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REAO, l'écho d'un lointain lagon.
jean-claude BAUD- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 83
- Message n°477
Consécration de la nouvelle Église.
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"Puisqu'on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter les voiles".
[James Dean]
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°478
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Souvenirs des atolls ou : la vie de tous les jours
Voici, pour un météo, l’équipement nécessaire pour une poursuite du ballon-sonde avec le Radiothédolite dit RAWIN (radio wind), au haut de la tour supportant l’appareil, environ à six mètres de hauteur.
Une fois que l’on y est, c’est pour 40 minutes quand on emploie le ballon delacoste en caoutchouc, pour une heure si l’on emploie de ballon kaysam 230 ou 330 (que delacoste reconditionnera)
Une fois que l’on est monté tout là- haut, on est coincé donc pour ce temps-là.
Effectivement, comme on dit, il ne fallait pas « s’embarquer » sans biscuit.
- Avant de monter, se vider, c’est-à-dire uriner. Ben oui, on y est pour une heure en haut.
- Prendre le Di-temps, c’est-à-dire cette espèce de réveil qui sonne toutes les 30 secondes. Là-haut, il donne le moment – toutes les minutes dans ce cas – où il faudra relever le site et l’azimut du ballon, c’est-à-dire sa position donnée par un émetteur qui pendouille à l’extrémité d’un bout (un marin ne connaît pas le mot ficelle).
- Prendre la planchette munie d’une pince et de feuilles normalisées pour inscrire les données lues sur les cadrans du récepteur
- Prendre un crayon à papier, taillé au deux bouts, voire un crayon de rechange, taillé aussi au deux bouts, et puis un taille-crayon à mettre dans la poche, en secours.
- Se munir d’une musette et passer au frigo, y prendre six bières et ne pas oublier de faire six bâtons sur la planchette, matérialisant les six bières. En général elle est accrochée au frigo.
- Pendant les mois froids de juillet août, et qu’il fait du vent, les orteils sont vite refroidis, il est utile de prendre une paire de chaussettes, et puis un tricot de peau et une chemise.
Mais au bout de la troisième bière, l’envie de pisser peut se faire sentir, il n’est pas interdit de pisser depuis le haut de la tour. On lâche alors les manivelles entre deux sonneries de ce Dit-temps. Mais auparavant, il est nécessaire de bien inspecter l’environnement car avec un bon alizé, le jet file vite vers l’ouest et éclabousse quiconque se trouverait là. Vous pouvez rire, cela s’est vu. Mais à six mètres, c’est déjà pas mal dilué.
André PilonUne fois que l’on y est, c’est pour 40 minutes quand on emploie le ballon delacoste en caoutchouc, pour une heure si l’on emploie de ballon kaysam 230 ou 330 (que delacoste reconditionnera)
Une fois que l’on est monté tout là- haut, on est coincé donc pour ce temps-là.
Effectivement, comme on dit, il ne fallait pas « s’embarquer » sans biscuit.
- Avant de monter, se vider, c’est-à-dire uriner. Ben oui, on y est pour une heure en haut.
- Prendre le Di-temps, c’est-à-dire cette espèce de réveil qui sonne toutes les 30 secondes. Là-haut, il donne le moment – toutes les minutes dans ce cas – où il faudra relever le site et l’azimut du ballon, c’est-à-dire sa position donnée par un émetteur qui pendouille à l’extrémité d’un bout (un marin ne connaît pas le mot ficelle).
- Prendre la planchette munie d’une pince et de feuilles normalisées pour inscrire les données lues sur les cadrans du récepteur
- Prendre un crayon à papier, taillé au deux bouts, voire un crayon de rechange, taillé aussi au deux bouts, et puis un taille-crayon à mettre dans la poche, en secours.
- Se munir d’une musette et passer au frigo, y prendre six bières et ne pas oublier de faire six bâtons sur la planchette, matérialisant les six bières. En général elle est accrochée au frigo.
- Pendant les mois froids de juillet août, et qu’il fait du vent, les orteils sont vite refroidis, il est utile de prendre une paire de chaussettes, et puis un tricot de peau et une chemise.
Mais au bout de la troisième bière, l’envie de pisser peut se faire sentir, il n’est pas interdit de pisser depuis le haut de la tour. On lâche alors les manivelles entre deux sonneries de ce Dit-temps. Mais auparavant, il est nécessaire de bien inspecter l’environnement car avec un bon alizé, le jet file vite vers l’ouest et éclabousse quiconque se trouverait là. Vous pouvez rire, cela s’est vu. Mais à six mètres, c’est déjà pas mal dilué.
Dernière édition par PILON le Lun 8 Mar 2010 - 23:56, édité 1 fois
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°479
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Un grand bravo à Kepi Blanc le mensuel de la Légion Etrangère et aussi à Jean-Claude pour les avoir tous conservés. Ce journal, c’est une mine de souvenirs pour les activités qui se sont déroulées dans le Grand Océan et aussi, souvent en collaboration avec les météos affectés sur les Postes périphériques des atolls.
Pour moi qui m’intéresse à la construction de ce monument important qu’est l’église de Reao, c’est une information majeure. Il ne me reste plus qu’à découvrir du personnel météo qui y était en poste à ce moment et qu’il nous décrive ce qui s’est passé lors de sa construction, ce qu’il à vu pendant l’année 1970.
Je vous le dit : la construction de l’église de Reao fut une épopée pour la population, ce ne fut pas des maîtres maçons, entrepreneurs et tutti quanti, mais bien EUX qui l’ont élevée, comme leurs arrières-grand père avaient construit l’ancienne qui était déjà dédiée à Saint-Augustin.
André Pilon
Pour moi qui m’intéresse à la construction de ce monument important qu’est l’église de Reao, c’est une information majeure. Il ne me reste plus qu’à découvrir du personnel météo qui y était en poste à ce moment et qu’il nous décrive ce qui s’est passé lors de sa construction, ce qu’il à vu pendant l’année 1970.
Je vous le dit : la construction de l’église de Reao fut une épopée pour la population, ce ne fut pas des maîtres maçons, entrepreneurs et tutti quanti, mais bien EUX qui l’ont élevée, comme leurs arrières-grand père avaient construit l’ancienne qui était déjà dédiée à Saint-Augustin.
André Pilon
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
† MARECHAL- PREMIER MAÎTRE
- Age : 81
- Message n°480
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Salut André - Ta description d'un sondage rawin est d'un réalisme étonnant!... on s'y revoit. Amicalement - Laurent
† CYBAL Jacques- PREMIER MAÎTRE
- Message n°481
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
C'est vrai qu'elle est réaliste ton histoire André, on s'y voit encore...
Un cliché du matériel trans de l'époque, "des gros machins à lampes", et mon ami Guérin, armée de l'air, un chic type, dont je n'ai hélas plus de nouvelles...
La couronne n'est pas issue de la galette des rois; on l'avait fabriquée un jour pourque, lorsqu'un de nous avait " le pétard ou la boude", avec celle ci sur la tête, on lui "foutait" la paix, cela évitait bien des discussions stériles...hé oui....
Pour revenir au superbe matériel, un jour nous avons eu la visite de pontes du DIRCN ( à Réao c'était facile avec le twin de l'amiral ). En entrant à la météo, un CF de la marine s'exclame : oh, quel matériel performant... Alors calmement je lui ai expliqué que le tavana du village avait une radio qui ressemblait à un auto-radio, qu'avec un simple fil éléctrique accroché à un cocotier, il conversait avec sa famille à Muru et autre cailloux, et que moi, avec ce matériel moderne, j'en étais incapable... Il a fait la g.....
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Un cliché du matériel trans de l'époque, "des gros machins à lampes", et mon ami Guérin, armée de l'air, un chic type, dont je n'ai hélas plus de nouvelles...
La couronne n'est pas issue de la galette des rois; on l'avait fabriquée un jour pourque, lorsqu'un de nous avait " le pétard ou la boude", avec celle ci sur la tête, on lui "foutait" la paix, cela évitait bien des discussions stériles...hé oui....
Pour revenir au superbe matériel, un jour nous avons eu la visite de pontes du DIRCN ( à Réao c'était facile avec le twin de l'amiral ). En entrant à la météo, un CF de la marine s'exclame : oh, quel matériel performant... Alors calmement je lui ai expliqué que le tavana du village avait une radio qui ressemblait à un auto-radio, qu'avec un simple fil éléctrique accroché à un cocotier, il conversait avec sa famille à Muru et autre cailloux, et que moi, avec ce matériel moderne, j'en étais incapable... Il a fait la g.....
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† KERMITT- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 65
- Message n°482
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Je dois dire que lorsqu'on arrivait la première fois sur un Pospéri (Réao, Tureia, Toté....) c'était très impressionnant de voir les collègues présents depuis déjà un moment comprendre tout ce qui se disait sur la B.L.U. Mais rapidement on arrivait à maitriser cet appareil et à notre tour on prenait les message sans problème.
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DOUARNENISTE ET FIER DE L'ÊTRE [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
† CYBAL Jacques- PREMIER MAÎTRE
- Message n°483
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
En effet, la première fois cela a dû en dérouter plus d'un... et que d'histoires à cette BLU...
† KERMITT- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 65
- Message n°484
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Comme tu le dis que d'histoires . Je pense qu'il y a de quoi écrire un livre. Le pire c'est que tous les stations pouvaient écouter tous les messages, entre autres les télégrammes privés. Il y avait de quoi bien rigoler certaines fois
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DOUARNENISTE ET FIER DE L'ÊTRE [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°485
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Une scène typiquement Atoll
Dans une rue de Reao, dans les années 70, une fillette pose pour le photographe. La gamine est en train de faire une petite corvée. En effet, dans sa brouette on remarque du menu branchage de la partie haute du cocotier et puis on aperçoit quelques noix qui ont probablement été ouvertes pour en récolter le coprah.
Le petite a ramassé ce bois dans la cocoteraie de ses parents, il servira pour entretenir le feu de cuisson des aliments.
Je ne vois pas précisément où nous sommes, mais nous ne sommes pas sur l’avenue principale. Sur la gauche, on remarque une citerne qui sert à stocker l’eau de pluie récupérée avec sa couverture en tôle.
On remarque que cette citerne est solidifiée par des contreforts ; en effet si un jour elle est pleine, la pression ferait écrouler la construction.
Les murets d'une hauteur d'environ un mètre, sont eux aussi typiquement atoll de l'est
crédit photo : Eric Roussel
André Pilon
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
Gérard Duffond- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 79
- Message n°486
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Pour compléter la trés bonne description d'André aux commandes d'un RAWIN, il faut alligner constammentles 4 crénaux de l'émetteur au cul du ballon et obtenir le maximum de gain pour pouvoir suivre le dit ballon, noter en même temps les données d'azimut et élévation toutes les 30 secondes par interphone au copain assis devant son abaque.
Au sol ou en haut de la tour, le RAWIN était super inconfortable où il faisait trés chaud en journée et trés froid la nuit.
Je m'en suit fait rapidement une spécialisation sous les conseils éclairés de gégé letoquin qui m'en a appris toutes les ficelles (on ne dit pas bouts dans ce cas là).
Si bien que partout où je suis passé en station, j'étais le Rawineur attitré.
Il m'est arrivé aussi quelques fois, de faire les 2 sondages de midi et minuit tout seul, mes équipiers étant positivement faibles et ayant trop fété le tiurai ou un anniversaire, un des légionnaires imbibé mais volontaire, m'aidait à lancer le ballon.
Ah que de souvenirs impérissables au CEP, dommage de manquer ça. Et dire que j'ai failli devenir conducteur à la SNCF...
Au sol ou en haut de la tour, le RAWIN était super inconfortable où il faisait trés chaud en journée et trés froid la nuit.
Je m'en suit fait rapidement une spécialisation sous les conseils éclairés de gégé letoquin qui m'en a appris toutes les ficelles (on ne dit pas bouts dans ce cas là).
Si bien que partout où je suis passé en station, j'étais le Rawineur attitré.
Il m'est arrivé aussi quelques fois, de faire les 2 sondages de midi et minuit tout seul, mes équipiers étant positivement faibles et ayant trop fété le tiurai ou un anniversaire, un des légionnaires imbibé mais volontaire, m'aidait à lancer le ballon.
Ah que de souvenirs impérissables au CEP, dommage de manquer ça. Et dire que j'ai failli devenir conducteur à la SNCF...
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Occitania
† CYBAL Jacques- PREMIER MAÎTRE
- Message n°487
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Salut à tous,
C'est vrai Gérard, quelle aventure ces Rawin et ces sondages par mauvais...une épopée et il est dommage que l'on n'aie pas un bout de film sur ce sujet... sauf quelques photos...
J'ai retrouvé quelques vieilles diapos... une partie de boules avec Wolf...
Nana
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C'est vrai Gérard, quelle aventure ces Rawin et ces sondages par mauvais...une épopée et il est dommage que l'on n'aie pas un bout de film sur ce sujet... sauf quelques photos...
J'ai retrouvé quelques vieilles diapos... une partie de boules avec Wolf...
Nana
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† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°488
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Ce soir, Je vous offre une tranche de vie sur un atoll
la scène se passe à Reao, et assurément, tous ceux qui ont fait cet atoll et qui ont pu conduire le 4X4 vont s'y reconnaître et peut-être avoir les yeux humides en se remémorant tout cela.
la scène se passe à Reao, et assurément, tous ceux qui ont fait cet atoll et qui ont pu conduire le 4X4 vont s'y reconnaître et peut-être avoir les yeux humides en se remémorant tout cela.
La récolte du coprah
.Conduisant lentement le petit camion par l'unique chemin qui mène à Gake, en ce début d'après-midi du vendredi, je me rends dans la région où une partie de la population se trouve au travail depuis lundi matin. Pour ces familles qui sont occupées à la récolte du coprah, la semaine se termine. je leur ai promis lundi dernier, de ramener ce jour au village, une partie de ce qui aura pu être recueilli pendant ces cinq jours. Le camion fera plusieurs rotations, transportant de la plantation vers le bourg, dans ces allers et retours, personnel, matériel et récolte ; en suivant pour cela les directives qui m’ont été données verbalement par l'autorité avant son départ de Tahiti : aider au maximum la population de Reao. Dans la chaleur tempérée par un alizé assez fort, il règne dans ce coin de l'île une grande activité, qui ne s'est pas relâchée depuis leur arrivée. Ces gens ont fourni un travail qui sort des normes habituelles : ramassage des noix, décorticage, séchage, ensachage et mise en ordre des lieux.
Sont présents ici, ceux qui y possèdent des terres, ainsi que les personnes qui les aident, membres de leur famille ou parfois employés salariés, ou bien encore les membres de la communauté Reao obligés ou astreints par attachement à une certaine forme de clientélisme.
On pratique sur cet atoll, comme dans toutes les îles Tuamotu, le système du rahui, de l'interdiction. Ce procédé a pour objet d'empêcher le chapardage des noix de coco. Nous savons, qu'il n'y a pas de voleurs sur cet atoll... Il n'y a pas de voleurs, mais on y rencontre parfois des gens qui ont la manie d'emprunter sans vergogne et qui ont tendance à oublier de restituer. Mais les directives du Tavana rahi, le gouverneur, à ce sujet, sont parfaitement appliquées. Il est donc interdit de se rendre pour la récolte ailleurs que dans le secteur autorisé par le tavana. Assisté de son conseil, il délimite les zones de travail, en fonction de ces directives et de la maturité des noix. Les équipes de travailleurs récoltants passent donc semaine après semaine d'un secteur à l'autre ; elles tournent autour de l'île plusieurs fois au cours de l'année. Avec le rahui, aucun coco ne peut être "emprunté", puisque personne ne doit se trouver dans les plantations en dehors de la période édictée par l'autorité locale. Des exceptions existent pour la pêche toutefois, car il est connu que certains lieux situés dans les zones interdites aux activités agricoles sont favorables pour la capture de telles ou telles espèces de poissons selon l'époque et selon les phases lunaires. Des pêches favorables, on n'a pas le droit de s'en priver. Pour s'y rendre il est donc permis de traverser la forêt, mais non d'y stationner.
Partir au secteur, pour les familles, c'est toute une expédition. Elles quittent le village dans la matinée du lundi : hommes, femmes, enfants, chiens et cochons. C'est une migration bihebdomadaire et un trait culturel des îles Tuamotu. Le mouvement recommence le vendredi après-midi en sens inverse. Pour se rendre sur ces futurs lieux de travail, on part à pied si la distance n'est pas trop grande, en pirogue à voile au travers le lagon, si elle est importante. De toute façon, la pirogue familiale fera le trajet afin d'y conduire les gorets et d'y porter les ustensiles de cuisine et des ballots de linge. Elle y transportera de même les outils nécessaires à cet ouvrage, qui sont peu nombreux et peu encombrants, ainsi qu'un important lot de sacs vides qui serviront à loger les amandes recueillies au cours de la semaine.
Seuls les enfants d'âge scolaire, en dehors des périodes de vacances, restent au village ; ils logent et mangent chez les fetii, les cousins, ou bien chez les oncles et tantes, ce qui ne pose aucun problème, bien au contraire.
Le parcours inverse sera donc effectué le vendredi, la religion rythmant la vie des Reao, ils seront tous présents au village pour la messe et les prières dominicales qui ont un caractère obligatoire, à partir du vendredi soir. Le samedi, aucun travail de rapport ne sera entrepris ni exécuté ; ce jour, dans les dialectes de cette région de Polynésie, est nommé : mahana maa, le jour de la nourriture. Selon les enseignements des missionnaires catholiques, la journée du samedi doit-être consacrée seulement à la recherche, à la collecte - la pêche, principalement - et à la préparation de ces aliments. Le lendemain dimanche, tapati, il est strictement interdit de travailler ; les Reao pourront manger énormément, puisque toute la journée de la veille ils auront œuvré dans ce but. On pourra chanter, jouer de la guitare, boire modérément et beaucoup dormir. Tout le monde ira, bien sûr, aux offices, qui sont au nombre de quatre le dimanche. Les jours de la semaine, les paroissiens qui seront au secteur ne se rendront pas à l'église pour les inévitables prières du matin et du soir. Un membre du groupe, catéchiste officiel ou non, mais dûment autorisé prendra la direction des prières collectives locales. Elles se dérouleront sur le bord du lagon, ou bien devant l'un de leurs abris, faré de construction très légère, assis sur le lit de cailloutis qui orne la façade.
J’ai transporté trois familles, sur les lieux de travail, lundi dernier ; on se rend compte que ces gens ont fait un ouvrage énorme au cours de la semaine. Dans le sous-bois, lors de leur arrivée, c'était le fouillis. Les palmes mortes et les noix mûres qui tombaient des arbres depuis quatre mois - temps écoulé depuis le dernier passage des travailleurs - tout était disséminé et mélangé sur la surface du terrain qu'elles recouvraient en un véritable tapis irrégulier. Les feuilles mortes ont été rassemblées en andins disposés à égale distance des arbres, qui sont à peu près bien alignés dans cette région. Elles ont été brûlées il y a peu ; de la fumée s'élève encore de quelques-uns de ces foyers. Les noix fendues sont entassées les unes sur les autres. L'ensemble ainsi traité est d'une propreté exemplaire. Le sol de la forêt se compose de cailloux grisâtres, quelques rares espaces de terre arable apparaissent parfois, mais ce sont bien les cailloux qui dominent ; on se surprend à penser : mais comment les racines des cocotiers s'alimentent-elles ?
J’ai stoppé le véhicule en bordure de forêt et me dirige vers Tetai Moeava. Il est le propriétaire des lieux et chef d'équipe de tout le personnel en activité dans les parages. Il est lui-même, occupé à rassembler les noix qui se trouvent éparpillées, dégagées de toutes les palmes sèches. Avec deux bâtons en mains, du calibre d'un manche de pioche, il travaille sans se baisser. Celui qu'il tient de la main droite, est muni à son extrémité d'un crochet métallique pointu ; il lui permet de piquer d'un coup sec dans la noix qui se présente devant lui, au sol. Ensuite, son bras oscille d'avant en arrière puis de nouveau vers l'avant, en prenant de la vitesse dans la direction d'un tas de ces fruits. Alors que son bras droit arrive à bout de course vers l'avant, de sa main gauche tenant elle aussi un bâton, il donne un coup sec sur l'outil ferré. Ce coup brusque a pour effet de décrocher la noix qui file vers le tas en formation. Il évite ainsi de se baisser pour chaque fruit. Un peu plus loin, Teretia, sa monumentale vahiné, est à l’œuvre ; ça alors ! ceci n'est pas courant du tout, elle adore plutôt la position horizontale du dormeur. Munie d'une hache qui ne pèse pas plus lourd qu'un canif entre ses mains, son occupation consiste à fendre les noix en deux. A mesure, les fillettes, Maria et Siki, rangent ces fruits coupés ; pour elles, c'est un jeu. Mais Maria qui a douze ans devraient être en classe : une paire de bras supplémentaire pour le travail de toute cette semaine écoulée sera plus bénéfique pour la famille que ce qu'elle aurait pu apprendre à l'école ; ainsi en a décidé Teretia lundi dernier, elle ne va pas nourrir ces enfants-là à ne rien faire !
Les deux morceaux du fruit sec, encore reliés par la bourre, sont empilés, la concavité tournée vers le sol, étagés en un seul rang. Dans cette position, les amandes sécheront encore pendant deux ou trois jours avant d'être décortiquées puis ensachées. Toutes celles traitées en début de semaine sont déjà prêtes, les sacs qui en sont remplis ont été apportés au bord du chemin ou au bord du lagon. Ils seront transportés aujourd'hui au village, en camion ou en voilier.
Tetai Moeava cesse son manège, il se dirige vers le rivage intérieur, vers les lieux où une pyramide constituée de ces sacs a été formée ; le camion s'étant arrêté tout près de là, il commence avec deux de ses aides à en constituer le chargement. Il y en a un stock considérable, il faudra probablement faire trois tours avant la fin du jour, il est nécessaire de se presser.
Un peu plus loin, vers l'océan, Eritapeta, fille adoptive, est affairée à l'extraction des amandes qui sont collées au fond des demi-noix ouvertes depuis trois jours, elles sont devenues bien sèches, elle les ensache aussitôt qu'elle en a formé un tas important. Assise au sol, elle tient dans sa main l'outil spécial, le pitoi. C'est une lame plate, courbe, non tranchante, et munie d'un manche adapté pour une main. La forme de la lame recourbée lui permet de l'introduire sous l'amande qui s'est un peu décollée et recroquevillée en séchant. La jeune fille tient de sa main gauche, la demi-noix qu'elle a posée sur sa cuisse ; d'un coup rapide et adroit de son pitoi, elle fait sauter ce morceau d'amande qui s'en va grossir le stock décortiqué. On remarque que le volume des amandes, lorsque l'extraction est terminée, est beaucoup moins important que le tas de noix rassemblées.
En approchant d'elle, je vois bien, comme je l'ai observé dès mon arrivée chez les autres travailleurs, que sa couleur de peau a changé ; tout le long de cette semaine, elle a été bien plus souvent exposée au soleil qu'à l'ombre et en permanence au vent d'est qui a soufflé fortement ces jours derniers, sa peau bien bronzée est devenue presque noire.
