Bizutage au Cap Brun, à l’école des timoniers.
A l’école des timoniers, pendant les six mois où j’y fis mon cours de BE, le mât de la passerelle du milieu du fort, et dont je ne me rappelles pas le nom fut un beau matin bien surchargé, croulant de « signaux ». Ah ! comme l’on s’est bien amusé ce soir-là et le lendemain matin : apprentis, permanents et instructeurs (qui ne participaient pas). Une sorte de bizutage, mais somme toute bien doux.
En 1950, l’école des radios est installée à Porquerolles, elle est comme celle des timoniers, une école TER et dépend de la même autorité ; nos deux écoles ont donc des « atomes crochus » et à ceux de là-bas qui viennent de cette île à Toulon pour diverses causes, corvée ou mouvements, il leur arrive de prendre subsistance au Cap Brun.
C’est ainsi qu’un soir, nous vîmes arriver une bonne quarantaine de « bleus » venant de Pont-Rean et destinés à Porquerolles, un cour de radios tout neuf en somme, qui vinrent « directo » de la gare, en camion, manger et dormir chez nous avant de pouvoir prendre la barcasse pour leur île le lendemain matin. On se mélangea bien vite à eux et surtout pour leur apprendre à gréer leurs hamacs ; ils sortaient de Pont-Réan et avaient, comme moi, deux ou trois mois plus tôt, dormi en couchette. En effet, je fis mon apprentissage du hamac, ici même au Cap Brun. Gréer son hamac, ce n’est pas inné surtout pour les terriens qui n’ont jamais ou presque, touché un « bout ».
Il y avait alors deux cours de timoniers, les anciens qui avaient quatre mois d’avance sur le mien, qui étaient une trentaine et originaires de l’école des mousses et qui nous avaient un peu bizutés lors notre arrivée le premier juin dernier et dont j’avais été victime. En effet, un Q/M de ronde (un faux QM, réglementairement galonné, qui n’était que l’apprenti O. m’avait surpris à causer avec mon voisin de hamac au lieu de dormir) ce qui n’était pas vrai bien sûr. Et quand, une nouvelle fois deux cornichons se mirent à parler tout près de là bien entendu le QM tomba encore sur moi, me fit lever et faire deux ou trois séries de pompe (ce fut dur), tout ça dans le noir ou presque. A l’autre bout de la salle, un autre QM de mes chaussettes s’en prenait au matelot D. qu n’avait pas plus parlé que moi. Et je peux vous dire que parmi les dix-huit autres qui faisaient semblant de dormir personne ne pipait, chacun se demandant si la foudre allait tomber sur son hamac.
Assurément, dans la pénombre il y avait tout le cours qui se bidonnait ; mais on ne les voyait pas.
Pour le bizutage des bleus, futurs radios, le meneur fut le même et ce soir-là, j’étais passé dans son camp.
Une demi-heure après l’extinction des feux, une quinzaine de voleurs pénétrèrent dans leur salle et dérobèrent en quelques secondes et à grandes brassées, un maximum de pantalons, de vareuses de travail ou de bleu de draps ainsi que quelques tricots rayés, que chacun avait disposés sur des bancs tout autour de la pièce avant de grimper dans son couchage. A l’école des timoniers, les hamacs étaient crochés à des barres métalliques fixées environ à deux mètres de hauteur d’où facilité d’évolution au-dessous. La razzia fut vite faite et chacun courut dans le noir, grimpa à la passerelle centrale, pour y déployer tout ce linge.
Au huit drisses (je crois qu’il y en avait huit), fut accroché tout ce linge du haut en bas, fixé par du fil à voile. Il n’y avait jamais tant eu de pavillons de hissés pendant les exercices de flottants.
Le lendemain matin, le mistral qui s’était levé pendant la nuit, soufflait et c’était vraiment spectaculaire dans le grand soleil matinal éblouissant cette mâture surchargée de pantalons, de vareuses et de tricots rayés et non pas de pavillons de signaux. Ceux qui rentrèrent de terre (pas les élèves), dirent qu’aux alentours c’était quasiment une curiosité et un amusement pour tout le quartier ; nous savons que les mâts du Cap Brun dominaient l’environnement et étaient un repère dans le paysage.
Nos pauvres bleus, futurs radios, en riaient aussi, mais d’un rire un peu forcé. A moitié à poil, en caleçon, certains étant torses nus, il n’avaient pas chaud dans le mistral matinal de cette fin d’été (nous savons qu’il est fort ce vent au Cap Brun). Et puis cela prit beaucoup de temps on ne pouvait généralement reconnaître tout ce linge mélangé qu’aux matricules. Tout fut bientôt remis dans l’ordre et nos visiteurs purent prendre, après avoir déjeuner, leurs camions pour les conduire au bateau de Porquerolles.
Je me souviens de trois noms parmi ces élèves radios : Salaün et Lepape, à qui j’avais appris à gréer les araignées de leur « bois de lit », et Lemercier, ex matelot d’équipage comme moi, à Pont-Réan ; s’ils me lisent, cela leur rappellera quelques bons vieux souvenirs, et qu’ils me fassent donc signe.
André PILON