Nos con gaï
Comme un écrivain les appelait dans un de ses romans, relatant l’histoire d’un enseigne de vaisseau de Toulon au sujet d’une affaire d’espionnage au début du siècle dernier, « Les petites alliées. »
Nous avions nos congaï.
Elles savaient TOUT.
Bien avant nous et surtout avant nos services secrets.
Je vais donc vous raconter l’histoire de la mienne.
Elle s’appelait Hélène, de son vrai nom N’Guyen Thi Tu, née vers 1933 à Ving Long (d’après sa carte d’identité.)
Lorsque je suis arrivé à Saïgon j’ai été logé à l’Avalanche à la Base fixe.
La j’ai rencontré un matelot du Chélif (Francis) qui m’a dit : « Si tu sors, va faire un tour à Virgile, dans tel bar tu demanderas Hélène et tu lui diras que je ne peux plus venir la voir, je parts aux sections ».
Je l’ai vue, elle était belle très coquette, un maquillage discret, une beauté quoi.
Je lui ai fait la commission, elle avait de la tristesse dans son regard et également une larme.
J’aurais du profiter de l’occasion, mais j’avais déjà de l’amour propre ; on ne chasse pas sur les terres d’un copain, en plus j’étais déjà fauché.
J’ai fini ma bière et je suis parti en lui disant à bientôt.
Quelques mois plus tard, un soir ne sachant où aller, je suis retourné voir Hélène, elle m’a reconnu tout de suite et m’a demandé des nouvelles de Francis, j’ai dit que je n’en avais plu.
En réalité il était rentré en France, mais il ne voulait pas lui dire.
Le soir elle m’a emmené chez elle, une cagnä située au 309/105 avenue du Général Chanson.
C’était merveilleux, de plus elle avait été bien éduquée.
J’ai passé une année merveilleuse avec elle, un vrai bonheur.
Nous sortions beaucoup ensemble.
Bien entendu, elle avait un défaut, le jeu comme presque tous les Vietnamiens.
Elle savait aussi assurer ses vieux jours, les jours pairs elle vivait avec un second maître aéro de Tom Son Ut et les jours impairs avec un sergent chef du génie.
Quand j’arrivais à Saïgon elle était toujours libre.
J’ignore comment elle se débrouillait.
Des fois on parlait avenir, elle me disait si tu veux on se marie mais si un jour je retrouve Francis, je partirai avec lui. N’étant pas majeur je n’ai jamais rien demandé, je vivais le temps présent.
Elle ne m’a jamais questionné sur mon travail ni où on allait, seulement elle disait « écrit moi je te répondrai. »
Effectivement je lui ai écrit et elle m’a répondu, comme elle ne savait pas lire, elle faisait faire son courrier par l’écrivain public.
Elle me donnait tout le programme des transports que nous devions faire, les opérations, les escales et notre arrivée à Saïgon, la durée du séjour, le passage en bassin, etc…
Au vu des ses informations j’établissais mes perms de remplacement et je portais tout ça au bidel.
Jusqu’au jour ou le pacha est entré au PC trans, il a demandé à voir les messages secrets, bien entendu, il n’y en avait pas.
Il m’a dit " que vous lisiez les messages avant moi, c’est normal vous les déchiffrez, mais j’aimerai les lire avant le bidel ».
Je lui ai expliqué d’où venait ces infos et j’ai montré la lettre, il a dit que c’était des bêtises et qu’il ne fallait pas croire ça.
Huit jours après je passais ma nuit à déchiffrer les fameux messages.
Leurs textes disaient tout ce que m’avait écrit Hélène.
Il y en a eu beaucoup d’autres semblables.
Peur être qu’elle travaillait pour les viets ?
Une fois elle était partie voir sa mère qui était malade à Vinh Long.
Je l’avais accompagné au marché de Saïgon où elle avait pris un bus chinois.
Je l’avais retrouvé trois jours après dans sa cagnä.
Elle était toute griffée comme si elle avait rampé dans les ronces, bien entendu je l’ai interrogé, mais elle ne m’a donné aucun renseignement.
Je n’ai pas insisté, j’étais trop content de l’a retrouvée.
En octobre j’ai du la quitter pour partir au Japon.
J’avais bien trouvé un permutant sur le LCI sanitaire, un copain de mon cours (Guy Valois), mais son pacha a refusé la permutation parce qu’il ne lui en avait pas parlé avant.
Notre séparation fut bien triste.
Quand je suis revenu, six mois après, Hélène n’était plus là.
J’avais un copain gendarme, je lui ai demandé de se renseigner, il l’a fait : Il a retrouvé sa trace dans un BMC de la légion à Ghia Din et puis plus rien, elle avait complètement disparue.
C’est une histoire toute simple comme nous en avons vécues la bas.
Nous étions jeunes, on n’avait pas vingt ans.