- Alors jolie vahiné, maitai ? ça va bien.
- E, maitai roa, très bien.
- T'es-tu ennuyée cette semaine ?
- Korereka, un peu.
- Tu travailles encore longtemps avant de partir vers le village,.
- Aita, non, je finis de décortiquer ce petit tas que tu vois près de moi et je pars de suite ; je rentre avec la pirogue, il faut que je la ramène à Pua Kiri Kiri, a dit mon oncle.
- Il est un peu tard, tu es bien sûre d'arriver avant la nuit ?
- Oui, le vent est fort aujourd'hui, il souffle dans l'axe du lagon, pas besoin de louvoyer, je vais faire toute la traversée vent arrière et à grande vitesse. Le trajet ne durera pas beaucoup plus d'une heure. Dans une demi-heure je suis prête, j'arriverai juste au coucher du soleil ; la pirogue va être légère puisqu'il n'y aura pas de sacs de coprah d'embarqués à son bord.
- Tu rentres seule ?
- Non, je pars avec mes deux sœurs et les quatre petits cochons que tu vois là, attachés par les pattes ; j'emmène aussi les ballots de linge et les chiots.
- La vaisselle, tu ne la rapportes pas au village ?
- Non, puisque nous revenons ici lundi matin. Et puis si je chavire, elle irait au fond, elle ne serait pas perdue, mais il faudrait rechercher le lieu du naufrage pour la récupérer. Tout ce que j'aurai à bord aujourd'hui, flotte ou nage.
- J'aimerais rentrer avec toi en pirogue, Petero ramènerait le camion, il ferait les deux ou trois rotations prévues pour les sacs pleins de la récolte.
- Moi je veux bien, il n'y aura pas de problème si je coule, puisque tu sais bien nager ; par contre, il faut que tu demandes à mon oncle. Je pense qu'il sera d'accord, mais il ne faut pas oublier de lui poser la question ; il ne comprendrait pas, sinon.
Après avoir parlé pendant quelques minutes à Tetai, ainsi qu'à d'autres travailleurs, je m’en retourne vers le rivage du lagon où Eritapeta qui en a terminé avec ses noix s'affaire à préparer la légère embarcation, aidée par les deux fillettes. Les petits gorets sont attachés au banc de l'avant, les jeunes chiens, qui sont habitués aux traversées, couchés sur les paquets de linge, somnolent déjà au soleil. La voile est affalée au pied du mât et la fille, le seul matelot d’à peine dix-huit ans, contrôle la drisse de hissage et l'écoute.
A quelques mètres de là, dans les eaux plus profondes, deux hommes préparent le gréement d'un gros canot qui s'y trouve ancré, pendant que d'autres le chargent de sacs. Il partira bientôt lui aussi, mais, plus lourd que la pirogue, il naviguera moins vite, il n'arrivera à destination qu'une fois la nuit tombée.
Un quart d'heure plus tard, l'embarcation légère est parée pour l'appareillage, les quatre membres de l'équipage la poussent dans les faibles fonds, puis d'un saut, ils se retrouvent à bord. Aussitôt embarqué, le pilote hisse la voile qui attend, bien rangée au pied du mât. La pirogue orientée vers l’ouest, démarre vent arrière avec une rapidité surprenante. Le vent est très fort, le météo estime sa force à vingt-deux nœuds (1)
Immédiatement la vitesse de croisière est atteinte. La jeune fille tient la barre d'une main ferme et solide ; son visage fermé observe l'environnement d'un regard très sérieux : l'embarcation, le gréement, la mer, les passagers. Le vent relatif du fait de la vitesse est quasi nul. Le soleil brûle la peau qui n'est plus ventilée et l'on baigne dans une atmosphère cotonneuse, le seul bruit audible étant celui de l'eau qui clapote le long de la coque et du flotteur.
- Alors, cela te plaît la navigation en pirogue ? me demande Eritapeta qui en a terminé avec les réglages de la voile, maintenant libre de ses pensées, après avoir constaté que tout va bien et que l'embarcation file vers l'ouest-nord-ouest en plein lagon.
- Oui, répond-il, et tu la barres, tu la diriges, comme un vrai marin, comme un vieux loup de mer.
- C'est une obligation aux îles Tuamotu, savoir conduire une pirogue ; au même titre qu'en France savoir conduire une voiture. Ici, c'est la mer qui rythme notre vie, nous devons composer, alors filles ou garçons, nous sommes tous des marins. On aime ou on aime pas, mais il faut faire et nous savons tous le faire. Cette obligation-là a rangé les Paumotu parmi les meilleurs marins du monde. Savoir conduire une automobile n'est pas indispensable ici. Tu vois bien qu'à Reao il n'y a que quelques pistes. Alors il n'y a pas de voiture, on peut s'en passer. On apprécie malgré tout le coup de main que tu peux donner avec le camion de la météo ; mais sans lui, le transport des sacs se ferait au travers du lagon, comme par le passé. De plus, les Reao sont pauvres, il n'y a pas d'argent pour acheter une voiture ; et il n'y en aura probablement jamais.
Pendant un instant, concentrée, elle vérifie le réglage de la voile et reprend un peu de mou dans l'écoute.
- Tu vois reprend-elle, je suis très heureuse quand je pilote la vaka motu, c'est un petit bateau très agréable à manœuvrer, un jouet ! Aujourd'hui avec le vent arrière il y a moins de risque de chavirer que pendant le parcours en sens inverse. Quand je viens de Pua Kiri Kiri, du village, vers Gake, avec ce même vent, c'est un drôle de sport. Je passe toute la matinée et parfois plus à louvoyer pour atteindre mon but. Le vent régnant ajouté au vent de la vitesse crée des sensations et des impressions fantastiques. Sur le fond, la vitesse n'est pas importante, mais l'on navigue contre le vent et contre la mer et la pirogue dérive beaucoup. Alors l'eau gicle de partout, de tribord à bâbord, nous sommes complètement trempés : cheveux, habits, tout colle à la peau, le sel brûle les yeux, on avale de l'eau à grosses goulées ! on en est abreuvé. Il arrive que parfois le flotteur s'enfourne dans une vague car, on a beau être dans un lagon, le vent peut y lever des vagues de plus de deux mètres ! A ce moment, la vaka motu chavire. A deux personnes, elle se remet facilement à flot ; mais seul, il n'y a plus qu'à se laisser dériver, corps et biens vers le rivage, que l'on est tout à fait sûr d'atteindre dans un atoll fermé. On y participe en nageant et en poussant. Parfois, au chavirement, l'enfournage brutal brise les espars qui arriment l'embarcation au flotteur. Tu sais qu'une pirogue polynésienne ne tient sur l'eau que grâce à son flotteur, que l'on appelle aussi balancier, et qui est de ce fait la pièce maîtresse. Dans ce cas-là, une fois celui-ci brisé, que l'on soit seul ou bien plusieurs, il ne reste plus qu'à nager et pousser l'épave.
Il y a quelques semaines, avec mon cousin Tepano qui n'a pas peur mais qui est un peu brutal, alors qu'il était le barreur de la vaka, nous avons chaviré à mi-chemin de Gake. La chute à l'eau, après avoir enfourné le balancier, a été de ces plus spectaculaires. Pour ma part j'ai fait un vol plané sensationnel vers la mer. Le brin de traverse arrière du flotteur a été cassé dans l'accident. Nous avons pris un bon bain ; autour de nous, trois chiens et deux jeunes cochons nageaient dans les vagues. Pendant que je soutenais tout ce petit monde, Tepano avec un morceau de chambre à air de vélo en réserve, fixé à quelque endroit, réparait le léger espar brisé. Un moment plus tard, nous redressions tous deux la pirogue, nous vidions l'eau avec l'écope, et nous reprenions la route après avoir rembarqué tous nos passagers.
- Comment faites-vous pour la relever ?
- L'embarcation est très légère ; alors, tout en nageant il faut orienter le sommet du mât, qui est à plat sur l'eau, dans la direction d'où souffle le vent. Continuer l'action en soulevant ce mât à bout de bras, afin que le vent prenne dans la voile, par-dessous. Elle va très vite se relever, quelques fois, elle ne s'arrête pas et chavire de l'autre côté. Il faut l'empêcher de partir de l'autre bord en retenant le mât avec un long bout frappé à son sommet. Une fois la pirogue redressée, il faut en vider l'eau, ce qui n'est pas une mince affaire. Si le clapot est trop fort on ne peut pas y arriver, les vagues qui déferlent en rajoutent régulièrement à l'intérieur ; il ne reste plus qu'à nager en direction des motu. Et puis, on ne peut vider cette eau que si l'écope n'est pas partie vers le fond. Il ne faut surtout pas l'oublier avant le départ, elle fait partie du matériel de bord de première nécessité. Une écope métallique coule en cas de chavirage, il ne faut pas omettre de l'amarrer ; si elle est en bois, elle flottera ; mais sans écope, il faudrait tout vider à la main.
Aujourd'hui le début du parcours se déroule sans problème, tous les passagers sont bien sages et personne ne bouge. Siki et Maria sont assises à l'avant de l'embarcation, elles jouent aux osselets, un jeu ancien complètement disparu en France, qui perdure bien loin, aux îles Tuamotu ; mais qui peut l’avoir apporté ici ? Elles sont tout à coté des ballots de linge sur lesquels les cochons et les chiens sont maintenant entremêlés et dorment comme des princes, réchauffés par le soleil. Ces jeunes animaux sont bien habitués ; chiens et cochons migrateurs, tous destinés à la boucherie, ont déjà plusieurs traversées du lagon comme passagers à leur actif. Il y a de l'atavisme dans leur comportement, réminiscence des temps anciens, passé lointain pendant lequel leurs ancêtres parcouraient l'Océan Pacifique, à bord des pirogues doubles de leurs maîtres Polynésiens, qu'ils accompagnaient lors de leurs grands voyages d'exploration et de découvertes, au travers de cette immensité marine.
Mais alors que l'on a parcouru quelques kilomètres depuis la zone bien abritée que forme la baie de Gake, la houle a pu se former et le phénomène s'amplifie de minutes en minutes ; au tiers du chemin, les vagues les plus grosses atteignent une hauteur d'un mètre !
- Siki, haere koe i nia iato ! ordonne la grande sœur ; monte sur la traverse Siki.
Laissant là sa sœur et les osselets, la petite se lève et en véritable équilibriste grimpe puis circule sur le chevron, se déplaçant ainsi jusqu'à son extrémité tribord, où elle demeure accroupie au-dessus du vide, ses mains cramponnées - mais sans peur aucune - tenant fermement chacune un hauban. Le poids de la fillette soulage le balancier côté opposé, le flotteur pénètre ainsi un peu moins dans les vagues ; ce mouvement de personnel allège l'embarcation et lui laisse prendre un peu plus de vitesse.
La traverse sur laquelle est perchée la petite sœur d’Eritapeta, est amarrée à la coque, sur son tiers avant, avec des cordages fixés aux membrures. A son extrémité babord est rivé le flotteur, le balancier ; côté opposé, elle se projette à l'extérieur, elle y reçoit en plusieurs points les haubans qui étayent le mât.
Suivant un cours instant d'observation de cette navigation, nouvelle pour lui, Rohi demande ensuite à la jeune fille de lui énoncer les termes employés pour nommer les divers éléments de ce petit bateau à la rapidité surprenante.
- Cette embarcation, dit-elle alors, c'est une vaka motu, pirogue qui sert pour aller de motu en motu, d'îlot en îlot. On l'appelle aussi kaveke, ce nom est typiquement Reao, ou de l'extrême Est de l’archipel Tuamotu ; à ne pas confondre avec la lune qui se nomme kavake. En tahitien, ce petit bateau se nomme va'a. Les grandes pirogues doubles avec lesquelles nos ancêtres exploraient l'Océan Pacifique, s'appelaient les pahi ; les pirogues de guerre, c’était les pahi tamaki. Sans balancier, sans flotteur, une pirogue polynésienne ne tient pas sur l'eau, elle chavire. Ce flotteur : le ama, est tenu par deux iato, les traverses. Celui de l'avant, est une sorte de chevron rigide, il est fixé solidement à la charpente. Quand à celui de l'arrière, il n'est bien souvent qu'une simple et mince branche d'arbre pliée en arceau ; il donne une bonne élasticité au ama, le rendant légèrement indépendant du mouvement de la vaka motu à qui il confère ainsi une grande souplesse. Tout cet ensemble est maintenu par des cordages fabriqués au village avec la bourre de l'écorce des noix de coco.
Après avoir réglé quelque peu la drisse et l'écoute, le pilote reprend :
- Dans ma main, je tiens hoe faatere, le gouvernail. Jadis la rame de gouverne portait ce nom ; maintenant c'est une barre, on en a gardé l'appellation polynésienne. La voile c'est gie, un mot imprononçable pour les popaa. Aux temps anciens, les voiles étaient confectionnées en fara, en feuilles de pandanus tressées finement. Elles ont gardé le nom de cet arbre qui s'appelle gie dans le dialecte mangarévien, terre d'origine des Reao. Ma voile, comme tu le vois est en toile popaa, bien plus solide. Si l'on en prend soin, elle ne s'use pas. On trouve maintenant des voiles en nylon. J'en ai vu à Tahiti ; quel plaisir de les manœuvrer, elles sont si légères ! Les voiles de pandanus, élément de base de la civilisation polynésienne, ont maintenant disparu, plus personne ne sait les fabriquer, excepté, peut-être, les habitants de Rurutu, une île de l'archipel des Australes, où ceux-ci sont encore maîtres dans l'art de cultiver et de travailler le pandanus, des variétés qu’ils cultivent spécialement pour leurs travaux de vannerie.
L'état du lagon continue de se détériorer, les vagues dépassent un mètre de hauteur, les plus grosses rattrapent l'embarcation et la font tanguer en la soulevant de l'arrière, et diminuent sa maniabilité. Parfois, jouant comme les poissons volants, un banc d'aiguillettes orphies prend son envol, elles filent devant la pirogue et s'en vont retomber quelques mètres plus loin.
Faumea, en pilote confirmé, contrôle toujours très bien le tout, et continue de donner ses explications :
- Mon oncle a construit cette pirogue avec l'aide d'Evarito, le tamuta, le charpentier. Ses membrures sont en bois et sa coque en contreplaqué. L'assemblage est réalisé avec des clous. Tous ces matériaux viennent de Tahiti et sont achetés avec l'argent que rapporte le coprah exporté. Dans le passé, les paumotu construisaient leurs pirogues en cousant entre elles des planches qu'ils taillaient avec leurs outils de pierre dans les arbres croissant sur leurs îles. Ils n'avaient pas la chance d'avoir à leur disposition les grands arbres des îles hautes volcaniques, dans lesquels on pouvait creuser, à l'herminette de basalte et au feu, une pirogue entière ! Ils se contentaient donc de ce qu'ils avaient sous la main, découpant leurs planchettes et forant les trous de couture avec des outils de de corail qui s'usaient presque aussi vite que le bois travaillé. Ces trous étaient forés avec la pointe des coraux branchus, les acropores ; tu en as vu dans le lagon. Les coutures étaient réalisées avec de fines cordelettes faites de bourre de coco tressée.
La moitié du chemin semble avoir été parcourue, les cocotiers de Gake sont déjà bien loin en arrière, lorsque sur la gauche Rohi remarque quelques petits flotteurs blancs.
Eritapeta, qui a observé son regard interrogatif, devance ses questions :
- Ce sont les limites de la zone de culture d'huîtres perlières, elle a été aménagée pour essai il y a cinq ans environ. On espérait que des perles pouvaient être produites ici, comme dans d'autres îles basses ; ce qui aurait pu nous apporter un bon revenu, peut-être même, qui sait, nous enrichir. Mais les dernières études ne sont pas concluantes, la nacre est de mauvaise qualité. Des perles, il n'y en a guère et sont tout comme la nacre, non négociable. Les techniciens qui suivent cet élevage nous disent que le lagon n'est pas assez alimenté en eau du large, il y a donc déficit de plancton pouvant servir d’aliment à ces coquillages et, de plus, la nacre est attaquée par un parasite. Les huîtres se trouvent à environ vingt-cinq mètres de profondeur ; ceux qui peuvent descendre jusque là en prélèvent parfois pour en manger les chairs et pour décorer leur faré avec les coquilles. Bien qu’elles ne soient pas négociables, ils s'en trouvent malgré tout de très belles et d'un diamètre étonnant. Par contre, en certains endroits le fond est tapissé de pipi ; ce sont de petites huîtres dans lesquelles on rencontre des perles proportionnelles à leur taille. Quand tu reviendras avec moi, en pirogue, nous en ramasserons un plein seau et tu auras des perles pour offrir.
- Quel travail pour ouvrir tous ces coquillages ! s'étonne-t-il.
- Mais non, on ne les ouvre pas, il suffit de les laisser plusieurs jours dans le seau ou la bassine. Elles seront mortes et commenceront à pourrir, alors on touillera le tout avec un bâton, et assez longuement ; tes perles se retrouveront au fond du récipient. Ce n'est pas très appétissant à faire, je te l'accorde.
Les creux des vagues atteignent maintenant un mètre cinquante et le balancier enfourne parfois dangereusement dans les crêtes, malgré l'allégement du au poids de la fillette qui est toujours stoïquement accroupie à son poste. Comme l'état du lagon ne peut faire que s'aggraver, notre pilote amène la voile et stoppe ainsi l'embarcation afin de prendre quelques ris et d'en diminuer la surface ; ce qui est réalisé en quelques minutes. Elle estime que Siki est trop légère sur le bout du iato, elle la fait permuter avec Maria, escomptant que ses quinze kilos de plus soulageront mieux le flotteur. La surface de la voile ayant été nettement diminuée, la vitesse en est bien réduite. La pirogue, du fait de la crête des vagues qui la dépasse allégrement, est moins manœuvrable, mais on sent qu'elle ne fatigue plus, comme cela était dans les minutes précédentes. La jeune fille qui connaît bien sa partie a eu parfaitement raison de prendre toutes ces précautions.
Les environs de Pua Kiri Kiri où l'on arrive au bout d'une demi-heure, se trouvent en fin de course de cet alizé fort. En ces lieux, aujourd'hui, les creux des vagues dépassent deux mètres ! Une fois de plus, rien de commun avec la beauté des lagons polynésiens tant vantée par les agences de voyage ; ce site de l’atoll Reao ne sera jamais retenu par "Club med" pour y réaliser les photos publicitaires de ses catalogues. Ici, l'eau agitée est boueuse, le rivage où ces boues s'accumulent est peu engageant. Mais il est bien vrai qu'à Gake, d'ou vient notre vaka motu, il n'y a jamais de houle par régime d'alizé, même fort. Sa plage répond très bien aux critères des dépliants touristiques ; elle serait certainement idéale pour l'établissement d'un camp de vacances. Mais, grands dieux ! que l'importante distance de Tahiti à Reao protège longuement notre atoll de ce qui serait une catastrophe.
Pendant cette traversée animée, le camion, par le chemin sableux de la forêt est arrivé lui aussi avec son chargement, tous se retrouvent en face du bourg. Le tavana, qui demeure à proximité dans un faré tout proche, rejoint le rivage avec d'autre villageois. Il donne alors à son monde une information qu'il a reçu par radio à la liaison de cet après-midi, à savoir : la venue de la goélette Aranui, après-demain dimanche. Elle sera devant l'atoll au petit jour. Le bateau viendra de Puka Rua où il fera une courte escale demain ; il sera ponctuel comme à l'accoutumée, c'est bien sûr.
André Pilon
Sont présents ici, ceux qui y possèdent des terres, ainsi que les personnes qui les aident, membres de leur famille ou parfois employés salariés, ou bien encore les membres de la communauté Reao obligés ou astreints par attachement à une certaine forme de clientélisme.
On pratique sur cet atoll, comme dans toutes les îles Tuamotu, le système du rahui, de l'interdiction. Ce procédé a pour objet d'empêcher le chapardage des noix de coco. Nous savons, qu'il n'y a pas de voleurs sur cet atoll... Il n'y a pas de voleurs, mais on y rencontre parfois des gens qui ont la manie d'emprunter sans vergogne et qui ont tendance à oublier de restituer. Mais les directives du Tavana rahi, le gouverneur, à ce sujet, sont parfaitement appliquées. Il est donc interdit de se rendre pour la récolte ailleurs que dans le secteur autorisé par le tavana. Assisté de son conseil, il délimite les zones de travail, en fonction de ces directives et de la maturité des noix. Les équipes de travailleurs récoltants passent donc semaine après semaine d'un secteur à l'autre ; elles tournent autour de l'île plusieurs fois au cours de l'année. Avec le rahui, aucun coco ne peut être "emprunté", puisque personne ne doit se trouver dans les plantations en dehors de la période édictée par l'autorité locale. Des exceptions existent pour la pêche toutefois, car il est connu que certains lieux situés dans les zones interdites aux activités agricoles sont favorables pour la capture de telles ou telles espèces de poissons selon l'époque et selon les phases lunaires. Des pêches favorables, on n'a pas le droit de s'en priver. Pour s'y rendre il est donc permis de traverser la forêt, mais non d'y stationner.
Partir au secteur, pour les familles, c'est toute une expédition. Elles quittent le village dans la matinée du lundi : hommes, femmes, enfants, chiens et cochons. C'est une migration bihebdomadaire et un trait culturel des îles Tuamotu. Le mouvement recommence le vendredi après-midi en sens inverse. Pour se rendre sur ces futurs lieux de travail, on part à pied si la distance n'est pas trop grande, en pirogue à voile au travers le lagon, si elle est importante. De toute façon, la pirogue familiale fera le trajet afin d'y conduire les gorets et d'y porter les ustensiles de cuisine et des ballots de linge. Elle y transportera de même les outils nécessaires à cet ouvrage, qui sont peu nombreux et peu encombrants, ainsi qu'un important lot de sacs vides qui serviront à loger les amandes recueillies au cours de la semaine.
Seuls les enfants d'âge scolaire, en dehors des périodes de vacances, restent au village ; ils logent et mangent chez les fetii, les cousins, ou bien chez les oncles et tantes, ce qui ne pose aucun problème, bien au contraire.
Le parcours inverse sera donc effectué le vendredi, la religion rythmant la vie des Reao, ils seront tous présents au village pour la messe et les prières dominicales qui ont un caractère obligatoire, à partir du vendredi soir. Le samedi, aucun travail de rapport ne sera entrepris ni exécuté ; ce jour, dans les dialectes de cette région de Polynésie, est nommé : mahana maa, le jour de la nourriture. Selon les enseignements des missionnaires catholiques, la journée du samedi doit-être consacrée seulement à la recherche, à la collecte - la pêche, principalement - et à la préparation de ces aliments. Le lendemain dimanche, tapati, il est strictement interdit de travailler ; les Reao pourront manger énormément, puisque toute la journée de la veille ils auront œuvré dans ce but. On pourra chanter, jouer de la guitare, boire modérément et beaucoup dormir. Tout le monde ira, bien sûr, aux offices, qui sont au nombre de quatre le dimanche. Les jours de la semaine, les paroissiens qui seront au secteur ne se rendront pas à l'église pour les inévitables prières du matin et du soir. Un membre du groupe, catéchiste officiel ou non, mais dûment autorisé prendra la direction des prières collectives locales. Elles se dérouleront sur le bord du lagon, ou bien devant l'un de leurs abris, faré de construction très légère, assis sur le lit de cailloutis qui orne la façade.
