "nous" c'est parce que sur un navire aussi petit soit-il, l'équipage ne fait qu'un.
C'est donc dans la nuit que cette idée m'est venue de faire la course à la godille puisque je ne pouvais pas compter sur mon matelot.
Et mon petit tour au bord du lac le matin c'était tout simplement pour m'assurer que le tableau arrière possédait bien une engoujure pour la godille.
Sinon on était foutu !
J'étais assez content de notre exploit vis à vis de tous ces marins-pécheurs qui nous avaient un tant soit peu charrié eu égard à nos capacités de marins.
Un cuistot et un gars qui a navigué au commerce ne peuvent pas gagner ce genre de course !!!
En fait je n'avais guère de mérite étant breton à 50% et ayant passé toutes mes vacances de jeunesse au bord de la mer dans les Côtes du Nord ou je suis né et ou j'étais toujours fourré sur les plages à courir pieds nus sur les galets avec mon jeune frère et les copains du chemin de la Marine au Port-Blanc.
C'est là que j'ai appris à godiller avec les marins du port.
Mais ça, personne ne le savait.
M...e, c'est vachement loin ce bon temps où j'ai appris à aimer ... la mer : 70 ans !
Voilà pour cette escale anecdotique.
Bien à vous tous ACB et surtout à ceux que j'ai connu sur le Guépratte.