Le Golo à Haîphong, première sortie :
Vous avez pu lire, dans le post « les LST » la magnifique traversée depuis San Francisco, qui fut de tout repos en attendant les corvées majeures d’Indochine.
Du reste, aussitôt arrivés on s’en est rendu compte pendant ces quatre jours d’escale à Haïphong, avec le débarquement de tout ce matériel transporté et embarquement d’un autre chargement vers Saigon.
C’est que, comme vous le savez, sur un bateau, il faut tout élinguer, et alors, avec les 85 jeeps que nous avions sur le pont, les ridoirs, tendus, s’entrecroisaient en tous sens.
Et puis une fois en route il faut des rondes en permanence pour les retendre ; c’est le rôle des boscos qui sont des connaisseurs en la matière.
Du reste, un jour que je n’étais plus à bord du Golo, il y eut, dans le hangar, des chars ou autres véhicules qui ont rompu leurs amarres et j’ai entendu dire que ce ne fut pas rose ; peut-être que Raymond Stéphan était encore à bord et qu’il pourra en parler ?
Pendant cette escale d’Haïphong, j’ai pu aller à terre une seule fois, et, entraîné par les crabes-chefs qui en étaient à leurs deuxième séjour, visiter une maison très hospitalière.
Ils connaissaient vraiment le chemin.
En fait nous fîmes deux maisons, car dans la première, les queues étaient tellement longues (je parle de la file d’attente) devant les portes de ces demoiselles qu’il aurait fallu attendre son tour trop longtemps alors, comme dit ma voisine : et bien ! nous changeâmes de crémerie.
Là, dans la seconde, c’était pareil, c’est à croire que toute l’armée du Tonkin s’était donné rendez-vous en ces lieux.
Nous nous trouvions dans une vaste salle sur laquelle donnaient l’ouverture de quelques portes de chambres, six ou sept ; l’une de ses portes était munie d’un grand guichet, et là, une adjointe à la mère maquerelle distribuaient des tickets ; un bon de saillie, en fait.
Je me souviens que ce ticket, en 1953 donc coûtait 20 piastres.
La piastre étant alors à 17 francs cela mettait « le voyage » à 340 francs français, des anciens francs bien sûr.
Un pensée me vint alors, je constatais que c’était à quelques francs près le même prix que la tarification des petites amies de Toulon, dans les maisons que fit fermer le « brave père la pudeur », M.A., maire de Toulon, à la fin des années cinquante, du côté de la porte d’Italie.
L’une des portes des chambres étaient ouvertes, c’était le bureau de la mère maquerelle et de ses ajointes, qui allaient probablement encaisser une grosse somme en fin de journée (de gros rouleaux de piastres sur lesquelles le Viet Minh prélèverait probablement un impôt).
De temps à autre, elles jetaient un coup d’œil dans ce hall d’attente, d’un air méfiant et soupçonneux.
A un moment l’une d’elles brandit à bout de bras sa claquette en bois en direction d’un type qui faisait l’andouille dans une des files d’attente ; elles faisaient leur police elles-mêmes, et si trois harpies de ce genre étaient tombées sur le gars à coups du « tranchant » de la claquette en bois, il aurait eu de belles bosses au front ; je vous prie de croire que ça fait mal ; je le sais pour y avoir goûté du côté de Gallioche.
Mais la patrouille militaire passait là et, surtout quand c’était celle de la Légion, il y avait intérêt à se tenir à carreau.
Mais alors, c’était bien long d’attendre son tour, et pourtant la visite dans la chambrette n’était pas longue et c’était minuté.
De temps à autre, une maquerelle adjointe cognait dans la porte ce qui voulait dire qu’il était temps de sortir, le client en avait eu pour son argent, ce client avait dépassé le temps que lui donnait ses 20 Piastres.
Mais alors, il fallait voir le hall d’attente, il était vraiment cosmopolite et sur tous les plans :
Il y avait là : des noirs, des jaunes, des blancs.
Il y avait là : des petits, des grands, des gros et des maigres.
Il y avait là, tous en tenue : des biffins, des marins, des aviateurs, des légionnaires.
Et puis : un caporal, un sergent, un quartier-maître, un second-maître, un deuxième classe, un marin en blanc ou en kaki, d’autres en bleu de drap etc…
Ceux qui auront eu besoin, de cette maison hospitalière, dont je ne me rappelle pas le nom, auront remarqué que ce n’était pas l’hygiène qui dominait et dans la chambre où je rentrai, mon tour venu, il y avait derrière la porte une cuvette pleine d’eau dans laquelle nageait de la semence humaine sans avenir.
André Pilon