J’ai transporté trois familles, sur les lieux de travail, lundi dernier ; on se rend compte que ces gens ont fait un ouvrage énorme au cours de la semaine. Dans le sous-bois, lors de leur arrivée, c'était le fouillis. Les palmes mortes et les noix mûres qui tombaient des arbres depuis quatre mois - temps écoulé depuis le dernier passage des travailleurs - tout était disséminé et mélangé sur la surface du terrain qu'elles recouvraient en un véritable tapis irrégulier. Les feuilles mortes ont été rassemblées en andins disposés à égale distance des arbres, qui sont à peu près bien alignés dans cette région. Elles ont été brûlées il y a peu ; de la fumée s'élève encore de quelques-uns de ces foyers. Les noix fendues sont entassées les unes sur les autres. L'ensemble ainsi traité est d'une propreté exemplaire. Le sol de la forêt se compose de cailloux grisâtres, quelques rares espaces de terre arable apparaissent parfois, mais ce sont bien les cailloux qui dominent ; on se surprend à penser : mais comment les racines des cocotiers s'alimentent-elles ?
J’ai stoppé le véhicule en bordure de forêt et me dirige vers Tetai Moeava. Il est le propriétaire des lieux et chef d'équipe de tout le personnel en activité dans les parages. Il est lui-même, occupé à rassembler les noix qui se trouvent éparpillées, dégagées de toutes les palmes sèches. Avec deux bâtons en mains, du calibre d'un manche de pioche, il travaille sans se baisser. Celui qu'il tient de la main droite, est muni à son extrémité d'un crochet métallique pointu ; il lui permet de piquer d'un coup sec dans la noix qui se présente devant lui, au sol. Ensuite, son bras oscille d'avant en arrière puis de nouveau vers l'avant, en prenant de la vitesse dans la direction d'un tas de ces fruits. Alors que son bras droit arrive à bout de course vers l'avant, de sa main gauche tenant elle aussi un bâton, il donne un coup sec sur l'outil ferré. Ce coup brusque a pour effet de décrocher la noix qui file vers le tas en formation. Il évite ainsi de se baisser pour chaque fruit. Un peu plus loin, Teretia, sa monumentale vahiné, est à l’œuvre ; ça alors ! ceci n'est pas courant du tout, elle adore plutôt la position horizontale du dormeur. Munie d'une hache qui ne pèse pas plus lourd qu'un canif entre ses mains, son occupation consiste à fendre les noix en deux. A mesure, les fillettes, Maria et Siki, rangent ces fruits coupés ; pour elles, c'est un jeu. Mais Maria qui a douze ans devraient être en classe : une paire de bras supplémentaire pour le travail de toute cette semaine écoulée sera plus bénéfique pour la famille que ce qu'elle aurait pu apprendre à l'école ; ainsi en a décidé Teretia lundi dernier, elle ne va pas nourrir ces enfants-là à ne rien faire !
Les deux morceaux du fruit sec, encore reliés par la bourre, sont empilés, la concavité tournée vers le sol, étagés en un seul rang. Dans cette position, les amandes sécheront encore pendant deux ou trois jours avant d'être décortiquées puis ensachées. Toutes celles traitées en début de semaine sont déjà prêtes, les sacs qui en sont remplis ont été apportés au bord du chemin ou au bord du lagon. Ils seront transportés aujourd'hui au village, en camion ou en voilier.
Tetai Moeava cesse son manège, il se dirige vers le rivage intérieur, vers les lieux où une pyramide constituée de ces sacs a été formée ; le camion s'étant arrêté tout près de là, il commence avec deux de ses aides à en constituer le chargement. Il y en a un stock considérable, il faudra probablement faire trois tours avant la fin du jour, il est nécessaire de se presser.
Un peu plus loin, vers l'océan, Eritapeta, fille adoptive, est affairée à l'extraction des amandes qui sont collées au fond des demi-noix ouvertes depuis trois jours, elles sont devenues bien sèches, elle les ensache aussitôt qu'elle en a formé un tas important. Assise au sol, elle tient dans sa main l'outil spécial, le pitoi. C'est une lame plate, courbe, non tranchante, et munie d'un manche adapté pour une main. La forme de la lame recourbée lui permet de l'introduire sous l'amande qui s'est un peu décollée et recroquevillée en séchant. La jeune fille tient de sa main gauche, la demi-noix qu'elle a posée sur sa cuisse ; d'un coup rapide et adroit de son pitoi, elle fait sauter ce morceau d'amande qui s'en va grossir le stock décortiqué. On remarque que le volume des amandes, lorsque l'extraction est terminée, est beaucoup moins important que le tas de noix rassemblées.
En approchant d'elle, je vois bien, comme je l'ai observé dès mon arrivée chez les autres travailleurs, que sa couleur de peau a changé ; tout le long de cette semaine, elle a été bien plus souvent exposée au soleil qu'à l'ombre et en permanence au vent d'est qui a soufflé fortement ces jours derniers, sa peau bien bronzée est devenue presque noire.
- Alors jolie vahiné, maitai ? ça va bien.
- E, maitai roa, très bien.
- T'es-tu ennuyée cette semaine ?
- Korereka, un peu.
- Tu travailles encore longtemps avant de partir vers le village,.
- Aita, non, je finis de décortiquer ce petit tas que tu vois près de moi et je pars de suite ; je rentre avec la pirogue, il faut que je la ramène à Pua Kiri Kiri, a dit mon oncle.
- Il est un peu tard, tu es bien sûre d'arriver avant la nuit ?
- Oui, le vent est fort aujourd'hui, il souffle dans l'axe du lagon, pas besoin de louvoyer, je vais faire toute la traversée vent arrière et à grande vitesse. Le trajet ne durera pas beaucoup plus d'une heure. Dans une demi-heure je suis prête, j'arriverai juste au coucher du soleil ; la pirogue va être légère puisqu'il n'y aura pas de sacs de coprah d'embarqués à son bord.
- Tu rentres seule ?
- Non, je pars avec mes deux sœurs et les quatre petits cochons que tu vois là, attachés par les pattes ; j'emmène aussi les ballots de linge et les chiots.
- La vaisselle, tu ne la rapportes pas au village ?
- Non, puisque nous revenons ici lundi matin. Et puis si je chavire, elle irait au fond, elle ne serait pas perdue, mais il faudrait rechercher le lieu du naufrage pour la récupérer. Tout ce que j'aurai à bord aujourd'hui, flotte ou nage.
- J'aimerais rentrer avec toi en pirogue, Petero ramènerait le camion, il ferait les deux ou trois rotations prévues pour les sacs pleins de la récolte.
- Moi je veux bien, il n'y aura pas de problème si je coule, puisque tu sais bien nager ; par contre, il faut que tu demandes à mon oncle. Je pense qu'il sera d'accord, mais il ne faut pas oublier de lui poser la question ; il ne comprendrait pas, sinon.
Après avoir parlé pendant quelques minutes à Tetai, ainsi qu'à d'autres travailleurs, je m’en retourne vers le rivage du lagon où Eritapeta qui en a terminé avec ses noix s'affaire à préparer la légère embarcation, aidée par les deux fillettes. Les petits gorets sont attachés au banc de l'avant, les jeunes chiens, qui sont habitués aux traversées, couchés sur les paquets de linge, somnolent déjà au soleil. La voile est affalée au pied du mât et la fille, le seul matelot d’à peine dix-huit ans, contrôle la drisse de hissage et l'écoute.
A quelques mètres de là, dans les eaux plus profondes, deux hommes préparent le gréement d'un gros canot qui s'y trouve ancré, pendant que d'autres le chargent de sacs. Il partira bientôt lui aussi, mais, plus lourd que la pirogue, il naviguera moins vite, il n'arrivera à destination qu'une fois la nuit tombée.
Un quart d'heure plus tard, l'embarcation légère est parée pour l'appareillage, les quatre membres de l'équipage la poussent dans les faibles fonds, puis d'un saut, ils se retrouvent à bord. Aussitôt embarqué, le pilote hisse la voile qui attend, bien rangée au pied du mât. La pirogue orientée vers l’ouest, démarre vent arrière avec une rapidité surprenante. Le vent est très fort, le météo estime sa force à vingt-deux nœuds (1)
Immédiatement la vitesse de croisière est atteinte. La jeune fille tient la barre d'une main ferme et solide ; son visage fermé observe l'environnement d'un regard très sérieux : l'embarcation, le gréement, la mer, les passagers. Le vent relatif du fait de la vitesse est quasi nul. Le soleil brûle la peau qui n'est plus ventilée et l'on baigne dans une atmosphère cotonneuse, le seul bruit audible étant celui de l'eau qui clapote le long de la coque et du flotteur.
- Alors, cela te plaît la navigation en pirogue ? me demande Eritapeta qui en a terminé avec les réglages de la voile, maintenant libre de ses pensées, après avoir constaté que tout va bien et que l'embarcation file vers l'ouest-nord-ouest en plein lagon.
- Oui, répond-il, et tu la barres, tu la diriges, comme un vrai marin, comme un vieux loup de mer.
- C'est une obligation aux îles Tuamotu, savoir conduire une pirogue ; au même titre qu'en France savoir conduire une voiture. Ici, c'est la mer qui rythme notre vie, nous devons composer, alors filles ou garçons, nous sommes tous des marins. On aime ou on aime pas, mais il faut faire et nous savons tous le faire. Cette obligation-là a rangé les Paumotu parmi les meilleurs marins du monde. Savoir conduire une automobile n'est pas indispensable ici. Tu vois bien qu'à Reao il n'y a que quelques pistes. Alors il n'y a pas de voiture, on peut s'en passer. On apprécie malgré tout le coup de main que tu peux donner avec le camion de la météo ; mais sans lui, le transport des sacs se ferait au travers du lagon, comme par le passé. De plus, les Reao sont pauvres, il n'y a pas d'argent pour acheter une voiture ; et il n'y en aura probablement jamais.
Pendant un instant, concentrée, elle vérifie le réglage de la voile et reprend un peu de mou dans l'écoute.
- Tu vois reprend-elle, je suis très heureuse quand je pilote la vaka motu, c'est un petit bateau très agréable à manœuvrer, un jouet ! Aujourd'hui avec le vent arrière il y a moins de risque de chavirer que pendant le parcours en sens inverse. Quand je viens de Pua Kiri Kiri, du village, vers Gake, avec ce même vent, c'est un drôle de sport. Je passe toute la matinée et parfois plus à louvoyer pour atteindre mon but. Le vent régnant ajouté au vent de la vitesse crée des sensations et des impressions fantastiques. Sur le fond, la vitesse n'est pas importante, mais l'on navigue contre le vent et contre la mer et la pirogue dérive beaucoup. Alors l'eau gicle de partout, de tribord à bâbord, nous sommes complètement trempés : cheveux, habits, tout colle à la peau, le sel brûle les yeux, on avale de l'eau à grosses goulées ! on en est abreuvé. Il arrive que parfois le flotteur s'enfourne dans une vague car, on a beau être dans un lagon, le vent peut y lever des vagues de plus de deux mètres ! A ce moment, la vaka motu chavire. A deux personnes, elle se remet facilement à flot ; mais seul, il n'y a plus qu'à se laisser dériver, corps et biens vers le rivage, que l'on est tout à fait sûr d'atteindre dans un atoll fermé. On y participe en nageant et en poussant. Parfois, au chavirement, l'enfournage brutal brise les espars qui arriment l'embarcation au flotteur. Tu sais qu'une pirogue polynésienne ne tient sur l'eau que grâce à son flotteur, que l'on appelle aussi balancier, et qui est de ce fait la pièce maîtresse. Dans ce cas-là, une fois celui-ci brisé, que l'on soit seul ou bien plusieurs, il ne reste plus qu'à nager et pousser l'épave.
Il y a quelques semaines, avec mon cousin Tepano qui n'a pas peur mais qui est un peu brutal, alors qu'il était le barreur de la vaka, nous avons chaviré à mi-chemin de Gake. La chute à l'eau, après avoir enfourné le balancier, a été de ces plus spectaculaires. Pour ma part j'ai fait un vol plané sensationnel vers la mer. Le brin de traverse arrière du flotteur a été cassé dans l'accident. Nous avons pris un bon bain ; autour de nous, trois chiens et deux jeunes cochons nageaient dans les vagues. Pendant que je soutenais tout ce petit monde, Tepano avec un morceau de chambre à air de vélo en réserve, fixé à quelque endroit, réparait le léger espar brisé. Un moment plus tard, nous redressions tous deux la pirogue, nous vidions l'eau avec l'écope, et nous reprenions la route après avoir rembarqué tous nos passagers.
- Comment faites-vous pour la relever ?
- L'embarcation est très légère ; alors, tout en nageant il faut orienter le sommet du mât, qui est à plat sur l'eau, dans la direction d'où souffle le vent. Continuer l'action en soulevant ce mât à bout de bras, afin que le vent prenne dans la voile, par-dessous. Elle va très vite se relever, quelques fois, elle ne s'arrête pas et chavire de l'autre côté. Il faut l'empêcher de partir de l'autre bord en retenant le mât avec un long bout frappé à son sommet. Une fois la pirogue redressée, il faut en vider l'eau, ce qui n'est pas une mince affaire. Si le clapot est trop fort on ne peut pas y arriver, les vagues qui déferlent en rajoutent régulièrement à l'intérieur ; il ne reste plus qu'à nager en direction des motu. Et puis, on ne peut vider cette eau que si l'écope n'est pas partie vers le fond. Il ne faut surtout pas l'oublier avant le départ, elle fait partie du matériel de bord de première nécessité. Une écope métallique coule en cas de chavirage, il ne faut pas omettre de l'amarrer ; si elle est en bois, elle flottera ; mais sans écope, il faudrait tout vider à la main.
Aujourd'hui le début du parcours se déroule sans problème, tous les passagers sont bien sages et personne ne bouge. Siki et Maria sont assises à l'avant de l'embarcation, elles jouent aux osselets, un jeu ancien complètement disparu en France, qui perdure bien loin, aux îles Tuamotu ; mais qui peut l’avoir apporté ici ? Elles sont tout à coté des ballots de linge sur lesquels les cochons et les chiens sont maintenant entremêlés et dorment comme des princes, réchauffés par le soleil. Ces jeunes animaux sont bien habitués ; chiens et cochons migrateurs, tous destinés à la boucherie, ont déjà plusieurs traversées du lagon comme passagers à leur actif. Il y a de l'atavisme dans leur comportement, réminiscence des temps anciens, passé lointain pendant lequel leurs ancêtres parcouraient l'Océan Pacifique, à bord des pirogues doubles de leurs maîtres Polynésiens, qu'ils accompagnaient lors de leurs grands voyages d'exploration et de découvertes, au travers de cette immensité marine.
Mais alors que l'on a parcouru quelques kilomètres depuis la zone bien abritée que forme la baie de Gake, la houle a pu se former et le phénomène s'amplifie de minutes en minutes ; au tiers du chemin, les vagues les plus grosses atteignent une hauteur d'un mètre !
- Siki, haere koe i nia iato ! ordonne la grande sœur ; monte sur la traverse Siki.
Laissant là sa sœur et les osselets, la petite se lève et en véritable équilibriste grimpe puis circule sur le chevron, se déplaçant ainsi jusqu'à son extrémité tribord, où elle demeure accroupie au-dessus du vide, ses mains cramponnées - mais sans peur aucune - tenant fermement chacune un hauban. Le poids de la fillette soulage le balancier côté opposé, le flotteur pénètre ainsi un peu moins dans les vagues ; ce mouvement de personnel allège l'embarcation et lui laisse prendre un peu plus de vitesse.
La traverse sur laquelle est perchée la petite sœur d’Eritapeta, est amarrée à la coque, sur son tiers avant, avec des cordages fixés aux membrures. A son extrémité babord est rivé le flotteur, le balancier ; côté opposé, elle se projette à l'extérieur, elle y reçoit en plusieurs points les haubans qui étayent le mât.
Suivant un cours instant d'observation de cette navigation, nouvelle pour lui, Rohi demande ensuite à la jeune fille de lui énoncer les termes employés pour nommer les divers éléments de ce petit bateau à la rapidité surprenante.
- Cette embarcation, dit-elle alors, c'est une vaka motu, pirogue qui sert pour aller de motu en motu, d'îlot en îlot. On l'appelle aussi kaveke, ce nom est typiquement Reao, ou de l'extrême Est de l’archipel Tuamotu ; à ne pas confondre avec la lune qui se nomme kavake. En tahitien, ce petit bateau se nomme va'a. Les grandes pirogues doubles avec lesquelles nos ancêtres exploraient l'Océan Pacifique, s'appelaient les pahi ; les pirogues de guerre, c’était les pahi tamaki. Sans balancier, sans flotteur, une pirogue polynésienne ne tient pas sur l'eau, elle chavire. Ce flotteur : le ama, est tenu par deux iato, les traverses. Celui de l'avant, est une sorte de chevron rigide, il est fixé solidement à la charpente. Quand à celui de l'arrière, il n'est bien souvent qu'une simple et mince branche d'arbre pliée en arceau ; il donne une bonne élasticité au ama, le rendant légèrement indépendant du mouvement de la vaka motu à qui il confère ainsi une grande souplesse. Tout cet ensemble est maintenu par des cordages fabriqués au village avec la bourre de l'écorce des noix de coco.
Après avoir réglé quelque peu la drisse et l'écoute, le pilote reprend :
- Dans ma main, je tiens hoe faatere, le gouvernail. Jadis la rame de gouverne portait ce nom ; maintenant c'est une barre, on en a gardé l'appellation polynésienne. La voile c'est gie, un mot imprononçable pour les popaa. Aux temps anciens, les voiles étaient confectionnées en fara, en feuilles de pandanus tressées finement. Elles ont gardé le nom de cet arbre qui s'appelle gie dans le dialecte mangarévien, terre d'origine des Reao. Ma voile, comme tu le vois est en toile popaa, bien plus solide. Si l'on en prend soin, elle ne s'use pas. On trouve maintenant des voiles en nylon. J'en ai vu à Tahiti ; quel plaisir de les manœuvrer, elles sont si légères ! Les voiles de pandanus, élément de base de la civilisation polynésienne, ont maintenant disparu, plus personne ne sait les fabriquer, excepté, peut-être, les habitants de Rurutu, une île de l'archipel des Australes, où ceux-ci sont encore maîtres dans l'art de cultiver et de travailler le pandanus, des variétés qu’ils cultivent spécialement pour leurs travaux de vannerie.
L'état du lagon continue de se détériorer, les vagues dépassent un mètre de hauteur, les plus grosses rattrapent l'embarcation et la font tanguer en la soulevant de l'arrière, et diminuent sa maniabilité. Parfois, jouant comme les poissons volants, un banc d'aiguillettes orphies prend son envol, elles filent devant la pirogue et s'en vont retomber quelques mètres plus loin.
Faumea, en pilote confirmé, contrôle toujours très bien le tout, et continue de donner ses explications :
- Mon oncle a construit cette pirogue avec l'aide d'Evarito, le tamuta, le charpentier. Ses membrures sont en bois et sa coque en contreplaqué. L'assemblage est réalisé avec des clous. Tous ces matériaux viennent de Tahiti et sont achetés avec l'argent que rapporte le coprah exporté. Dans le passé, les paumotu construisaient leurs pirogues en cousant entre elles des planches qu'ils taillaient avec leurs outils de pierre dans les arbres croissant sur leurs îles. Ils n'avaient pas la chance d'avoir à leur disposition les grands arbres des îles hautes volcaniques, dans lesquels on pouvait creuser, à l'herminette de basalte et au feu, une pirogue entière ! Ils se contentaient donc de ce qu'ils avaient sous la main, découpant leurs planchettes et forant les trous de couture avec des outils de de corail qui s'usaient presque aussi vite que le bois travaillé. Ces trous étaient forés avec la pointe des coraux branchus, les acropores ; tu en as vu dans le lagon. Les coutures étaient réalisées avec de fines cordelettes faites de bourre de coco tressée.
La moitié du chemin semble avoir été parcourue, les cocotiers de Gake sont déjà bien loin en arrière, lorsque sur la gauche Rohi remarque quelques petits flotteurs blancs.
Eritapeta, qui a observé son regard interrogatif, devance ses questions :
- Ce sont les limites de la zone de culture d'huîtres perlières, elle a été aménagée pour essai il y a cinq ans environ. On espérait que des perles pouvaient être produites ici, comme dans d'autres îles basses ; ce qui aurait pu nous apporter un bon revenu, peut-être même, qui sait, nous enrichir. Mais les dernières études ne sont pas concluantes, la nacre est de mauvaise qualité. Des perles, il n'y en a guère et sont tout comme la nacre, non négociable. Les techniciens qui suivent cet élevage nous disent que le lagon n'est pas assez alimenté en eau du large, il y a donc déficit de plancton pouvant servir d’aliment à ces coquillages et, de plus, la nacre est attaquée par un parasite. Les huîtres se trouvent à environ vingt-cinq mètres de profondeur ; ceux qui peuvent descendre jusque là en prélèvent parfois pour en manger les chairs et pour décorer leur faré avec les coquilles. Bien qu’elles ne soient pas négociables, ils s'en trouvent malgré tout de très belles et d'un diamètre étonnant. Par contre, en certains endroits le fond est tapissé de pipi ; ce sont de petites huîtres dans lesquelles on rencontre des perles proportionnelles à leur taille. Quand tu reviendras avec moi, en pirogue, nous en ramasserons un plein seau et tu auras des perles pour offrir.
- Quel travail pour ouvrir tous ces coquillages ! s'étonne-t-il.
- Mais non, on ne les ouvre pas, il suffit de les laisser plusieurs jours dans le seau ou la bassine. Elles seront mortes et commenceront à pourrir, alors on touillera le tout avec un bâton, et assez longuement ; tes perles se retrouveront au fond du récipient. Ce n'est pas très appétissant à faire, je te l'accorde.
Les creux des vagues atteignent maintenant un mètre cinquante et le balancier enfourne parfois dangereusement dans les crêtes, malgré l'allégement du au poids de la fillette qui est toujours stoïquement accroupie à son poste. Comme l'état du lagon ne peut faire que s'aggraver, notre pilote amène la voile et stoppe ainsi l'embarcation afin de prendre quelques ris et d'en diminuer la surface ; ce qui est réalisé en quelques minutes. Elle estime que Siki est trop légère sur le bout du iato, elle la fait permuter avec Maria, escomptant que ses quinze kilos de plus soulageront mieux le flotteur. La surface de la voile ayant été nettement diminuée, la vitesse en est bien réduite. La pirogue, du fait de la crête des vagues qui la dépasse allégrement, est moins manœuvrable, mais on sent qu'elle ne fatigue plus, comme cela était dans les minutes précédentes. La jeune fille qui connaît bien sa partie a eu parfaitement raison de prendre toutes ces précautions.
Les environs de Pua Kiri Kiri où l'on arrive au bout d'une demi-heure, se trouvent en fin de course de cet alizé fort. En ces lieux, aujourd'hui, les creux des vagues dépassent deux mètres ! Une fois de plus, rien de commun avec la beauté des lagons polynésiens tant vantée par les agences de voyage ; ce site de l’atoll Reao ne sera jamais retenu par "Club med" pour y réaliser les photos publicitaires de ses catalogues. Ici, l'eau agitée est boueuse, le rivage où ces boues s'accumulent est peu engageant. Mais il est bien vrai qu'à Gake, d'ou vient notre vaka motu, il n'y a jamais de houle par régime d'alizé, même fort. Sa plage répond très bien aux critères des dépliants touristiques ; elle serait certainement idéale pour l'établissement d'un camp de vacances. Mais, grands dieux ! que l'importante distance de Tahiti à Reao protège longuement notre atoll de ce qui serait une catastrophe.
Pendant cette traversée animée, le camion, par le chemin sableux de la forêt est arrivé lui aussi avec son chargement, tous se retrouvent en face du bourg. Le tavana, qui demeure à proximité dans un faré tout proche, rejoint le rivage avec d'autre villageois. Il donne alors à son monde une information qu'il a reçu par radio à la liaison de cet après-midi, à savoir : la venue de la goélette Aranui, après-demain dimanche. Elle sera devant l'atoll au petit jour. Le bateau viendra de Puka Rua où il fera une courte escale demain ; il sera ponctuel comme à l'accoutumée, c'est bien sûr.
André Pilon
Dernière édition par PILON le Dim 11 Avr 2010 - 11:52, édité 2 fois
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
jean-claude BAUD- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 83
- Message n°489
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Merci André pour ce récit digne d'un anthropologue..
Connais-tu l'origine du mot "SIKI" ? En général il servait à désigné les radios antillais :
En général les gens à peau très foncée...
Connais-tu l'origine du mot "SIKI" ? En général il servait à désigné les radios antillais :
En général les gens à peau très foncée...
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"Puisqu'on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter les voiles".
[James Dean]
D.THIEBAULT- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 70
- Message n°490
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Monsieur PILON,
Si un jour,tu fais un livre avec tous tes récits, fais moi signe.
je me ferai un devoir de l'acheter et un plaisir de le lire!!!!
Amicalement.
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Celui qui marche droit trouve toujours le chemin assez large.
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°491
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
-Je fis connaissance, Jean-claude, avec le nom Siki, en 1939 alors que des réfugiés de guerre de la région parisienne était venu s’installer dans mon village. Ces gens-là avaient un magnifique chien-loup noir au poil brillant autant que celui d’un chat ; un chien-loup tout noir, ce n’est pas courant et il avait pour nom : Siki.
Un jour, il y a bien longtemps et par hasard, peut-être dans les années 50, j’appris que Siki était le nom d’un boxeur français, du début du XX ème siècle, mais sans plus.
Depuis quelques années, grâce à internet qui nous renseigne sur tout, je sais qui était SIKI, et je pens que dans le monde de la boxe, comme c’était un champion, on doit se rappeler de lui.
Siki fut le premier africain champion du monde.
Il est né en 1897 et est mort en 1925, il avait plusieurs noms et son nom de ring était Battling Siki.
Wikipedia nous donne son parcours, faites donc avec Google, les mots clés suivants : battling siki.
Tu y apprendras également qu’il a été assassiné aux Etats-Unis de deux balles dans le dos, il avait 28 ans.
Effectivement le souvenir de Siki demeure en Polynésie, pour beaucoup sans savoir qui était ce garçon, et les gens de couleur, dont les Antillais principalement et sur nos atolls étaient ainsi surnommés.
Remarque que bien souvent les Pomotus étaient plus sombres de peau que ceux à qui ils donnaient l’étiquette de Siki. C’était l’hôpital qui se moquait de l’hôtel-Dieu. J’ai entendu Mathias dire ce mot-là, lui qui avait le teint bien sombre, si sombre qu’il était surnommé titata popo, autrement dit : cul de chaudron.
Dans le message 498, décrivant la traversée du lagon, Eritapeta, le pilote de la vaka motu, a embarqué dans la pirogue ses deux sœurs. La petite Siki, qui portait ce surnom, était presque noire de peau et était sa vraie sœur, l’autre non. Eritapeta et Siki n’avaient plus de mère, elle était morte quelques années plus tôt à Tatakoto en mangeant du huehue, du tétrodon empoisonné, dont les viscères portent un poison mortel pour l'homme. Elles étaient donc chez leur oncle, toutes deux devenues enfants faamu, ainsi que l’autre fillette.[/justify]
André Pilon
Un jour, il y a bien longtemps et par hasard, peut-être dans les années 50, j’appris que Siki était le nom d’un boxeur français, du début du XX ème siècle, mais sans plus.
Depuis quelques années, grâce à internet qui nous renseigne sur tout, je sais qui était SIKI, et je pens que dans le monde de la boxe, comme c’était un champion, on doit se rappeler de lui.
Siki fut le premier africain champion du monde.
Il est né en 1897 et est mort en 1925, il avait plusieurs noms et son nom de ring était Battling Siki.
Wikipedia nous donne son parcours, faites donc avec Google, les mots clés suivants : battling siki.
Tu y apprendras également qu’il a été assassiné aux Etats-Unis de deux balles dans le dos, il avait 28 ans.
Effectivement le souvenir de Siki demeure en Polynésie, pour beaucoup sans savoir qui était ce garçon, et les gens de couleur, dont les Antillais principalement et sur nos atolls étaient ainsi surnommés.
Remarque que bien souvent les Pomotus étaient plus sombres de peau que ceux à qui ils donnaient l’étiquette de Siki. C’était l’hôpital qui se moquait de l’hôtel-Dieu. J’ai entendu Mathias dire ce mot-là, lui qui avait le teint bien sombre, si sombre qu’il était surnommé titata popo, autrement dit : cul de chaudron.
Dans le message 498, décrivant la traversée du lagon, Eritapeta, le pilote de la vaka motu, a embarqué dans la pirogue ses deux sœurs. La petite Siki, qui portait ce surnom, était presque noire de peau et était sa vraie sœur, l’autre non. Eritapeta et Siki n’avaient plus de mère, elle était morte quelques années plus tôt à Tatakoto en mangeant du huehue, du tétrodon empoisonné, dont les viscères portent un poison mortel pour l'homme. Elles étaient donc chez leur oncle, toutes deux devenues enfants faamu, ainsi que l’autre fillette.[/justify]
André Pilon
Dernière édition par PILON le Sam 17 Avr 2010 - 22:52, édité 2 fois
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Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
jean-claude BAUD- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 83
- Message n°492
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Je connaissais Battling Siki car mon Père en parlait souvent.
Mais je n'ai pas fait le rapport lorsque je t'ai posé la question...
Mais je n'ai pas fait le rapport lorsque je t'ai posé la question...
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[James Dean]
† tataio- PREMIER MAÎTRE
- Age : 77
- Message n°493
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
merci à vous deux de m'avoir appris quelque chose
amitiés
amitiés
A FA'A HEIMOE TO OE ORA, E HA'A MAU TEIE MOE -
Fais de ta vie un rêve, et de ce rêve une réalité - citation de St Exupery
† CYBAL Jacques- PREMIER MAÎTRE
- Message n°494
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Beau récit André, et Blattling Siki juste entendu parler, mais il y a si lontemps....
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°495
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Aujourd’hui, sous forme romancée, je vais vous décrire un tamaraa, un repas gargantuesque comme les aime les Pomotu. Tous les anciens des atolls vont reconnaître les agapes auxquelles ils ont pu participer dans le passé avec nos amis des îles.
En fait, j’ai, comme ont dit : poussé un peu, donc romancé ; j’ai mis dans un seul tamaraa ce que j’ai pu voir dans plusieurs, à Puka Puka, à Tureia et à Reao. Mais vous constaterez que je n’ai rien dénaturé.
De Puka Puka, on y reconnaîtra, Panapa et son scooter ; Teariki est un commerçant de Puka Puka Puka également. la bagarre de femmes ce fut à Tureia ; la famille allant coucher au menema, au cimetière, c’était à Reao. les Chiens morts c'est sur tous les atolls que l'on a pu les voir ainsi noyés et cuits.
En fait, j’ai, comme ont dit : poussé un peu, donc romancé ; j’ai mis dans un seul tamaraa ce que j’ai pu voir dans plusieurs, à Puka Puka, à Tureia et à Reao. Mais vous constaterez que je n’ai rien dénaturé.
De Puka Puka, on y reconnaîtra, Panapa et son scooter ; Teariki est un commerçant de Puka Puka Puka également. la bagarre de femmes ce fut à Tureia ; la famille allant coucher au menema, au cimetière, c’était à Reao. les Chiens morts c'est sur tous les atolls que l'on a pu les voir ainsi noyés et cuits.
Le tamaaraa
Aujourd'hui dimanche, au faré de Tetai Moeava, il règne une très grande animation. Voici venu le jour de la réunion organisée afin de marquer l'inauguration de la nouvelle citerne qui a été construite pendant les semaines écoulées. Toute la population de l'île va participer à un repas pantagruélique, à un gigantesque tamaaraa, comme on appelle ici et dans toute la Polynésie, ce repas de fête. L'ensemble du personnel de la station météo y est invité au complet. Les festivités sont prévues débuter à quinze heures, quand les travaux des membres effectuant le radiosondage de la mi-journée seront terminés.
Sur la citerne toute de blanc et fraîchement crépie, le propriétaire a écrit à la craie bleue : tura pape Rohi, la citerne de Louis. Il a donné ce nom afin de remercier le chef de la station météo qui, avec le camion 4X4, a transporté du rivage au lieu de la construction, tous les moellons de calcaire corallien, arrachés à la barre à mine du côté de l'océan, et qui ont servi à sa construction.
Ce futur réservoir à eau de pluie est édifié à proximité d'un autre bâtiment, couvert de tôle, qui sert de débarras, de salle de lessive, et de salle de bain pour les femmes et les filles de la famille. Ils sont reliés tous deux par des gouttières qui permettront de récupérer les eaux pluviales.
En vue ces réjouissances, Evarito, le tamuta, le charpentier local, a été mis à contribution pour le montage d'une construction qui ne durera que le temps des réjouissances ; elle est assez vaste pour contenir toute la population de l'atoll, soit cent cinquante adultes, une centaine d'enfants et une vingtaine de personnes composant l'effectif météo. Elle est édifiée en tronc de cocotiers plantés dans le sol caillouteux et supportant poutres et chevrons. Le tout est couvert de bâches et de vieilles toiles à voiles. On a fermé, de même avec des toiles, tout le côté est, la direction d'où souffle le vent alizé, afin de protéger les convives d'averses intempestives soudaines et brèves comme il s'en produit parfois par ce type de temps, et aussi du peu de fraîcheur nocturne de ce vent. L'ensemble une fois terminé a été décoré de feuilles de cocotier, agencées de diverses et originales façons par les vahinés, comme elles savent si bien le faire pour toutes fêtes ou cérémonies.
Tetai Moeava a donné des ordres aux gens de son entourage, de son clan peut-on dire, afin qu'ils œuvrent pour la préparation et la réussite du tamaaraa et chacun s'est attelé à sa tâche depuis plusieurs jours ; ainsi le montage du bâtiment de réception est commencé depuis une semaine.
La veille, une équipe, transformée pour l'occasion en bouchers, a sacrifié quatre gros cochons noirs et une douzaine de chiens. Si l'on s'y prend comme chez nous pour ce qui est de l'abattage des porcs, la mise à mort des chiens est une action des plus cruelles, Rohi qui y assistait a pu le constater. Comme on le fait toujours, ils ont été noyés ; les préposés à ce lugubre ouvrage se sont rendus sur les récifs emportant avec eux un ou deux sacs de jute vides sous leur bras. Les animaux les suivant en toute confiance, et certains de ces hommes étaient leurs maîtres. Arrivés sur les lieux, ils en ont ficelé six, chacun dans un sac, puis balancé dans un trou d'eau. Au bout d'une dizaine de minutes, insensibles au plus haut degré, ils les ont sortis du sac et déposés pantelants sur le rocher. Ayant ensachés les six autres, ils recommencèrent l'opération. L'action suivante consistant à racler leur pelage après les avoir ébouillantés avec de l'eau qu'apportèrent des femmes qui avaient observé leurs hommes depuis le rivage où un grand bidon d'eau avait été mis à chauffer. Ces dames, munies d'un couteau de boucher se chargèrent de mettre leur peau à nu.
Une autre équipe prépare de grands plats de poissons crus avec une part du butin de la pêche d'avant-hier, le tout ayant été rapporté ce matin du point de stockage, qu’étaient devenus, pour l’occasion, les réfrigérateurs de la météo. Coupés en dés, ils sont mis à macérer dans du jus de citron vert. Ils seront servis avec du lait de coco, accompagnés de concombres et de tomates récoltés sur l'île ; quelques oignons coupés finement garniront aussi ces plats.
Les femmes et les fillettes ont eu la charge de confectionner les boulettes de ipo, le gâteau ; ces boulettes, grosses comme des boules de pétanque sont tout simplement faites de farine et cuites dans l'eau. Pour l'occasion, elles seront améliorées d'amandes de noix de coco râpées et mélangées à la farine. Elles feront aussi le poe qui est une friandise composée d'amidon pétri et mélangé à la pulpe de la papaye bien mûre. Deux jeunes filles, dont Eritapeta, aidées par la petite Maria, ont la charge de râper toutes ces amandes, dont la destination est le ipo et le poisson cru. Après avoir d'un coup de tipi rahi, de machette, fendu par le milieu ces noix déjà décortiquées, les deux grandes ont, pendant deux heures, chacune sur leur ana, un chevalet, frotté l'intérieur des deux hémisphères qui partagent le fruit, au morceau de ferraille dentelé fixé à la tête de cette monture. La pulpe râpée bien menue, tombe dans une cuvette. Avec un linge, la fillette en fait des paquets gros comme deux poings, puis elle les presse en tordant, afin d'en exprimer le jus qui est précisément le lait de coco. C'est la surprise des agents de la météo se trouvant sur les lieux ; ceux-ci croyaient que le lait était le jus qui se répand sur le sol quand les filles coupent ces noix en deux d'un coup de hache. Ce liquide que les cailloutis absorbent n'est plus que de l'eau sans valeur nutritive, alors que la noix est devenue sèche ; par contre, ce que sort Maria en comprimant son linge, c’est un autre liquide épais qui ressemble parfaitement à du vrai lait de mammifère.
Eritapeta est assise sur sa monture et râpe sans discontinuer, les deux mains posées sur une moitié de fruit. Elle a très chaud, elle est torse nu, n'ayant pour tout vêtement qu'un paréo et un tapea titi, un soutien-gorge. L'effort déployé pour gratter les fruits la recouvre de sueur qui dégouline dans son dos, et sur lequel ses longs cheveux tenus par un bout de galon retombent lourdement en se collant à sa peau. Se moquant de leur naïveté au sujet des noix, en souriant, elle découvre ses belles dents blanches, puis sans transition elle leur applique l'épithète de taioro, prenant alors une pincée de coco râpé entre ses doigts et leur montrant. Maria, sa petite sœur qui ne désire pas être en reste et pensant très bien connaître le sujet leur en fournit l'explication avec volubilité (1).
Une partie des aliments préparés, les uns la veille, les autres le matin même, et qui doivent être cuits, sont disposés dans des fours creusés à même le sol, les ahi maa, une pure technique océanienne de la cuisson des aliments. Le grand chef responsable des fours sera, pour la circonstance, Akutino Poria ; ainsi nommé car il est obèse ; ce qui le distingue de Akutino Kuikui, que nous avons vu à l'accouchement de Mareta, qui est du genre homme fil de fer. Le Poria a sous sa houlette trois ou quatre garçons qui ont fait la corvée de bois. Ils ont ramené pour les feux de gros morceaux de miki miki bien secs, déracinés par la mer sur les bords des hoa, et desséchés depuis. Ils l'ont aidé à creuser ces fours, à les préparer, à les allumer, à placer savamment les aliments sur les pierres brûlantes et recouvrir le tout. Ensemble, ils ouvriront ces foyers qui sont au nombre de dix, quand le festin aura commencé et à mesure des besoins.
Quatre de ces fours sont chargés de langoustes et de poissons, les six autres contiennent les viandes, chiens et cochons, ainsi que des légumes. Au sol, ils ne sont visibles que par un petit monticule pierreux et terreux ainsi que par la fumée qui s'en échappe ; on en ressent bien la chaleur si l'on s'approche à moins d'un mètre.
Tôt ce matin, l'équipe de femmes désignées s'est attelée à la préparation du poisson cru ; on en trouvera sur les tables deux sortes de platées. Les unes seront composées de roroa, une variété de thon, les autres de uhu qui sont les perroquets. Les citrons verts qui ont donné le jus dans lequel on met à macérer tous ces poissons coupés en dés, en petits cubes, ont été cueillis la veille par les enfants. Il y en eut quatre seaux, tous les rares citronniers de l'atoll ayant été visités. Une fois le poisson cuit à froid au jus de citron, les vahinés terminent la préparation en y ajoutant le lait de coco que leur passe la petite Maria au fur et à mesure qu'elle presse la pulpe. Elles les complètent d'une garniture de légumes crus : tomates, concombres, radis et carottes râpées.
Excepté les oignons et les carottes, ces légumes sont cultivés ici par Keha qui a appris l'agriculture à Tahiti. Pour ce travail, il remet en service quelques-unes des anciennes fosses à culture de taro de Gake (2), abandonnées depuis longtemps. Il réalise en général de belles récoltes, les plantations, dans ces fonds, se trouvant protégées des embruns. Il a ainsi rapporté de là-bas deux brouettées de pastèques venues à maturité dans ces jardins enterrés. Les oignons et les carottes sont fournis par la météo, ils font partie du ravitaillement mensuel arrivé par hydravion.
La préparation des aliments pour une fête de cette importance est un énorme travail qui prend du temps et emploie beaucoup de monde. Si l'on y ajoute les activités de pêche, de boucherie, de montage du bâtiment servant d'abri, aujourd'hui chacun se doit d'y participer selon ses connaissances et ses aptitudes.
Un homme coordonne le tout ; comme c'est en général le chef de la famille invitante, c'est dire si aujourd'hui Tetai Moeava est agité.
Son cousin, Teni, est chargé des boissons, ce qui n'est pas une mince affaire. Au cours des derniers jours il a préparé le komo puaka, l'eau de cochon, dirait-on. Cet alcool fort, spécial pour gosier paumotu, il l'a obtenu en mettant à fermenter de la levure de boulangerie dans une grande touque d'eau sucrée. Et puis, comme ce breuvage est assez rêche, il a pu l'édulcorer avec des oranges qu'il s'est procurées dans ce but sur le dernier bateau. Si ces fruits n'avaient pas été au rendez-vous, il aurait tout simplement versé dans le bidon, une bouteille d'eau de Cologne, gardée au fond d'un coffre et réservée pour une telle occasion. Cette boisson servira de digestif à la fin du repas ; on la terminera pendant le bal et autres divertissements qui suivront.
Mais le sommelier improvisé n'a pas oublié la boisson principale, la sangria. Les Reao n'aiment guère le pinard nature, et le vin sucré, pour eux, est un délice. Alors, il n'a pas lésiné sur la quantité, il en a rempli huit immenses bassines en plastique. Des oranges coupées en quartiers ou en rondelles y sont mises à macérer. Le vin rouge a été fourni, lui aussi, par la cambuse de la météo qui a honoré la commande du responsable des boissons ; et l'on a pu voir deux fûts vides derrière ce local !
De ces boissons, il n'en restera pas une goutte lorsque la fête sera terminée. Il serait même anormal, selon les critères de notre atoll, qu'elle se termine alors qu'il y a encore de quoi boire. Donc, plus les récipients seront volumineux, plus elle durera. Teni est un connaisseur, ne nous y trompons pas, il a réuni là toutes les plus grosses bassines du village ; les réjouissances dureront, on peut lui faire confiance. (A suivre)
1 - Les Polynésiens sont circoncis, d'où la propreté parfaite de leur sexe ; ce qui n'est pas toujours le cas chez les Européens. L'image de ce manque de propreté peut être fournie par la pulpe de coco râpée.
2 - Sur les atolls, le lieu-dit Gake, peut-être interprété comme : l'autre bout de l'île, par rapport au village principal
André Pilon
Dernière édition par PILON le Ven 16 Avr 2010 - 21:43, édité 2 fois
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
† KERMITT- MAÎTRE PRINCIPAL
- Age : 65
- Message n°496
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Pour André PILON et tous les autres qui ont comme moi vécu dans les atolls de Polynésie, voici un article paru dans la revue "Arc en Ciel" (revude de l'association des anciens de la Météorologie). Peut-être que le livre de cet ancien de l'armée de l'air vous intéressera.
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Un ZOOM de l'article pour plus de netteté. :
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DOUARNENISTE ET FIER DE L'ÊTRE [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°497
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Bonjour et merci pour l'information, Kermitt.
je connais Patrick QUERCY qui fut avec moi à Mururoa en 82 ou 83, je m'en vais le contacter ce soir pour lui demander s'il veut bien échanger son livre avec le mien, ce qui se fait en général.
A P
je connais Patrick QUERCY qui fut avec moi à Mururoa en 82 ou 83, je m'en vais le contacter ce soir pour lui demander s'il veut bien échanger son livre avec le mien, ce qui se fait en général.
A P
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°498
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Le tamaaraa (suite 2)
A dix heures, comme chaque dimanche, la population se rend à l'office religieux qui sera dirigé par Tetua Moeava, le frère de Tetai ; il est le katekita, le catéchiste. Quand le prêtre qui a en charge la paroisse de Reao est absent - ce qui est le plus courant, vu qu’il dessert une douzaine de ces îles minuscules - ce sont les katekita qui officient, ils ont délégation pour un office sans communion. Sur notre atoll, ils sont trois, organisés hiérarchiquement, dont les deux frères Moeava. La réunion, en l'absence de prêtre, se traduit par des prières, des chants, des lectures ; le tout étant exprimé dans les dialectes tahitien ou paumotu mélés. A Reao toute la population est catholique, ces réunions ont un caractère fortement obligatoire et nul ne rechigne à s'y rendre. Ce dimanche, quelques personnes en sont officiellement exemptées par Tetua, le premier catéchiste et responsable du comportement religieux de la collectivité. Akutino restera près de ses fours, Teni et deux ou trois autres dont Tetai Moeava qui n'est que le katekita numéro trois - katekita toru - dit-il fièrement. Ils œuvreront à fignoler les détails et surveiller l'ensemble contre les chiens qui pourraient être tentés.
Dans l'église, l'assistance va prier afin que la citerne neuve se remplisse au plus vite ; ceci n'est pas garanti car dans les Tuamotu de l’Est les pluies sont rares, nous le savons. Cette zone géographique est généralement protégée par les hautes pressions émanant de l'anticyclone du Pacifique Sud, appelé aussi anticyclone de l'Ile de Pâques.
Une heure plus tard, l'office terminé, après la sortie de l'église, un nouveau rassemblement se crée sur le parvis, qui n'est qu'une simple cour en pierraille tassée et, comme à l'accoutumée, Tetua va donner lecture d'ordres et de directives, puis il va passer aux réprimandes, aux remontrances et aux semonces immanquables. Ici, il est garant de la morale ; il ne tient pas de carnet de notes pour épingler les contrevenants, on peut se fier à sa mémoire, il saura rendre compte au Père desservant lors de sa venue prochaine. Auparavant, afin d'attirer l'attention de tous, il donne le signal d'écoute en manœuvrant énergiquement à la main le battant de la plus grosses de deux cloches qui sont suspendues à un portique surmonté d'un petit abri en forme de toit. Cette cloche est celle qui servait jadis à piquer l'heure sur le bateau qui se brisa ici dans une tempête, le 14 novembre 1901. Elle porte le nom du bâtiment et celui de son port d'attache : Savernake-Liverpool.
Ensuite, il passe à l'attribution des corvées hebdomadaires obligatoires : balayage des chemins du bourg, lavage du parterre de l'église, arrachage de l'herbe dans le cimetière, ratissage des graviers autour du faré hau, de la mairie, qui est aussi l'école, et autour de l'infirmerie dispensaire ; et d'autres encore... Certaines de ces corvées sont attribuées par punition et principalement pour des fautes charnelles auxquelle il fait la chasse. Il les précisera dans un moment.
Tous sont là, grands et petits, l'oreille attentive. La gent canine presque au complet, assise sur son train de derrière, tirant la langue et haletante, semble intéressée elle aussi.
A suivre, il passe à la lecture des ordres, des directives, émanant du gouverneur ou de l'administration, ou bien encore de l'évêché, arrivés sur l'île par bateau, par radio, ou encore par l'hydravion venu pour la liaison météo dans la semaine.
Et puis, il enchaîne sur les réprimandes, les gronderies, comme il le fait chaque dimanche. Certains commencent à faire le dos rond. Pour réprimander, il faut être sûr de soi, ce n'est pas toujours le cas et certains reproches ne sont pas fondés et ne reposent que sur des « on dit ».
Quand il s'en prend à Gapotai ou à Mohina au sujet de la cuite qu'ils avaient hier soir et dans le milieu de la semaine, c'est de bonne guerre, tout le monde les a vus et ce sont des buveurs notoires. Mais alors qu'il reproche à la dame Kuraigo d'être passée trois fois dans la semaine au faré de Kipiriano, il ne l'a pas toujours vu de ses propres yeux, la chose lui a été rapportée par une personne mal intentionnée ou jalouse peut-être de celui chez qui elle se rendait.
- J'allais chercher du maa, des aliments, pour mes enfants, lui répond-elle ; il est vrai que Kipiriano est commerçant.
- Je sais, répond Tetua, on t'a vu revenir avec des boîtes de punu puatoro, des boîtes de singe, mais tu y vas bien souvent et je sais que tu n'as guère d'argent pour les payer.
- Pour les punu, je fais des tarahu, des dettes, répond-elle, baissant la tête, un peu honteuse.
- Que tu ne paieras jamais en tara (3)!
Personne ne bronche, seule l'éloquent Tetua parle en s'écoutant un peu. S'il est quasi nul en écriture, il a le don de la parole ; les pomotu sont doués pour cela.
Mais, Kuraigo échappe à la punition et on attend la suite et personne ne sait sur qui elle va tomber. Il cherche des yeux une personne et la découvre masquée par la corpulence de Férié ; là, voilà un cas sérieux à traiter, non d'un chien !
- Approche Tamuera ! ordonne le katekita à un très jeune garçon.
Et, alors que tous s'esclaffent, étant au courant des aventures nocturnes de ce garçon de quinze ans, circoncis depuis tout juste deux mois, Tetua lui reproche d'avoir tenté le motoro (4) sur Koreta. Effectivement, il l'a tenté seulement, car ce fut un fiasco. Il s'est retrouvé bouclé dans la chambre par l'oncle de la fille qui ne dormait que d'un œil, le gros bâton à portée de la main. Lorsque le visiteur du faré souffla la lampe à pétrole avec une queue de feuille de iita, de papayer et qu’il la déplaça, l'oncle réveillé, avec une corde fixée à bon escient ferma les volets habituellement ouverts, interdisant toute fuite de ce côté ; debout dans l'embrasure de la porte et l'éclairant de sa lampe torche, il l'attendait de pied ferme. Tamuera prit une bonne raclée sur-le-champ ; le bruit réveilla les habitants et les chiens du quartier. Ceux-ci se mirent à aboyer, et l'affaire devint un spectacle pour tous. Alors, pour ces faits, Tetua le gratifie de corvée de balai devant la mairie et sur la moitié de la rue d'en face.
Sur la place de l'église, ce matin, Tamuera est franchement honteux, non pas d'avoir pris cette volée de coups de bâton ni d'avoir écopé de cette corvée, mais aux yeux de ses copains, d'avoir raté son motoro ; on en parlera longtemps au village et ça fait honte. La petite Koreta qui n'a pas treize ans n'a pas été inquiétée, il n'a pas été prouvé qu'elle était consentante pour cette visite, apparemment, elle n'y était pour rien.
Tetua, toujours en verve et qui n'en a pas encore terminé revient à la charge envers nos deux compères ivres d'hier soir, et qui ont encore la gueule de bois :
- Rendez-vous compte, ils ne sont même pas rentrés au faré pour y dormir ; ils se sont couchés par terre, dans la cuisine, chez Arakino ; c'est dire s'ils étaient parfaitement taero, soûls. Et puis, tonnant, index levé et pointé vers le ciel, il ajoute :
Prenez donc exemple sur Teragi qui a signé « à la Croix Bleue »(5) ; voyez-vous, depuis six mois il n'a pas touché à une goutte d'alcool, il n'a pas battu sa femme et n'est pas tombé de scooter.
Teragi, qui se trouve en retrait dans un angle du parvis, acquiesce et dit tout bas à son voisin Toa qui prend un air complice :
- C'est bien vrai, et c'est aujourd'hui le dernier jour de mon contrat, le tamaaraa tombe bien, je vais en profiter et en prendre une bonne, peut-être même deux ou trois !
Mais il ne donne pas de punition à ces deux hommes ; c'est qu'il a peut-être évalué à sa juste valeur l'impressionnante musculature de Mohina, l'un des deux ivrognes, lui, qui peut porter trois sacs de coprah sur ses épaules.
Maintenant, et pendant quelques minutes, - il ne les nomme pas, ce serait presque toutes - il s'en prend aux jeunes filles qui sont allées au cinéma, à la météo sans être accompagnées de leurs parents. Il gronde aussi après celles qui ne dorment pas dans leur faré, ne revenant pas vers le village lorsque ces hohoga tiaporo, ces images du diable, sont terminées. C'est à croire qu'il est embusqué chaque soir sous les cocotiers à guetter les fautives, il en est bien capable. Il ne s'appesantit pas trop sur la chose, il sait que la communauté Reao a besoin de l'aide du poste militaire ; il en bénéficie lui aussi, l'hypocrite, malgré ses critiques.
Au bout d'une heure, il en a enfin terminé et donne la liberté de quitter les lieux. Chacun rentre chez soi pour y changer d'habits : de robe, de pantalon, de chemise ; en effet les habits de messe ne servent que pour les cérémonies religieuses importantes. Avant de se rendre au tamaaraa, chacun revêtira du linge très propre mais d'usage courant, soit : un pantalon, un tricot ou une chemise pour les hommes ; un paréo ou une robe pour les femmes. On s'y rendra les pieds nus ou chaussés des claquettes en caoutchouc ou matière plastique, une bride de tenue passée entre les deux principaux orteils. Il est parfaitement convenable de se rendre ou de rester les pieds nus chez les personnes invitantes ; ceux qui sont chaussés laisseront leurs claquettes sur le pas de la porte.
Vers quatorze heures, les villageois commencent à se rassembler aux environs immédiats de la maison de Tetai Moeava. Chacun, homme et femme, s'est paré de colliers ou de couronnes de coquillage, ou bien de couronnes de feuillages confectionnées en folioles de cocotier. Des fleurs de tipanié, de frangipanier, rare ici, mais que l'on peut trouver dans le cimetière de l'ancien hôpital lépreux, agrémentent les oreilles des uns et des autres, ainsi que les longs cheveux des vahinés où quelques-unes ont pu placer une belle fleur rouge d'hibiscus encore plus rare que le tipanié. Anaderea, le raerae, le mahou, l'efféminé, s'est confectionné une belle robe neuve en paréo rouge à fleurs blanches ; elle lui tombe à mi-jambe. Rouge aux lèvres et poudre aux yeux, une belle couronne de pikuku, les coquillages de Gake, orne son abondante chevelure noire et quelque peu ondulée. Il a mis des souliers rouges à talons hauts, sans doute l'unique paire existante à Reao et dans tout l'Est des îles Tuamotu. Ses gros pieds lui créent des difficultés, il arrive tout de même à trottiner à petits pas bien mesurés, telle une demoiselle. Il est revenu de son dernier séjour à Tahiti par l’Orohena, une goélette à coprah, avec le surnom de « Jany Blues » ; personne ne sait pourquoi et il en est tout fier. Ropati, prénom d'emprunt qui avait remplacé son vrai nom de baptême qui est Anaderea, sera bientôt oublié à son tour au profit de celui dont ses amis tahitiens viennent de le doter.
Dans la cour, les cuisiniers s'affairent autour des fours ; entre la préparation, l'allumage et la surveillance, ils ont eu très chaud. Avec Poria, leur chef, ils ont goûté à la sangria, la chaleur des feux donne soif, et puis, ils se sont bien amusés en évaluant le dosage en sucre avec Teni, le responsable ; visiblement un peu pompettes, la gaieté est de mise parmi eux, leurs chapeaux de pandanus dans lesquels sont piqués leurs hameçons, selon la mode locale, hauts perchés sur le haut de leur crâne, oscillent d'un bord sur l'autre. Malgré tout, chacun d'entre eux muni d'une pelle, ils commencent à ouvrir les foyers, les ahi maa, ceux précisément où cuisent les langoustes car elles doivent se trouver sur la table pour le début du repas. Alors que les cailloutis qui recouvraient le tout sont dégagés sur le côté, les sacs de jute protecteurs apparaissent, puis les feuillages jaunis par la forte température ; en contact direct avec les aliments, ils sont enlevés à leur tour. Tout cela semble bien brûlant et une forte odeur s'en dégage ; c'est l'odeur caractéristique du four polynésien. L'on peut y distinguer celle du bois en combustion mélangée à une humidité provenant de la verdure ébouillantée, et puis s'y associe l'odeur des fruits de mer que donnent les langoustes, ainsi que celle des sacs chauffés desquels ressort la senteur grasse du coprah dont ils sont imprégnés. Pour un popaa, de retour au pays natal, jamais l'ouverture d'un ahi maa ne sera oubliée.
Les langoustes apparaissent, toutes rouges, leurs antennes longues comme un bras de cuisinier, qu'il a fallu briser pour les introduire dans le foyer ; leurs yeux noirs et ronds comme des billes, au bout de leur pédoncule. Elles sont posées sur les pierres chauffées au rouge et qui les ont cuites à l'étouffée ; rien n'est refroidi et le toucher manuel est impossible. Pour les retirer, les cuisiniers se sont gantés. L'assistance applaudit et les popaa qui sont présents tirent des photos mémorables. Des bassines et des cuvettes sont apportées pour recevoir ces aliments qui seront déposés immédiatement sur les tables. Bientôt la répartition va être terminée et nous savons que les pêcheurs en avaient rapporté largement pour tous, près de trois cents kilos !
Comme à ce moment arrive de la météo le personnel qui y travaillait encore. Tetai Moeava invite chacun à prendre place pendant que les femmes disposent les bouteilles de sangria - il n'y a pas de carafe sur notre atoll -, et que l'on débarque du camion le pain cuit à la station.
Dans l'église, l'assistance va prier afin que la citerne neuve se remplisse au plus vite ; ceci n'est pas garanti car dans les Tuamotu de l’Est les pluies sont rares, nous le savons. Cette zone géographique est généralement protégée par les hautes pressions émanant de l'anticyclone du Pacifique Sud, appelé aussi anticyclone de l'Ile de Pâques.
Une heure plus tard, l'office terminé, après la sortie de l'église, un nouveau rassemblement se crée sur le parvis, qui n'est qu'une simple cour en pierraille tassée et, comme à l'accoutumée, Tetua va donner lecture d'ordres et de directives, puis il va passer aux réprimandes, aux remontrances et aux semonces immanquables. Ici, il est garant de la morale ; il ne tient pas de carnet de notes pour épingler les contrevenants, on peut se fier à sa mémoire, il saura rendre compte au Père desservant lors de sa venue prochaine. Auparavant, afin d'attirer l'attention de tous, il donne le signal d'écoute en manœuvrant énergiquement à la main le battant de la plus grosses de deux cloches qui sont suspendues à un portique surmonté d'un petit abri en forme de toit. Cette cloche est celle qui servait jadis à piquer l'heure sur le bateau qui se brisa ici dans une tempête, le 14 novembre 1901. Elle porte le nom du bâtiment et celui de son port d'attache : Savernake-Liverpool.
Ensuite, il passe à l'attribution des corvées hebdomadaires obligatoires : balayage des chemins du bourg, lavage du parterre de l'église, arrachage de l'herbe dans le cimetière, ratissage des graviers autour du faré hau, de la mairie, qui est aussi l'école, et autour de l'infirmerie dispensaire ; et d'autres encore... Certaines de ces corvées sont attribuées par punition et principalement pour des fautes charnelles auxquelle il fait la chasse. Il les précisera dans un moment.
Tous sont là, grands et petits, l'oreille attentive. La gent canine presque au complet, assise sur son train de derrière, tirant la langue et haletante, semble intéressée elle aussi.
A suivre, il passe à la lecture des ordres, des directives, émanant du gouverneur ou de l'administration, ou bien encore de l'évêché, arrivés sur l'île par bateau, par radio, ou encore par l'hydravion venu pour la liaison météo dans la semaine.
Et puis, il enchaîne sur les réprimandes, les gronderies, comme il le fait chaque dimanche. Certains commencent à faire le dos rond. Pour réprimander, il faut être sûr de soi, ce n'est pas toujours le cas et certains reproches ne sont pas fondés et ne reposent que sur des « on dit ».
Quand il s'en prend à Gapotai ou à Mohina au sujet de la cuite qu'ils avaient hier soir et dans le milieu de la semaine, c'est de bonne guerre, tout le monde les a vus et ce sont des buveurs notoires. Mais alors qu'il reproche à la dame Kuraigo d'être passée trois fois dans la semaine au faré de Kipiriano, il ne l'a pas toujours vu de ses propres yeux, la chose lui a été rapportée par une personne mal intentionnée ou jalouse peut-être de celui chez qui elle se rendait.
- J'allais chercher du maa, des aliments, pour mes enfants, lui répond-elle ; il est vrai que Kipiriano est commerçant.
- Je sais, répond Tetua, on t'a vu revenir avec des boîtes de punu puatoro, des boîtes de singe, mais tu y vas bien souvent et je sais que tu n'as guère d'argent pour les payer.
- Pour les punu, je fais des tarahu, des dettes, répond-elle, baissant la tête, un peu honteuse.
- Que tu ne paieras jamais en tara (3)!
Personne ne bronche, seule l'éloquent Tetua parle en s'écoutant un peu. S'il est quasi nul en écriture, il a le don de la parole ; les pomotu sont doués pour cela.
Mais, Kuraigo échappe à la punition et on attend la suite et personne ne sait sur qui elle va tomber. Il cherche des yeux une personne et la découvre masquée par la corpulence de Férié ; là, voilà un cas sérieux à traiter, non d'un chien !
- Approche Tamuera ! ordonne le katekita à un très jeune garçon.
Et, alors que tous s'esclaffent, étant au courant des aventures nocturnes de ce garçon de quinze ans, circoncis depuis tout juste deux mois, Tetua lui reproche d'avoir tenté le motoro (4) sur Koreta. Effectivement, il l'a tenté seulement, car ce fut un fiasco. Il s'est retrouvé bouclé dans la chambre par l'oncle de la fille qui ne dormait que d'un œil, le gros bâton à portée de la main. Lorsque le visiteur du faré souffla la lampe à pétrole avec une queue de feuille de iita, de papayer et qu’il la déplaça, l'oncle réveillé, avec une corde fixée à bon escient ferma les volets habituellement ouverts, interdisant toute fuite de ce côté ; debout dans l'embrasure de la porte et l'éclairant de sa lampe torche, il l'attendait de pied ferme. Tamuera prit une bonne raclée sur-le-champ ; le bruit réveilla les habitants et les chiens du quartier. Ceux-ci se mirent à aboyer, et l'affaire devint un spectacle pour tous. Alors, pour ces faits, Tetua le gratifie de corvée de balai devant la mairie et sur la moitié de la rue d'en face.
Sur la place de l'église, ce matin, Tamuera est franchement honteux, non pas d'avoir pris cette volée de coups de bâton ni d'avoir écopé de cette corvée, mais aux yeux de ses copains, d'avoir raté son motoro ; on en parlera longtemps au village et ça fait honte. La petite Koreta qui n'a pas treize ans n'a pas été inquiétée, il n'a pas été prouvé qu'elle était consentante pour cette visite, apparemment, elle n'y était pour rien.
Tetua, toujours en verve et qui n'en a pas encore terminé revient à la charge envers nos deux compères ivres d'hier soir, et qui ont encore la gueule de bois :
- Rendez-vous compte, ils ne sont même pas rentrés au faré pour y dormir ; ils se sont couchés par terre, dans la cuisine, chez Arakino ; c'est dire s'ils étaient parfaitement taero, soûls. Et puis, tonnant, index levé et pointé vers le ciel, il ajoute :
Prenez donc exemple sur Teragi qui a signé « à la Croix Bleue »(5) ; voyez-vous, depuis six mois il n'a pas touché à une goutte d'alcool, il n'a pas battu sa femme et n'est pas tombé de scooter.
Teragi, qui se trouve en retrait dans un angle du parvis, acquiesce et dit tout bas à son voisin Toa qui prend un air complice :
- C'est bien vrai, et c'est aujourd'hui le dernier jour de mon contrat, le tamaaraa tombe bien, je vais en profiter et en prendre une bonne, peut-être même deux ou trois !
Mais il ne donne pas de punition à ces deux hommes ; c'est qu'il a peut-être évalué à sa juste valeur l'impressionnante musculature de Mohina, l'un des deux ivrognes, lui, qui peut porter trois sacs de coprah sur ses épaules.
Maintenant, et pendant quelques minutes, - il ne les nomme pas, ce serait presque toutes - il s'en prend aux jeunes filles qui sont allées au cinéma, à la météo sans être accompagnées de leurs parents. Il gronde aussi après celles qui ne dorment pas dans leur faré, ne revenant pas vers le village lorsque ces hohoga tiaporo, ces images du diable, sont terminées. C'est à croire qu'il est embusqué chaque soir sous les cocotiers à guetter les fautives, il en est bien capable. Il ne s'appesantit pas trop sur la chose, il sait que la communauté Reao a besoin de l'aide du poste militaire ; il en bénéficie lui aussi, l'hypocrite, malgré ses critiques.
Au bout d'une heure, il en a enfin terminé et donne la liberté de quitter les lieux. Chacun rentre chez soi pour y changer d'habits : de robe, de pantalon, de chemise ; en effet les habits de messe ne servent que pour les cérémonies religieuses importantes. Avant de se rendre au tamaaraa, chacun revêtira du linge très propre mais d'usage courant, soit : un pantalon, un tricot ou une chemise pour les hommes ; un paréo ou une robe pour les femmes. On s'y rendra les pieds nus ou chaussés des claquettes en caoutchouc ou matière plastique, une bride de tenue passée entre les deux principaux orteils. Il est parfaitement convenable de se rendre ou de rester les pieds nus chez les personnes invitantes ; ceux qui sont chaussés laisseront leurs claquettes sur le pas de la porte.
Vers quatorze heures, les villageois commencent à se rassembler aux environs immédiats de la maison de Tetai Moeava. Chacun, homme et femme, s'est paré de colliers ou de couronnes de coquillage, ou bien de couronnes de feuillages confectionnées en folioles de cocotier. Des fleurs de tipanié, de frangipanier, rare ici, mais que l'on peut trouver dans le cimetière de l'ancien hôpital lépreux, agrémentent les oreilles des uns et des autres, ainsi que les longs cheveux des vahinés où quelques-unes ont pu placer une belle fleur rouge d'hibiscus encore plus rare que le tipanié. Anaderea, le raerae, le mahou, l'efféminé, s'est confectionné une belle robe neuve en paréo rouge à fleurs blanches ; elle lui tombe à mi-jambe. Rouge aux lèvres et poudre aux yeux, une belle couronne de pikuku, les coquillages de Gake, orne son abondante chevelure noire et quelque peu ondulée. Il a mis des souliers rouges à talons hauts, sans doute l'unique paire existante à Reao et dans tout l'Est des îles Tuamotu. Ses gros pieds lui créent des difficultés, il arrive tout de même à trottiner à petits pas bien mesurés, telle une demoiselle. Il est revenu de son dernier séjour à Tahiti par l’Orohena, une goélette à coprah, avec le surnom de « Jany Blues » ; personne ne sait pourquoi et il en est tout fier. Ropati, prénom d'emprunt qui avait remplacé son vrai nom de baptême qui est Anaderea, sera bientôt oublié à son tour au profit de celui dont ses amis tahitiens viennent de le doter.
Dans la cour, les cuisiniers s'affairent autour des fours ; entre la préparation, l'allumage et la surveillance, ils ont eu très chaud. Avec Poria, leur chef, ils ont goûté à la sangria, la chaleur des feux donne soif, et puis, ils se sont bien amusés en évaluant le dosage en sucre avec Teni, le responsable ; visiblement un peu pompettes, la gaieté est de mise parmi eux, leurs chapeaux de pandanus dans lesquels sont piqués leurs hameçons, selon la mode locale, hauts perchés sur le haut de leur crâne, oscillent d'un bord sur l'autre. Malgré tout, chacun d'entre eux muni d'une pelle, ils commencent à ouvrir les foyers, les ahi maa, ceux précisément où cuisent les langoustes car elles doivent se trouver sur la table pour le début du repas. Alors que les cailloutis qui recouvraient le tout sont dégagés sur le côté, les sacs de jute protecteurs apparaissent, puis les feuillages jaunis par la forte température ; en contact direct avec les aliments, ils sont enlevés à leur tour. Tout cela semble bien brûlant et une forte odeur s'en dégage ; c'est l'odeur caractéristique du four polynésien. L'on peut y distinguer celle du bois en combustion mélangée à une humidité provenant de la verdure ébouillantée, et puis s'y associe l'odeur des fruits de mer que donnent les langoustes, ainsi que celle des sacs chauffés desquels ressort la senteur grasse du coprah dont ils sont imprégnés. Pour un popaa, de retour au pays natal, jamais l'ouverture d'un ahi maa ne sera oubliée.
Les langoustes apparaissent, toutes rouges, leurs antennes longues comme un bras de cuisinier, qu'il a fallu briser pour les introduire dans le foyer ; leurs yeux noirs et ronds comme des billes, au bout de leur pédoncule. Elles sont posées sur les pierres chauffées au rouge et qui les ont cuites à l'étouffée ; rien n'est refroidi et le toucher manuel est impossible. Pour les retirer, les cuisiniers se sont gantés. L'assistance applaudit et les popaa qui sont présents tirent des photos mémorables. Des bassines et des cuvettes sont apportées pour recevoir ces aliments qui seront déposés immédiatement sur les tables. Bientôt la répartition va être terminée et nous savons que les pêcheurs en avaient rapporté largement pour tous, près de trois cents kilos !
Comme à ce moment arrive de la météo le personnel qui y travaillait encore. Tetai Moeava invite chacun à prendre place pendant que les femmes disposent les bouteilles de sangria - il n'y a pas de carafe sur notre atoll -, et que l'on débarque du camion le pain cuit à la station.
3 - le tara, qui vient de dollar, est l'appellation de la pièce de cinq francs.
4 - Le motoro est le viol nocturne plus ou moins consenti ; plus que moins, pour le vrai. Il consiste, pour un garçon, à s'introduire de nuit en cachette, dans la pièce où dort la fille ; c'est une coutume majeure de la culture polynésienne.
5 - La croix bleue, apposée au bas d'un texte rédigé par le desservant d'une paroisse, engage le signataire qui jure ainsi devant Dieu de ne plus boire d'alcool.
Sur un atoll, le curé de la paroisse étant absent, le contrat est signé devant le katekita. Ce contrat dérive du fait que, dans le passé, le volontaire pour cette abstinence ne savait ni écrire ni signer son nom ; à la plume, il traçait une croix à l'encre bleue, au bas du texte court qui précisait le temps de validité du traité.
La signature est toujours respectée ; elle a une force d'assujettissement égale au tapu (tabou) des temps passés. Les entorses sont rares, très rares ; enfreindre cet engagement est un grave péché pour le signataire.
(A suivre)
Dernière édition par PILON le Ven 16 Avr 2010 - 21:30, édité 1 fois
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.
† PILON- MAJOR
- Age : 94
- Message n°499
Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
Le tamaaraa (suite 3)
Du pain, il a fallu en cuire environ quatre cents kilos, commandés chez les deux boulangers, Teano et Tupa ; pour près de trois cents personnes et un tel banquet, le travail d'un seul de ces artisans n'y aurait pas suffit. On en a cuit également à la météo où un four rudimentaire et d'invention locale a été construit pour les besoins de chaque jour. C'est un bidon métallique de deux cents litres, noyé horizontalement et à moitié dans une masse de ciment ; il remplit très bien ce rôle et l'on y cuit au coup par coup une dizaine de pains.
Tetai donne aux jeunes l'ordre d'aller cueillir des noix de coco vertes, pour ceux qui, parmi les invités, désireront en boire. Cueillies juste avant le repas, elles seront fraîches à point ; les noix dans l'arbre le sont toujours, même si la température ambiante est élevée. De la main, il désigne à quatre garçons les arbres qu'il a choisis, car les cocotiers ont tous des fruits au goût différent et il connaît parfaitement les meilleurs parmi les arbres de sa plantation.
Le grimpeur monte dans l'arbre avec une rapidité et une souplesse de chat. Il place ses mains derrière le tronc, le corps bien arqué, les pieds posés sur le fût : il marche tout simplement à quatre pattes, verticalement, entre ciel et terre ! Son équilibre est parfait, les mains tirant, les pieds appuyant. Il file vers le haut d'un seul jet et en quelques secondes, il atteint le bouquet de palmes où, de sa main libre alors qu'il se tient de l'autre, il arrache toutes celles qui sont mortes, qui pendent et le gênent. Ainsi, bien à l'aise, il libère les noix une à une de plusieurs rotations à droite puis à gauche, et toujours de sa main disponible. Il les lance au sol vers son partenaire qui les reçoit brutalement sur un sac tenu des deux mains et tendu. Parfois la réception est manquée, l'une d'elles s'écrase à terre, éclate, et son jus s'y répand.
- Titoi ! un juron très courant, est alors lancé à sa propre adresse, par le préposé à la réception de la noix manquée.
Les fruits s'accumulant, une autre équipe va entreprendre de les décortiquer, enlever l'épaisse écale qui entoure chacun d'eux. Cette opération devient des plus risibles quand deux météos s'activent dans un coin de la cour où, munis d'un simple couteau, essayent ouvrir l'une de ces noix ; si personne ne vient à leur aide, ils y seront probablement encore demain. Petero, l'un des jeunes commis à ce décorticage par Tetai, les appelle alors vers lui et entreprend de leur montrer comment ce travail est facile, équipé d'un simple morceau de bois genre manche de pioche.
L'opérateur coince son bâton, dont l'une extrémité est pointue, entre deux gros moellons, la pointe dirigée vers le haut. D'un coup sec et vigoureux il enfonce la noix sur cette pointe, un peu en biais, de façon à ne toucher que l'écorce, de ne pas endommager le fruit lui-même. Cette écale est épaisse, atteignant jusqu'à cinq centimètres. En maintenant la noix des deux mains, d'une rotation à gauche ou à droite, il arrache une partie de l'enveloppe. Il recommence cette action trois ou quatre fois et la noix proprement dite apparaît fibreuse et blanche. Petero se munissant d'un coupe-coupe, fait ensuite une ouverture à la partie supérieure du fruit de quelques petits coups de son ustensile, habilement appliqués. De la pointe de la machette, il soulève la rondelle de bois ainsi découpée, le bon jus apparaissant, il présente cette coupe naturelle à Tetai Moeava, le maître de céans, comme il se doit.
Les préparatifs sont terminés et lentement tout ce monde a pris place. Les popaa sont disséminés parmi les villageois avec une tendance bien marquée à se rapprocher des jeunes filles. Louis se trouve placé entre Tetai et Martial, le tavana. Tout est paré, tout est prêt pour le début des agapes, mais personne n'oserait toucher à quoi que ce soit avant d'en avoir l'autorisation. Celle-ci viendra dès la fin de la prière collective qui va débuter dans un instant, comme on le fait avant chaque repas dans les familles polynésiennes.
Il est nécessaire de rabrouer un peu les enfants qui n'en finissent pas de se mettre à leurs places dans la partie du bâtiment qui leur est réservée, et où une « table », à terre, est préparée sur des feuilles de bananier. La notion d'enfant est délimitée par le fait d'avoir ou non, communié solennellement ; plusieurs gamines, parmi eux, ont déjà des apparences de jeunes filles mais elles n'ont pas droit à la grande table. Ainsi, il y a là, Marina Kea qui communiera dans quelques semaines, au passage du Père Victor, curé de la paroisse ; ce jour-là, la forte corpulence de ses onze ans la fera bien plus ressembler à une mariée qu'à une communiante, dans sa longue robe blanche.
Tetai Moeava se met debout à sa place présidentielle ; avec un ustensile métallique, il fait tinter une bouteille vide afin d'obtenir le silence. Toute l'assistance l'imitant se lève alors pour faire pure, la prière. Le silence étant devenu des plus complet, y compris dans le quartier des enfants, son fils lui apporte un vieil ouvrage religieux bien défraîchi mais aux tranches encore un peu rouges.
Après quelques secondes de recueillement dans ce silence, le maître des lieux fait un lent signe de croix, répété religieusement par toute la communauté. Puis, ouvrant son livre - à la page deux cent quatre, remarque Rohi, qui se trouve placé près de lui - il lit en français à haute voix, mais avec quelques difficultés, ce qui y est écrit :
- Seigneur, bénissez la nourriture que nous allons prendre, faites qu'elle nous serve pour réparer nos forces et mieux vous servir. Ainsi soit-il .
Après un nouveau signe de croix repris par l'assistance comme ce fut pour le précédent, il referme son livre et enchaîne en improvisant un discours en dialecte Paumotu. Les popaa ne le comprennent pas mais ceux qui s’intéressent à ce dialecte distinguent bien les mots : te Metua, te Atua, Pure, Farani, te ua, tura pape. Ces mots qui sont respectivement : le Maître, Dieu, Français, la pluie, la prière, la citerne etc. C'est fou ce que les Polynésiens ont la parole facile ! il parle pendant plus d'une demi-heure et sans notes. L'assistance qui s'est de nouveau assise l'écoute dans un calme total, le fixant des yeux. Ce calme est un peu forcé dans le coin des enfants où un adulte menace d'une longue badine en miki miki les plus turbulents.
Louis, tout en prêtant l'oreille, feuillette l'ouvrage religieux qui se trouve être : « Le livre de piété de la jeune fille au pensionnat et dans sa famille ». Ce livre a été édité en 1868, il y a donc quatre-vingt-dix-neuf ans ! Tetai Moeava a récité « la prière avant les repas » indiquée à la page susdite. Elle est suivie d'une prière après les repas, mais, comme ce repas va durer une éternité, personne n'y pensera plus quand il sera terminé.
Pour Tetai qui continue de discourir, il est maintenant question des rapports entre le personnel de la météo et des villageois, de l'aide apportée à la communauté avec les moyens militaires ; comme il est éloquent cet homme ! Mais ses propos sont totalement différents de ceux de son frère, katekita numéro un, qui parlait à la porte de l'église après l'office, et qui n'étaient que des reproches et des remontrances. Les Reao l'écoutent en hochant de la tête de façon affirmative. Il termine alors sous les applaudissements et, d'un mouvement large de la main, désignant les aliments répartis sur les tables, il crie à la cantonade : bon appétit.
Attendu avec impatience, le signal est parfaitement reçu par tous. Immédiatement le repas débute, tous se jetant sur le contenu des plats ; les assiettes des uns se remplissent de poisson cru, d'autres préfèrent commencer par les langoustes et l'on entend les carapaces craquer et les articulations se briser sous l'assaut. Les bouteilles se vident sans tarder ; il fait bien chaud, aussi, les jeunes filles qui les ont en charge peuvent déjà se rendre aux bassines pour les remplir et commencer leur va-et-vient.
Ici, c'est comme chez soi au faré, on mange avec les doigts. De rares ustensiles sont disposés dans les plats pour le service. Les popaa nouvellement arrivés sont surpris et, ma foi, s'ils veulent manger, ils sont bien obligés d'imiter la maîtresse de maison, vahiné Tetai Moeava. Ce n'est pas elle qui leur imposera des manières snobs, elle qui n'a probablement jamais tenu une fourchette de sa vie.
Suivant un long temps de mastication collective, deux autres filles se lèvent, s'absentent un instant puis reviennent, l'une portant une bassine d'eau, l'autre une serviette bien propre. Elles vont circuler parmi l'assistance, permettant à ceux qui le désirent de se rincer la bouche et les doigts ; elles le feront régulièrement pendant tout le temps du tamaaraa, après avoir changé de nombreuses fois l'eau salie.
Quelques rares conversations s'ébauchent entre les popaa et les paumotu, mais, les Reao ne parlent guère le français et les météos ne connaissent pas le parler local ; c'est dire si l'on est bien limité. Seules Eritapetea quatre ou cinq autres personnes sont capables de tenir une conversation suivie en français. Eritapeta fait partie du groupe qui circule parmi les tables et les approvisionnant en boisson. Parlant à tous et tenant parfois des propos osés qui seraient déplacés, émis ailleurs que sur cet atoll, elle offre à chacun son merveilleux sourire qui met en valeur une étonnante denture.
Sa place, à table, se trouve parmi les filles de son âge. Elles rient alors toutes ensemble, aux éclats et sans retenue, se moquant des popaa qui ont un air tout à fait gauche et maladroit, sans fourchette ni couteau en main.
Plusieurs garçons ont pour consigne de chasser ou de tenir en respect, à distance, les chiens qui aimeraient bien participer à ces agapes ; quelques-uns sont blottis sous les tables à proximité de leurs maîtres, ceux-là on peut les laisser, ils ne bougent pas, ils sont bien tranquilles. Pour les autres, quelques coups de pieds sans retenue balancés dans les flancs maigres, ou bien encore la vue de bâtons brandis, suffiront pour les maintenir à distance et les dissuader d'y revenir. Mais les triques menaçantes ne stopperont pas une énorme truie noire qui, alléchée par ces bonnes odeurs, comme un bulldozer, déboule sur les lieux accompagnée d'une ribambelle d'une douzaine de petits cochons. A l'une de ses pattes de derrière, traîne la longe qui la retenait attachée au pied d'un cocotier et qu'elle a rongée. Il faut la reconduire sous son arbre avec sa marmaille, ce que fait Teariki à qui appartient cette tribu, et après s'être saisi de la corde traînante pendant qu'elle fouinait à proximité d'un four. Elle aura le temps avant d'être domptée, de culbuter deux enfants et trois ou quatre gamelles - heureusement, pas les gamelles de vin sucré - qui se trouvaient sur son passage, de vigoureux coups de son long groin, et de chiper une énorme langouste qu'elle croque à belles dents ; les petits gorets léchant pendant ce temps le doux contenu d'une bouteille de sangria renversée.
Teariki est l'un des commerçants du village qui en compte trois. Il est le plus important, le plus prospère. Il est surnommé le tinito, le chinois. C'est vrai qu'il a les yeux asiatiques mais il est malgré cela plus polynésien que chinois. Comme les deux autres, il a sa clientèle. Elle est asservie à sa boutique, il leur fait crédit et il leur est ainsi tacitement interdit de se procurer des marchandises ailleurs. Si ses débiteurs vendent du coprah, cet argent va revenir obligatoirement chez lui en échange de conserves, de bière, de riz, de farine ou d'étoffe. Mais, ils ne vendront jamais leur coprah eux-mêmes, il se chargera de la collecte, il fera l'intermédiaire avec le subrécargue de la goélette, autrement dit, il va encore gagner quelque argent sur leur dos en jouant le rôle de grossiste-négociant. Cette façon d'agir, c'est bien le clientélisme, un pur produit de la colonisation, ce sont des restes du temps de la colonie qui perdurent, la colonie qui se nommait : les Etablissements Français de l'Océanie. Il saura leur procurer tout ce qu'ils désirent, les choses utiles comme les choses inutiles. Il passe une commande groupée à Papeete et la fait livrer par la goélette ; si ses clients désirent de la bière il s'en procurera, il en a même d'avance chez lui, le cas échéant. Il sait quel est le potentiel financier de chacun, combien la récolte de coprah va rapporter à l'un ou à l'autre selon sa surface plantée, et comment la récolte s'annonce. Il s'arrangera donc pour leur faire des avances en nature afin que ceux-ci soient toujours en retour, et leur interdisant ainsi de commercer avec ses deux autres concurrents - qui emploient, du reste, le même système.
Mais malgré ce comportement colonial dont il n'est pas responsable, Teariki est une personne sympathique et pas chien du tout. A son arrivée sur les lieux, il avait à la main un panier en pandanus tressé. Les goulots et les bouchons entrevus laissaient deviner que ce panier était chargé de bouteilles de whisky. Il l'a accroché à un clou fixé à hauteur sur une traverse charpentière du bâtiment. Les alcools forts comme le whisky et le pastis sont interdits sur les atolls, on arrive à s'en procurer en fraude auprès des marins des goélettes qui vont d'île en île. Teariki, commerçant aisé, à des moyens financiers et des tuyaux que beaucoup d'autres n'ont pas. Comme il est large, aujourd'hui il va en faire profiter la collectivité, sans doute en fin de journée.
Voici l'orchestre qui se met en place à une extrémité de la salle. Les musiciens ont revêtu leur tenue de scène : pieds nus, un paréo jaune à fleurs bleues autour du torse, une couronne de feuillage fraîchement cueilli et tressé sur la tête. Ils sont arrivés en chantant et grattant leurs instruments à corde. L'ensemble se compose de deux guitaristes, d'un joueur de ukulele et de deux batteurs de toere, qui sont des tambours creusés dans un tronc d'arbre. Un sixième porte un bidon à huile vide, d'une vingtaine de litres, ainsi qu'un manche à balai muni d'un fil à pêche à l'une de ses extrémités.
Sans attendre, ils commencent l'animation avec un morceau qui est probablement de leur composition, qui semble bien tout à fait local car la population, en chœur, reprend au refrain en tapant dans les mains. On distingue que le dialecte local, où les K et les G abondent, est omniprésent dans ce chant où le mot : Reao, revient régulièrement.
Louis, tout en dégustant lentement une langouste de près d'une bonne livre, observe le jeu des exécutants qui, comme tous les polynésiens, sont des musiciens nés. Il examine aussi leurs instruments : les guitares qui se sont répandues, a-t-il lu, dans la Polynésie Française il y a une centaine d'années, à partir de Hawaii ; celles que nous avons là sont gréées de trois cordes en nylon pour les plus graves et les trois autres étant en acier. Une des curiosités pour Louis comme pour les autres popaa : c'est le ukulele, ce nom est Hawaïen ; ce sont les gens de ces îles, qui formèrent le cinquantième état de l'Union Américaine, qui l'ont inventé. Les Polynésiens chez qui la musique est comme une seconde nature, ne pouvaient pas se procurer une guitare à Hawaii, par rareté ou par manque d'argent ; ils inventèrent donc ce petit instrument, taillant un manche dans un morceau de bois ou dans une planche, en y adaptant une noix de coco coupée en deux qui servirait de caisse de résonance pour les quatre cordes. Ici à Reao, c'est l'artiste qui fabrique son instrument lui-même. Il est curieux de remarquer les convergences culturelles en des lieux du globe éloignés les uns des autres : dans la Cordillère des Andes, pour la même raison, les survivants du génocide andin inventèrent le charango. Un petit animal insectivore : le tatou, après avoir été mangé, fournissant sa carapace pour amplifier le volume du son de quatre paires de cordes.
Le groupe est entrain d'exécuter un pot-pourri, les rythmes ont changé à plusieurs reprises depuis bientôt un quart d'heure que les musiciens sont en place. Mais une autre curiosité est la contrebasse, sur laquelle justement en ce moment, le musicien joue en solo. Là, c'est vraiment l'emploi de tout ce que l'on peut avoir sous la main, pour faire de la musique ! Rohi observe le jeu de l'homme qui, à l'arrivée, portait ce bidon à lubrifiant de moteur diesel, qu’il a pu récupérer à proximité des groupes électrogènes de la station météorologique.
La corde nylon est fixée sur une des deux poignées du bidon d'une part, puis au haut du manche à balai ; celui-ci, tenu verticalement ou presque, est bloqué sur le rebord, près de l'autre poignée, la corde étant juste à peine tendue. La tension de la corde créée en inclinant le bâton à l'opposé de son point de fixation au bidon, associée à son pincement sur le bois, donnera des sons plus ou moins haut ; le bidon vide fournissant une caisse de résonance semblant convenable.
- Maitai ! la contrebasse, s'exclame Louis, interpellant Eritapeta qui passait près de lui pour les besoins du service.
- Oui, tu vois, les popaa ont détruit notre culture mais nous savons bien nous adapter. Voici ce que l'on sait faire avec un vieux bidon qui devrait être depuis longtemps dans ta poubelle, Vous n'avez jamais imaginé un tel instrument n'est-ce pas ? Et, puis, reprend-elle, tu n'as pas tout vu, tout-à-l'heure, Ereve ira chercher sa batterie, tu seras encore bien plus surpris.
Tetai donne aux jeunes l'ordre d'aller cueillir des noix de coco vertes, pour ceux qui, parmi les invités, désireront en boire. Cueillies juste avant le repas, elles seront fraîches à point ; les noix dans l'arbre le sont toujours, même si la température ambiante est élevée. De la main, il désigne à quatre garçons les arbres qu'il a choisis, car les cocotiers ont tous des fruits au goût différent et il connaît parfaitement les meilleurs parmi les arbres de sa plantation.
Le grimpeur monte dans l'arbre avec une rapidité et une souplesse de chat. Il place ses mains derrière le tronc, le corps bien arqué, les pieds posés sur le fût : il marche tout simplement à quatre pattes, verticalement, entre ciel et terre ! Son équilibre est parfait, les mains tirant, les pieds appuyant. Il file vers le haut d'un seul jet et en quelques secondes, il atteint le bouquet de palmes où, de sa main libre alors qu'il se tient de l'autre, il arrache toutes celles qui sont mortes, qui pendent et le gênent. Ainsi, bien à l'aise, il libère les noix une à une de plusieurs rotations à droite puis à gauche, et toujours de sa main disponible. Il les lance au sol vers son partenaire qui les reçoit brutalement sur un sac tenu des deux mains et tendu. Parfois la réception est manquée, l'une d'elles s'écrase à terre, éclate, et son jus s'y répand.
- Titoi ! un juron très courant, est alors lancé à sa propre adresse, par le préposé à la réception de la noix manquée.
Les fruits s'accumulant, une autre équipe va entreprendre de les décortiquer, enlever l'épaisse écale qui entoure chacun d'eux. Cette opération devient des plus risibles quand deux météos s'activent dans un coin de la cour où, munis d'un simple couteau, essayent ouvrir l'une de ces noix ; si personne ne vient à leur aide, ils y seront probablement encore demain. Petero, l'un des jeunes commis à ce décorticage par Tetai, les appelle alors vers lui et entreprend de leur montrer comment ce travail est facile, équipé d'un simple morceau de bois genre manche de pioche.
L'opérateur coince son bâton, dont l'une extrémité est pointue, entre deux gros moellons, la pointe dirigée vers le haut. D'un coup sec et vigoureux il enfonce la noix sur cette pointe, un peu en biais, de façon à ne toucher que l'écorce, de ne pas endommager le fruit lui-même. Cette écale est épaisse, atteignant jusqu'à cinq centimètres. En maintenant la noix des deux mains, d'une rotation à gauche ou à droite, il arrache une partie de l'enveloppe. Il recommence cette action trois ou quatre fois et la noix proprement dite apparaît fibreuse et blanche. Petero se munissant d'un coupe-coupe, fait ensuite une ouverture à la partie supérieure du fruit de quelques petits coups de son ustensile, habilement appliqués. De la pointe de la machette, il soulève la rondelle de bois ainsi découpée, le bon jus apparaissant, il présente cette coupe naturelle à Tetai Moeava, le maître de céans, comme il se doit.
Les préparatifs sont terminés et lentement tout ce monde a pris place. Les popaa sont disséminés parmi les villageois avec une tendance bien marquée à se rapprocher des jeunes filles. Louis se trouve placé entre Tetai et Martial, le tavana. Tout est paré, tout est prêt pour le début des agapes, mais personne n'oserait toucher à quoi que ce soit avant d'en avoir l'autorisation. Celle-ci viendra dès la fin de la prière collective qui va débuter dans un instant, comme on le fait avant chaque repas dans les familles polynésiennes.
Il est nécessaire de rabrouer un peu les enfants qui n'en finissent pas de se mettre à leurs places dans la partie du bâtiment qui leur est réservée, et où une « table », à terre, est préparée sur des feuilles de bananier. La notion d'enfant est délimitée par le fait d'avoir ou non, communié solennellement ; plusieurs gamines, parmi eux, ont déjà des apparences de jeunes filles mais elles n'ont pas droit à la grande table. Ainsi, il y a là, Marina Kea qui communiera dans quelques semaines, au passage du Père Victor, curé de la paroisse ; ce jour-là, la forte corpulence de ses onze ans la fera bien plus ressembler à une mariée qu'à une communiante, dans sa longue robe blanche.
Tetai Moeava se met debout à sa place présidentielle ; avec un ustensile métallique, il fait tinter une bouteille vide afin d'obtenir le silence. Toute l'assistance l'imitant se lève alors pour faire pure, la prière. Le silence étant devenu des plus complet, y compris dans le quartier des enfants, son fils lui apporte un vieil ouvrage religieux bien défraîchi mais aux tranches encore un peu rouges.
Après quelques secondes de recueillement dans ce silence, le maître des lieux fait un lent signe de croix, répété religieusement par toute la communauté. Puis, ouvrant son livre - à la page deux cent quatre, remarque Rohi, qui se trouve placé près de lui - il lit en français à haute voix, mais avec quelques difficultés, ce qui y est écrit :
- Seigneur, bénissez la nourriture que nous allons prendre, faites qu'elle nous serve pour réparer nos forces et mieux vous servir. Ainsi soit-il .
Après un nouveau signe de croix repris par l'assistance comme ce fut pour le précédent, il referme son livre et enchaîne en improvisant un discours en dialecte Paumotu. Les popaa ne le comprennent pas mais ceux qui s’intéressent à ce dialecte distinguent bien les mots : te Metua, te Atua, Pure, Farani, te ua, tura pape. Ces mots qui sont respectivement : le Maître, Dieu, Français, la pluie, la prière, la citerne etc. C'est fou ce que les Polynésiens ont la parole facile ! il parle pendant plus d'une demi-heure et sans notes. L'assistance qui s'est de nouveau assise l'écoute dans un calme total, le fixant des yeux. Ce calme est un peu forcé dans le coin des enfants où un adulte menace d'une longue badine en miki miki les plus turbulents.
Louis, tout en prêtant l'oreille, feuillette l'ouvrage religieux qui se trouve être : « Le livre de piété de la jeune fille au pensionnat et dans sa famille ». Ce livre a été édité en 1868, il y a donc quatre-vingt-dix-neuf ans ! Tetai Moeava a récité « la prière avant les repas » indiquée à la page susdite. Elle est suivie d'une prière après les repas, mais, comme ce repas va durer une éternité, personne n'y pensera plus quand il sera terminé.
Pour Tetai qui continue de discourir, il est maintenant question des rapports entre le personnel de la météo et des villageois, de l'aide apportée à la communauté avec les moyens militaires ; comme il est éloquent cet homme ! Mais ses propos sont totalement différents de ceux de son frère, katekita numéro un, qui parlait à la porte de l'église après l'office, et qui n'étaient que des reproches et des remontrances. Les Reao l'écoutent en hochant de la tête de façon affirmative. Il termine alors sous les applaudissements et, d'un mouvement large de la main, désignant les aliments répartis sur les tables, il crie à la cantonade : bon appétit.
Attendu avec impatience, le signal est parfaitement reçu par tous. Immédiatement le repas débute, tous se jetant sur le contenu des plats ; les assiettes des uns se remplissent de poisson cru, d'autres préfèrent commencer par les langoustes et l'on entend les carapaces craquer et les articulations se briser sous l'assaut. Les bouteilles se vident sans tarder ; il fait bien chaud, aussi, les jeunes filles qui les ont en charge peuvent déjà se rendre aux bassines pour les remplir et commencer leur va-et-vient.
Ici, c'est comme chez soi au faré, on mange avec les doigts. De rares ustensiles sont disposés dans les plats pour le service. Les popaa nouvellement arrivés sont surpris et, ma foi, s'ils veulent manger, ils sont bien obligés d'imiter la maîtresse de maison, vahiné Tetai Moeava. Ce n'est pas elle qui leur imposera des manières snobs, elle qui n'a probablement jamais tenu une fourchette de sa vie.
Suivant un long temps de mastication collective, deux autres filles se lèvent, s'absentent un instant puis reviennent, l'une portant une bassine d'eau, l'autre une serviette bien propre. Elles vont circuler parmi l'assistance, permettant à ceux qui le désirent de se rincer la bouche et les doigts ; elles le feront régulièrement pendant tout le temps du tamaaraa, après avoir changé de nombreuses fois l'eau salie.
Quelques rares conversations s'ébauchent entre les popaa et les paumotu, mais, les Reao ne parlent guère le français et les météos ne connaissent pas le parler local ; c'est dire si l'on est bien limité. Seules Eritapetea quatre ou cinq autres personnes sont capables de tenir une conversation suivie en français. Eritapeta fait partie du groupe qui circule parmi les tables et les approvisionnant en boisson. Parlant à tous et tenant parfois des propos osés qui seraient déplacés, émis ailleurs que sur cet atoll, elle offre à chacun son merveilleux sourire qui met en valeur une étonnante denture.
Sa place, à table, se trouve parmi les filles de son âge. Elles rient alors toutes ensemble, aux éclats et sans retenue, se moquant des popaa qui ont un air tout à fait gauche et maladroit, sans fourchette ni couteau en main.
Plusieurs garçons ont pour consigne de chasser ou de tenir en respect, à distance, les chiens qui aimeraient bien participer à ces agapes ; quelques-uns sont blottis sous les tables à proximité de leurs maîtres, ceux-là on peut les laisser, ils ne bougent pas, ils sont bien tranquilles. Pour les autres, quelques coups de pieds sans retenue balancés dans les flancs maigres, ou bien encore la vue de bâtons brandis, suffiront pour les maintenir à distance et les dissuader d'y revenir. Mais les triques menaçantes ne stopperont pas une énorme truie noire qui, alléchée par ces bonnes odeurs, comme un bulldozer, déboule sur les lieux accompagnée d'une ribambelle d'une douzaine de petits cochons. A l'une de ses pattes de derrière, traîne la longe qui la retenait attachée au pied d'un cocotier et qu'elle a rongée. Il faut la reconduire sous son arbre avec sa marmaille, ce que fait Teariki à qui appartient cette tribu, et après s'être saisi de la corde traînante pendant qu'elle fouinait à proximité d'un four. Elle aura le temps avant d'être domptée, de culbuter deux enfants et trois ou quatre gamelles - heureusement, pas les gamelles de vin sucré - qui se trouvaient sur son passage, de vigoureux coups de son long groin, et de chiper une énorme langouste qu'elle croque à belles dents ; les petits gorets léchant pendant ce temps le doux contenu d'une bouteille de sangria renversée.
Teariki est l'un des commerçants du village qui en compte trois. Il est le plus important, le plus prospère. Il est surnommé le tinito, le chinois. C'est vrai qu'il a les yeux asiatiques mais il est malgré cela plus polynésien que chinois. Comme les deux autres, il a sa clientèle. Elle est asservie à sa boutique, il leur fait crédit et il leur est ainsi tacitement interdit de se procurer des marchandises ailleurs. Si ses débiteurs vendent du coprah, cet argent va revenir obligatoirement chez lui en échange de conserves, de bière, de riz, de farine ou d'étoffe. Mais, ils ne vendront jamais leur coprah eux-mêmes, il se chargera de la collecte, il fera l'intermédiaire avec le subrécargue de la goélette, autrement dit, il va encore gagner quelque argent sur leur dos en jouant le rôle de grossiste-négociant. Cette façon d'agir, c'est bien le clientélisme, un pur produit de la colonisation, ce sont des restes du temps de la colonie qui perdurent, la colonie qui se nommait : les Etablissements Français de l'Océanie. Il saura leur procurer tout ce qu'ils désirent, les choses utiles comme les choses inutiles. Il passe une commande groupée à Papeete et la fait livrer par la goélette ; si ses clients désirent de la bière il s'en procurera, il en a même d'avance chez lui, le cas échéant. Il sait quel est le potentiel financier de chacun, combien la récolte de coprah va rapporter à l'un ou à l'autre selon sa surface plantée, et comment la récolte s'annonce. Il s'arrangera donc pour leur faire des avances en nature afin que ceux-ci soient toujours en retour, et leur interdisant ainsi de commercer avec ses deux autres concurrents - qui emploient, du reste, le même système.
Mais malgré ce comportement colonial dont il n'est pas responsable, Teariki est une personne sympathique et pas chien du tout. A son arrivée sur les lieux, il avait à la main un panier en pandanus tressé. Les goulots et les bouchons entrevus laissaient deviner que ce panier était chargé de bouteilles de whisky. Il l'a accroché à un clou fixé à hauteur sur une traverse charpentière du bâtiment. Les alcools forts comme le whisky et le pastis sont interdits sur les atolls, on arrive à s'en procurer en fraude auprès des marins des goélettes qui vont d'île en île. Teariki, commerçant aisé, à des moyens financiers et des tuyaux que beaucoup d'autres n'ont pas. Comme il est large, aujourd'hui il va en faire profiter la collectivité, sans doute en fin de journée.
Voici l'orchestre qui se met en place à une extrémité de la salle. Les musiciens ont revêtu leur tenue de scène : pieds nus, un paréo jaune à fleurs bleues autour du torse, une couronne de feuillage fraîchement cueilli et tressé sur la tête. Ils sont arrivés en chantant et grattant leurs instruments à corde. L'ensemble se compose de deux guitaristes, d'un joueur de ukulele et de deux batteurs de toere, qui sont des tambours creusés dans un tronc d'arbre. Un sixième porte un bidon à huile vide, d'une vingtaine de litres, ainsi qu'un manche à balai muni d'un fil à pêche à l'une de ses extrémités.
Sans attendre, ils commencent l'animation avec un morceau qui est probablement de leur composition, qui semble bien tout à fait local car la population, en chœur, reprend au refrain en tapant dans les mains. On distingue que le dialecte local, où les K et les G abondent, est omniprésent dans ce chant où le mot : Reao, revient régulièrement.
Louis, tout en dégustant lentement une langouste de près d'une bonne livre, observe le jeu des exécutants qui, comme tous les polynésiens, sont des musiciens nés. Il examine aussi leurs instruments : les guitares qui se sont répandues, a-t-il lu, dans la Polynésie Française il y a une centaine d'années, à partir de Hawaii ; celles que nous avons là sont gréées de trois cordes en nylon pour les plus graves et les trois autres étant en acier. Une des curiosités pour Louis comme pour les autres popaa : c'est le ukulele, ce nom est Hawaïen ; ce sont les gens de ces îles, qui formèrent le cinquantième état de l'Union Américaine, qui l'ont inventé. Les Polynésiens chez qui la musique est comme une seconde nature, ne pouvaient pas se procurer une guitare à Hawaii, par rareté ou par manque d'argent ; ils inventèrent donc ce petit instrument, taillant un manche dans un morceau de bois ou dans une planche, en y adaptant une noix de coco coupée en deux qui servirait de caisse de résonance pour les quatre cordes. Ici à Reao, c'est l'artiste qui fabrique son instrument lui-même. Il est curieux de remarquer les convergences culturelles en des lieux du globe éloignés les uns des autres : dans la Cordillère des Andes, pour la même raison, les survivants du génocide andin inventèrent le charango. Un petit animal insectivore : le tatou, après avoir été mangé, fournissant sa carapace pour amplifier le volume du son de quatre paires de cordes.
Le groupe est entrain d'exécuter un pot-pourri, les rythmes ont changé à plusieurs reprises depuis bientôt un quart d'heure que les musiciens sont en place. Mais une autre curiosité est la contrebasse, sur laquelle justement en ce moment, le musicien joue en solo. Là, c'est vraiment l'emploi de tout ce que l'on peut avoir sous la main, pour faire de la musique ! Rohi observe le jeu de l'homme qui, à l'arrivée, portait ce bidon à lubrifiant de moteur diesel, qu’il a pu récupérer à proximité des groupes électrogènes de la station météorologique.
La corde nylon est fixée sur une des deux poignées du bidon d'une part, puis au haut du manche à balai ; celui-ci, tenu verticalement ou presque, est bloqué sur le rebord, près de l'autre poignée, la corde étant juste à peine tendue. La tension de la corde créée en inclinant le bâton à l'opposé de son point de fixation au bidon, associée à son pincement sur le bois, donnera des sons plus ou moins haut ; le bidon vide fournissant une caisse de résonance semblant convenable.
- Maitai ! la contrebasse, s'exclame Louis, interpellant Eritapeta qui passait près de lui pour les besoins du service.
- Oui, tu vois, les popaa ont détruit notre culture mais nous savons bien nous adapter. Voici ce que l'on sait faire avec un vieux bidon qui devrait être depuis longtemps dans ta poubelle, Vous n'avez jamais imaginé un tel instrument n'est-ce pas ? Et, puis, reprend-elle, tu n'as pas tout vu, tout-à-l'heure, Ereve ira chercher sa batterie, tu seras encore bien plus surpris.
(à suivre)
A Pilon
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Re: REAO, l'écho d'un lointain lagon.
le tamaaraa( suite 4 )
Les musiciens qui se sont arrêtés tout juste deux minutes, jouent et chantent maintenant des airs connus, et les convives reprennent les refrains en chœur. Les verres de vin sucré circulent dans leur direction et bientôt chacun en a un de vide près de lui.
Les joueurs de toere possèdent des tambours de différents gabarits, ils les placent debouts ou couchés, selon leur taille ; ils en tirent des sons graves, sourds, aigus, suivant le lieu de frappe sur le fût, avec leurs baguettes qui sont des morceaux de bois lisses.
Pour le moment, le groupe jouent le tube tout nouveau dans les boites de Papeete et que l'un d'eux a pu apprendre là-bas dernièrement. Revenu depuis peu dans son île, il l'a donc enseigné aux autres : « Oe tau pinia.» L'assistance rythme le morceau en tapant dans ses mains, ils en connaissent tous plus ou moins l'air et les paroles, pour l'avoir entendu bien souvent à la radio, à l’émission tahitienne spéciale du soir destinée aux îles : « allo les îles. »
Cette animation n'empêche pas chacun de manger et de boire ; les assiettes et les gamelles se vident, les verres se vident rapidement et, comme les gamelles, se remplissent et se vident de nouveau. C'est inépuisable, les bouches sont toujours pleines ; les figures réjouies et opulentes font plaisir à voir. La sueur perle sur les fronts et les visages sous l'effort de mastication permanente ; voici que l’on en remarque quelques-uns qui sont un peu éméchés et qui ont déja le verbe haut ; et l'on n'est qu'au tout début de la fête !
Et l'orchestre entame « Pua'a choux », une chanson que l'on peut appeler en français : « La potée de cochon aux choux ». Cette chanson déjà ancienne et qui fait partie du folklore tahitien, est bien connue ici ; tous, grands comme petits reprennent en chœur et à plusieurs voix innées : Haere taua i te poipoi i te matete... Allons tous deux au marché de bon matin etc... acheter le puaka, et les légumes pour faire la potée...
Avant de s'attaquer aux plats de viande qui ne vont pas tarder à être défournés, on va faire une espèce de trou normand, avalant chacun, homme ou femme, un demi-verre de komo puaka, l’alcool à base de levure. Ce breuvage qu'a fabriqué Teni se présente sous forme de liquide blanchâtre légèrement rosi par le jus d'orange. Alors que la distribution est en cours, Eritapeta s'approche de Louis avec un peu de cet alcool dans son verre :
- Surtout, n'en boit pas beaucoup, lui dit-elle, car il est très fort et monte vite à la tête ; elle ajoute à voix basse : je veux que tu aies les idées claires pour ce soir.
- Mais toi tu vas boire ce que tu as dans ton verre, lui fait-il remarquer sur un ton de reproche.
- Non je ne boirai pas tout, et je vais t'apprendre comment je fais pour ne pas boire trop d'alcool tout en m'imprégnant du goût. Vois-tu, reprend-elle, j'en mets une lampée dans ma bouche, j'humecte longuement ma langue, mon palais et mes muqueuses ; j’avale le tout au bout d'un temps assez long, puis je bois un demi-verre d'eau par-dessus, cela m'apporte une sensation brûlante et agréable, donne un bon gôut à l'eau et limite le danger d'ivresse.
Au signal de Poria toujours aussi gai, les cuisiniers, qui mangent tous ensemble à la même table et où règne une bruyante animation, se lèvent pour l'ouverture des fours à viande. Les deux Akutino qui ont repris leurs pelles refont les gestes que l'on a pu voir pour le dégagement des langoustes. Une nouvelle fois, l'odeur du ahii maa se répand alentour : celles des viandes cuites à l'étouffée s'ajoutant à celles que nous connaissons déjà, venues des fours à fruit de mer. L'eau monte à la bouche des spectateurs curieux qui entourent les foyers, des applaudissements nourris saluent alors l'apparition des quartiers de porc cuits à point. Le chef les sort du trou et les dispose sur une planche à découper présentées par ses aides.
Mais lorsque apparaissent les chiens, les applaudissements sont moins fournis et les météos, eux, cessent totalement de manifester leur plaisir, bien au contraire ; ils tirent malgré tout quelques photos de ces pauvres bêtes qui, hier encore, recevaient les caresses de leurs maîtres, ainsi que celles des enfants de la maison de qui ils étaient les petits amis, et les leur rendaient bien. Maintenant, cuits et se ressemblant tous par le doré de la cuisson, ils ont les babines qui se retroussent sur leurs crocs ; ils sont devenus soudain agressifs dans leur mort.
Deux fillettes, curieuses comme tous les enfants, et qui se trouvent là, se mettent soudain à fondre en larmes et à pleurer de tout leur cœur, elles viennent de reconnaître le leur, leur petit chien qu'elles choyaient depuis un an et qui dormait chaque nuit au sol sur la natte, blotti contre elles deux. S'ils se ressemblent tous une fois cuits, elles ne s'y trompent pas, celui qui était leur animal chéri est facile à reconnaître, il n'a plus son beau pelage brun mais il avait un croc cassé et une oreille déchirée ; il semble les regarder de ses yeux morts. Il faut éloigner les enfants, le père s'en charge ; lui, comme il l'a fait des centaines de fois, qui est allé au lagon pour les noyer, se met à pleurer à son tour en se dirigeant vers le sous-bois, tenant ses deux fillettes par la main.
Parmi le personnel de la météo, il y en a plusieurs qui sont très choqués par ce spectacle, barbare disent-ils ; par le sort infligé à ces animaux amis de l'homme. Mais leurs remarques qui n'influeront en rien sur le cours de la vie à Reao, proviennent surtout des derniers arrivés qui ne connaissent pas les usages, ni particulièrement les besoins des habitants des atolls. Ils comprendront bientôt que le chien est un bétail, qu'il est élevé dans un but alimentaire. Bien peu de popaa s'en serviront à ce repas, même parmi ceux qui admettent ce fait par le besoin d'alimentation carnée des gens des îles ; rares seront ceux qui en mangeront.
Des fours sont également sortis les taro, les maiore, quelques bananes et le ipo. Comme les viandes après avoir été coupées en morceaux de belles tailles, les vahinés rangent les fruits et légumes dans des plats ou sur des plateaux en feuillage de cocotier qu'elles disposent à mesure sur les tables. Le contenant est bien disparate, il a fallu récupérer de la vaisselle dans chacun des farés.
Et puis, sur-le-champ, les convives s'attellent à cette nouvelle nourriture : le poisson cru et les langoustes ne sont pas encore terminés, ce n'est pas bien grave, laissons-les donc de côté, on y repensera un peu plus tard. De toutes façons, comme nous l’avons avancé, le tamaaraa ne sera terminé que quand il n'y aura plus rien à manger, et quand toutes les bassines de vin seront vides ; il faudra peut-être rester là jusqu'à demain midi, c'est possible, il n'y a pas de travail qui attend sur un atoll.
Après l'ouverture de ces fours, l'orchestre a repris quelques activités avec « Te manu puka rua » puis « Hiti kare hue » qui sont des classiques des îles ; des tubes locaux, dirait-on maintenant. Parfois plusieurs couples s'activent à danser, mais, pour quelque danse que ce soit, les graviers qui recouvrent le sol ne facilite pas cette activité ; les danseurs ont parfois des difficultés d'évolution.
Le nouveau musicien, qu'avait annoncé Eritapeta à Louis, a pris sa place dans le groupe ; il n'est pas de Reao, mais de l'île proche : Puka rua. Il a débarqué de la dernière goélette pour visiter ses feetis, ses cousins ; il n'avait pour tout bagage qu'un tambour. En fait, il en avait deux, l'un contenant l'autre.
Ses instruments qui sont maintenant prêts à servir sont tout simplement deux boites métalliques en aluminium qui étaient l'emballage des biscuits « Arnott » provenant de Nouvelle-Zélande, à moins que ce ne soit d'Australie, ainsi qu'une cymbale charleston et une pédale de grosse caisse. Ses baguettes sont de vraies baguettes de batteur.
Il commence alors à jouer avec l'ensemble qui entame une autre danse ; le public comprend de suite qu'il a affaire à un vrai batteur, qui a le sens inné du rythme. Ses « tambours », sur lesquels par places sont collés quelques rubans adhésifs, ont un timbre surprenant. Bientôt, l'orchestre lui laisse le champ libre, il démarre alors dans un solo qui accapare l'attention des danseurs et des mangeurs, chacun s'arrêtant de danser ou de manger, fascinés par cette démonstration sans pareille, sûrement une première à Reao et peut-être aux îles Tuamotu. Au bout de cinq à sept minutes, après s’être complètement déchaîné et alors qu'il ruisselle de sueur, il revient progressivement à un style plus sobre et plus calme, en arrive à un rythme de slow sur lequel l'orchestre vient le rejoindre et improviser à son tour ; les danseurs l'applaudissent puis reprennent leurs évolutions. Il aura au cours de la soirée l'occasion de se produire dans plusieurs autre solos, qui seront appréciés de façon identique.
Tout l'après-midi et la nuit suivante, la fête va se dérouler ainsi. Elle sera interrompue à plusieurs reprises par divers événements : ce sera d'abord le passage d'un troupeau de baleines près de l'île, à frôler les rochers, devant le village. Un peu plus tard, à la nuit noire, la capture d'une tortue non loin de là, suivie par une chute de scooter de Teragi qui se soûlait pour la première fois depuis six mois, son contrat « Croix bleue » terminé l'y autorisant. Enfin, ce fut une altercation entre deux vahinés ; une vieille rancune au sujet de noix de coco « empruntées ». On ne peut pas dire volées, puisqu'il n'y a pas de voleurs en Polynésie, c'est bien connu ; et emprunter ce n'est pas voler.
Alors que le soleil n'en a plus que pour une heure de course, un gamin qui s'en est allé flâner vers le rivage du côté de l'océan, revient en criant :
- Tohora ! tohora ! des baleines !
Immédiatement, la plus grande partie des convives se lève de table et tous courent vers la mer pour voir ces grands animaux, le gamin indiquant aux premiers la direction par où il faut se diriger. Chacun emporte avec soi un peu de nourriture, qui une langouste, qui un morceau de cochon ou de chien, et continue de manger en cavalant vers la côte.
Eritapeta tire Louis par le bras en lui disant :
- Viens avec moi, nous allons plonger dans l'océan, tu n'as certainement jamais vu de baleine de près, viens donc voir comme c'est beau. Tiens ajoute-t-elle, prends ce masque et ce tuba. Et tout deux se mettent à courir vers la mer à la suite des autres.
Les villageois sont maintenant grimpés sur les rochers qui bordent le tombant du récif surplombant l'eau d'environ un mètre. Les hommes, les femmes, les grands enfants, garçons et filles se préparent pour la plongée. Il n'y a pas de houle, la mer est encore et depuis plusieurs jours, d'un calme exceptionnel et la zone est protégée de l'alizé d’est-sud-est qui souffle dans l'axe du lagon. L'état de la mer ne présente aucun risque.
Le troupeau de baleines arrive par la droite, donc de l'est, elles frôlent les rochers d'une manière anormale. Il n'est pas possible de distinguer de combien d'animaux il se compose car elles ne sont pas toutes visibles en même temps, certaines sont entièrement immergées alors que d'autres s'ébattent à la surface.
Mais, après avoir pris les précautions habituelles pour franchir les récifs sans risques, les nageurs se sont mis à l'eau suivis par leurs chiens ; ils vont au devant d'elles, on peut compter une centaine de têtes humaines qui oscillent au gré d'une légère houle, spectacle sans pareil. Sans aucune peur ni inquiétude, des hommes qui, face à un danger marin seraient bien incapables de se défendre, se dirigent en nageant, à la rencontre des plus gros animaux de la planète Terre !
- Quand elles seront passées, lui précise la jeune fille, nous allons nous y mettre nous aussi ; à notre tour nous irons les voir de très près.
- Et les requins ? j'ai la trouille, moi.
- Il n'y aura pas un seul requin, avec tout ce monde à l'eau, et surtout ici près du rivage, tu verras.
- Mais, Eritapeta, tu n'as pas de masque, ta vision va être trouble ?
- Je n'en ai pas et je m'en passerai, les Reao savent voir en plongée sans masque. Avant l'arrivée des popaa, les lunettes sous-marines n'existaient pas dans notre pays et les pêcheurs savaient parfaitement comment faire pour bien voir dans l'océan.
- Explique-moi donc en détail, s'il te plaît ?
- C'est très simple, étant à plat ventre dans l'eau, on fait sortir par la bouche l'air venant des poumons ; il est nécessaire de bien contrôler les bulles afin qu'elles viennent se placer sur les orbites où elles resteront bloquées, l'écran entre l’œil et la masse liquide est formé et le plongeur peut voir parfaitement sur le fond. Une visière de forme étudiée et bien appliquée sur le front permettra de retenir un volume d'air plus important devant son visage, ce qui lui donnera une certaine liberté d'évolution.
Ce disant, la jeune fille a quitté le léger caraco qu’elle porte et se prépare pour la plongée. Elle dispose son léger vêtement d'une façon particulière autour de sa main gauche, elle formera ainsi ce léger bourrelet étanche sur son front, au-dessus de ses yeux, elle nagera de son bras libre et de ses jambes.
Pendant ce temps, les animaux avancent, lentement, crachant de temps à autre leur jet d'eau avec puissance. Les plus proches, suivies par plusieurs villageois, défilent devant leurs yeux, à quelques décamètres d'eux comme à la parade. Elles s'immergent complètement un certain temps puis elles reparaissent en lâchant leur énorme soufflement qui leur permet de renouveler leur oxygène, elle repartent derechef vers les profondeurs dans un bel arrondi du dos suivi parfois d'une claque formidable sur l'eau, appliquée de leur surprenante queue en V largement ouvert.
Celles qui se trouvent à proximité du récif où la profondeur n'est pas très grande, une quinzaine de mètres seulement, n'ont pratiquement pas de liberté de manœuvre verticale, elles restent en surface. Par contre, à une certaine distance ou la pente extérieure est importante, elles peuvent évoluer sans retenue ; certaines d'entre elles, s'élançant en venant des profondeurs, sortent presque entièrement de l'élément liquide avec une grande vitesse, elles retombent sans contrôle et parfois sur le dos avec un bruit fracassant et dans un jaillissement d'écume impressionnant.
Ce sont des baleines bleues, lui dit-elle, les plus grosses que l'on peut rencontrer dans l'océan. Il est très rare d'en voir par ici ; elles ont été trop chassées et sont en voie de disparition. Je n'en ai jamais tant vu, il doit y en avoir une cinquantaine. Les Reao, à l'eau depuis quelques minutes, nagent autour des cétacés les plus proches, autour de ceux qui ne font pas de mouvements brusques. lls savent bien que si les baleines ne sont pas agressives elles peuvent êtres dangereuses dans leurs évolutions, avec leur queue par exemple qui est un magistral battoir ; aussi, ils plongent toujours sur le côté de l'animal pour s'en approcher sans risques. L'un des nageurs, très hardi, est sorti de l'océan, transporté par l'une d'elles et plus ou moins à cheval, en se tenant à son éperon ou bosse dorsale. Il pousse un cri de gloire, tel un Tarzan des mers.
- A nous maintenant, annonce la fille, nous sommes les derniers, suis-moi pour franchir ces rochers pendant que les vagues sont les plus faibles et qu'aucune déferlante n'arrive.
Ils rentrent alors dans l'eau jusqu'au ventre et s'élancent pour s'éloigner de suite du rivage. Louis qui la suit, ajuste sans tarder son masque, appréhendant malgré ce qu'elle a pu lui dire, la rencontre avec un requin. Elle, qui a posé sur son front sa visière improvisée en fait de même ; de requin, il faut le constater, il n'y en a pas de visible. Mais, le spectacle, l'enchantement, est immédiat et inédit ; à vingt mètres d'eux, dans la clarté des eaux, quatre de ces mastodontes avancent lentement, propulsés par un très faible battement vertical de leur queue. Quelques villageois, hommes et femmes sont à leur contact, deux ou trois maintenant les abordent, et s'agrippent tant bien que mal à l'éperon dorsal ; d'autres viennent les regarder dans les yeux. Pour ces animaux, dans les deux cas, ce sont des moucherons qu'elles semblent ignorer, malgré leur regard intéressé. Les nageurs remontent régulièrement pour avaler leur goulée d'air, puis ils recommencent leur jeu ; ils sortent parfois de l'onde transportés sur le dos de la bête, plongent de ce tremplin improvisé, puis s'éloignent en nageant à toute vitesse, parant ainsi le danger que présente cette grande queue plate.
Mais nos deux explorateurs restent sagement à distance ; Eritapeta peut faire la même chose que ses compatriotes, plusieurs minutes sous l'eau ne lui font pas peur, elle saurait faire du cheval sur la baleine, mais elle sait que Louis ne serait pas rassuré s'il demeurait seul ; elle reste donc près de lui.
Alors qu'ils évoluent à une cinquantaine de mètres du rivage, voici l'un des cétacés qui se trouvait dans la zone sombre, au-dessus de l'abîme, qui à grande vitesse, avec d’énergiques battements de sa nageoire caudale, fonce vers la surface. Partie d'une profondeur d'environ quarante mètres, son formidable élan fait sortir la baleine plus qu'à moitié de l'océan qu'elle retrouve brutalement, dans un grondement fantastique, amplifié par la résonance sous-marine. Dans l'action, en retombant déséquilibrée sur l'un de ses flancs, elle montre tout son ventre et le dessous de ses deux nageoires, d'une blancheur étonnante. Serait-ce un petit fils métissé de Moby Dick, la baleine blanche d'Hermann Melville, que poursuivait le capitaine Achab ?
Et puis, la voilà qui se dirige vers nos deux nageurs, vont-ils subir le sort de Jonas ? Non, les baleines sont des mange-petits, des microphages disent les savants, et le Jonas de la bible a du être avalé par un cachalot qui avait gueule et dents, et non des fanons filtreurs des baleines bleues. Il est connu que le cachalot est du genre teigneux - si l'on se rapporte aux récits des marins baleiniers - Jonas ne lui faisait donc pas peur. Mais, obliquant un peu sur la gauche, elle passe à cinq mètres d'eux, créant un remous des eaux, c'est que ce n'est pas rien une telle masse se frayant un passage. On sait que ces grands animaux marins atteignent trente mètres de longueur et dépasse les cent tonnes, ce qui fait une bonne centaine de mètres cubes d'eau à bousculer. Quelle impression peut nous donner l’observation de ce gigantesque et placide animal à portée de main !
Sur sa peau par endroit, des coquillages sont collés, par petits bancs ; ce sont des sortes de patelles, elles y adhèrent de la même façon qu'elles le feraient sur un rocher. Elle en a aussi tout près de ses petits yeux qui regardent avec curiosité ces humains inoffensifs qu'elle a, pour une fois, la chance de rencontrer. Autour de sa grande bouche allongée, principalement aux commissures des lèvres, non loin de ses yeux, on peut distinguer plusieurs bouquets d'algues vertes, auprès desquels se trouvent de tout petits poissons bleus aux aguets et tout prêts à aller se réfugier à l’intérieur de cette touffe de verdure si un danger pour eux survient.
Mais que font-elles là si près des rochers de l'atoll ? Elles ne sont pas en pêche, elles se nourrissent de plancton et leur bouche est fermée. Elles ne peuvent pas évoluer facilement, les fonds sont faibles à proximité du rivage. Une explication est bientôt donnée : alors que le troupeau s'éloigne vers l'ouest, trois retardataires sont maintenant en vue, elles sont à la traîne apparemment et nagent de façon identique et calmement. Elles se dirigent vers nos deux nageurs. Mais de l'une d'elle : que lui pend-il donc sous le ventre ?
Eritapeta, sortant la tête de l'eau, lui annonce alors :
- Cette baleine est en train d'accoucher.
En effet, on remarque bien maintenant la queue du baleineau et la partie postérieure de son corps, sur une longueur de deux mètres environ, sortant du ventre de sa mère. Les deux consœurs qui l'entourent semblent aider à la naissance du bébé, elles sont des « sages-baleines », pourrait-on dire. A moins qu'elles se soient positionnées en gardiennes pour dissuader tout agresseur potentiel ?
- Je pense, dit la jeune fille, que le troupeau est venu tout près de chez nous afin de ne pas être importuné par les requins du large pendant l'accouchement.
Cette fille amphibie a prononcé ces mots après avoir observé la scène en se privant de respiration pendant trois minutes !
Mais les nageurs n'assisteront pas à la naissance du bébé baleine, les trois retardataires s'éloignent à leur tour ; la tête du troupeau suivant son bonhomme de chemin, et toujours en rasant la côte, a déjà dépassé la hauteur de la station météo et du cimetière de l'hôpital des lépreux. Nos trois dernières suivent le chemin tracé. Et puis elles quitteront cette île, ce havre de tranquillité ; elles s'en iront vers leur destin qui risque bien de les confronter à des rencontres moins joyeuses, sous d'autres horizons, avec d'autres humains.
Les joueurs de toere possèdent des tambours de différents gabarits, ils les placent debouts ou couchés, selon leur taille ; ils en tirent des sons graves, sourds, aigus, suivant le lieu de frappe sur le fût, avec leurs baguettes qui sont des morceaux de bois lisses.
Pour le moment, le groupe jouent le tube tout nouveau dans les boites de Papeete et que l'un d'eux a pu apprendre là-bas dernièrement. Revenu depuis peu dans son île, il l'a donc enseigné aux autres : « Oe tau pinia.» L'assistance rythme le morceau en tapant dans ses mains, ils en connaissent tous plus ou moins l'air et les paroles, pour l'avoir entendu bien souvent à la radio, à l’émission tahitienne spéciale du soir destinée aux îles : « allo les îles. »
Cette animation n'empêche pas chacun de manger et de boire ; les assiettes et les gamelles se vident, les verres se vident rapidement et, comme les gamelles, se remplissent et se vident de nouveau. C'est inépuisable, les bouches sont toujours pleines ; les figures réjouies et opulentes font plaisir à voir. La sueur perle sur les fronts et les visages sous l'effort de mastication permanente ; voici que l’on en remarque quelques-uns qui sont un peu éméchés et qui ont déja le verbe haut ; et l'on n'est qu'au tout début de la fête !
Et l'orchestre entame « Pua'a choux », une chanson que l'on peut appeler en français : « La potée de cochon aux choux ». Cette chanson déjà ancienne et qui fait partie du folklore tahitien, est bien connue ici ; tous, grands comme petits reprennent en chœur et à plusieurs voix innées : Haere taua i te poipoi i te matete... Allons tous deux au marché de bon matin etc... acheter le puaka, et les légumes pour faire la potée...
Avant de s'attaquer aux plats de viande qui ne vont pas tarder à être défournés, on va faire une espèce de trou normand, avalant chacun, homme ou femme, un demi-verre de komo puaka, l’alcool à base de levure. Ce breuvage qu'a fabriqué Teni se présente sous forme de liquide blanchâtre légèrement rosi par le jus d'orange. Alors que la distribution est en cours, Eritapeta s'approche de Louis avec un peu de cet alcool dans son verre :
- Surtout, n'en boit pas beaucoup, lui dit-elle, car il est très fort et monte vite à la tête ; elle ajoute à voix basse : je veux que tu aies les idées claires pour ce soir.
- Mais toi tu vas boire ce que tu as dans ton verre, lui fait-il remarquer sur un ton de reproche.
- Non je ne boirai pas tout, et je vais t'apprendre comment je fais pour ne pas boire trop d'alcool tout en m'imprégnant du goût. Vois-tu, reprend-elle, j'en mets une lampée dans ma bouche, j'humecte longuement ma langue, mon palais et mes muqueuses ; j’avale le tout au bout d'un temps assez long, puis je bois un demi-verre d'eau par-dessus, cela m'apporte une sensation brûlante et agréable, donne un bon gôut à l'eau et limite le danger d'ivresse.
Au signal de Poria toujours aussi gai, les cuisiniers, qui mangent tous ensemble à la même table et où règne une bruyante animation, se lèvent pour l'ouverture des fours à viande. Les deux Akutino qui ont repris leurs pelles refont les gestes que l'on a pu voir pour le dégagement des langoustes. Une nouvelle fois, l'odeur du ahii maa se répand alentour : celles des viandes cuites à l'étouffée s'ajoutant à celles que nous connaissons déjà, venues des fours à fruit de mer. L'eau monte à la bouche des spectateurs curieux qui entourent les foyers, des applaudissements nourris saluent alors l'apparition des quartiers de porc cuits à point. Le chef les sort du trou et les dispose sur une planche à découper présentées par ses aides.
Mais lorsque apparaissent les chiens, les applaudissements sont moins fournis et les météos, eux, cessent totalement de manifester leur plaisir, bien au contraire ; ils tirent malgré tout quelques photos de ces pauvres bêtes qui, hier encore, recevaient les caresses de leurs maîtres, ainsi que celles des enfants de la maison de qui ils étaient les petits amis, et les leur rendaient bien. Maintenant, cuits et se ressemblant tous par le doré de la cuisson, ils ont les babines qui se retroussent sur leurs crocs ; ils sont devenus soudain agressifs dans leur mort.
Deux fillettes, curieuses comme tous les enfants, et qui se trouvent là, se mettent soudain à fondre en larmes et à pleurer de tout leur cœur, elles viennent de reconnaître le leur, leur petit chien qu'elles choyaient depuis un an et qui dormait chaque nuit au sol sur la natte, blotti contre elles deux. S'ils se ressemblent tous une fois cuits, elles ne s'y trompent pas, celui qui était leur animal chéri est facile à reconnaître, il n'a plus son beau pelage brun mais il avait un croc cassé et une oreille déchirée ; il semble les regarder de ses yeux morts. Il faut éloigner les enfants, le père s'en charge ; lui, comme il l'a fait des centaines de fois, qui est allé au lagon pour les noyer, se met à pleurer à son tour en se dirigeant vers le sous-bois, tenant ses deux fillettes par la main.
Parmi le personnel de la météo, il y en a plusieurs qui sont très choqués par ce spectacle, barbare disent-ils ; par le sort infligé à ces animaux amis de l'homme. Mais leurs remarques qui n'influeront en rien sur le cours de la vie à Reao, proviennent surtout des derniers arrivés qui ne connaissent pas les usages, ni particulièrement les besoins des habitants des atolls. Ils comprendront bientôt que le chien est un bétail, qu'il est élevé dans un but alimentaire. Bien peu de popaa s'en serviront à ce repas, même parmi ceux qui admettent ce fait par le besoin d'alimentation carnée des gens des îles ; rares seront ceux qui en mangeront.
Des fours sont également sortis les taro, les maiore, quelques bananes et le ipo. Comme les viandes après avoir été coupées en morceaux de belles tailles, les vahinés rangent les fruits et légumes dans des plats ou sur des plateaux en feuillage de cocotier qu'elles disposent à mesure sur les tables. Le contenant est bien disparate, il a fallu récupérer de la vaisselle dans chacun des farés.
Et puis, sur-le-champ, les convives s'attellent à cette nouvelle nourriture : le poisson cru et les langoustes ne sont pas encore terminés, ce n'est pas bien grave, laissons-les donc de côté, on y repensera un peu plus tard. De toutes façons, comme nous l’avons avancé, le tamaaraa ne sera terminé que quand il n'y aura plus rien à manger, et quand toutes les bassines de vin seront vides ; il faudra peut-être rester là jusqu'à demain midi, c'est possible, il n'y a pas de travail qui attend sur un atoll.
Après l'ouverture de ces fours, l'orchestre a repris quelques activités avec « Te manu puka rua » puis « Hiti kare hue » qui sont des classiques des îles ; des tubes locaux, dirait-on maintenant. Parfois plusieurs couples s'activent à danser, mais, pour quelque danse que ce soit, les graviers qui recouvrent le sol ne facilite pas cette activité ; les danseurs ont parfois des difficultés d'évolution.
Le nouveau musicien, qu'avait annoncé Eritapeta à Louis, a pris sa place dans le groupe ; il n'est pas de Reao, mais de l'île proche : Puka rua. Il a débarqué de la dernière goélette pour visiter ses feetis, ses cousins ; il n'avait pour tout bagage qu'un tambour. En fait, il en avait deux, l'un contenant l'autre.
Ses instruments qui sont maintenant prêts à servir sont tout simplement deux boites métalliques en aluminium qui étaient l'emballage des biscuits « Arnott » provenant de Nouvelle-Zélande, à moins que ce ne soit d'Australie, ainsi qu'une cymbale charleston et une pédale de grosse caisse. Ses baguettes sont de vraies baguettes de batteur.
Il commence alors à jouer avec l'ensemble qui entame une autre danse ; le public comprend de suite qu'il a affaire à un vrai batteur, qui a le sens inné du rythme. Ses « tambours », sur lesquels par places sont collés quelques rubans adhésifs, ont un timbre surprenant. Bientôt, l'orchestre lui laisse le champ libre, il démarre alors dans un solo qui accapare l'attention des danseurs et des mangeurs, chacun s'arrêtant de danser ou de manger, fascinés par cette démonstration sans pareille, sûrement une première à Reao et peut-être aux îles Tuamotu. Au bout de cinq à sept minutes, après s’être complètement déchaîné et alors qu'il ruisselle de sueur, il revient progressivement à un style plus sobre et plus calme, en arrive à un rythme de slow sur lequel l'orchestre vient le rejoindre et improviser à son tour ; les danseurs l'applaudissent puis reprennent leurs évolutions. Il aura au cours de la soirée l'occasion de se produire dans plusieurs autre solos, qui seront appréciés de façon identique.
Tout l'après-midi et la nuit suivante, la fête va se dérouler ainsi. Elle sera interrompue à plusieurs reprises par divers événements : ce sera d'abord le passage d'un troupeau de baleines près de l'île, à frôler les rochers, devant le village. Un peu plus tard, à la nuit noire, la capture d'une tortue non loin de là, suivie par une chute de scooter de Teragi qui se soûlait pour la première fois depuis six mois, son contrat « Croix bleue » terminé l'y autorisant. Enfin, ce fut une altercation entre deux vahinés ; une vieille rancune au sujet de noix de coco « empruntées ». On ne peut pas dire volées, puisqu'il n'y a pas de voleurs en Polynésie, c'est bien connu ; et emprunter ce n'est pas voler.
Alors que le soleil n'en a plus que pour une heure de course, un gamin qui s'en est allé flâner vers le rivage du côté de l'océan, revient en criant :
- Tohora ! tohora ! des baleines !
Immédiatement, la plus grande partie des convives se lève de table et tous courent vers la mer pour voir ces grands animaux, le gamin indiquant aux premiers la direction par où il faut se diriger. Chacun emporte avec soi un peu de nourriture, qui une langouste, qui un morceau de cochon ou de chien, et continue de manger en cavalant vers la côte.
Eritapeta tire Louis par le bras en lui disant :
- Viens avec moi, nous allons plonger dans l'océan, tu n'as certainement jamais vu de baleine de près, viens donc voir comme c'est beau. Tiens ajoute-t-elle, prends ce masque et ce tuba. Et tout deux se mettent à courir vers la mer à la suite des autres.
Les villageois sont maintenant grimpés sur les rochers qui bordent le tombant du récif surplombant l'eau d'environ un mètre. Les hommes, les femmes, les grands enfants, garçons et filles se préparent pour la plongée. Il n'y a pas de houle, la mer est encore et depuis plusieurs jours, d'un calme exceptionnel et la zone est protégée de l'alizé d’est-sud-est qui souffle dans l'axe du lagon. L'état de la mer ne présente aucun risque.
Le troupeau de baleines arrive par la droite, donc de l'est, elles frôlent les rochers d'une manière anormale. Il n'est pas possible de distinguer de combien d'animaux il se compose car elles ne sont pas toutes visibles en même temps, certaines sont entièrement immergées alors que d'autres s'ébattent à la surface.
Mais, après avoir pris les précautions habituelles pour franchir les récifs sans risques, les nageurs se sont mis à l'eau suivis par leurs chiens ; ils vont au devant d'elles, on peut compter une centaine de têtes humaines qui oscillent au gré d'une légère houle, spectacle sans pareil. Sans aucune peur ni inquiétude, des hommes qui, face à un danger marin seraient bien incapables de se défendre, se dirigent en nageant, à la rencontre des plus gros animaux de la planète Terre !
- Quand elles seront passées, lui précise la jeune fille, nous allons nous y mettre nous aussi ; à notre tour nous irons les voir de très près.
- Et les requins ? j'ai la trouille, moi.
- Il n'y aura pas un seul requin, avec tout ce monde à l'eau, et surtout ici près du rivage, tu verras.
- Mais, Eritapeta, tu n'as pas de masque, ta vision va être trouble ?
- Je n'en ai pas et je m'en passerai, les Reao savent voir en plongée sans masque. Avant l'arrivée des popaa, les lunettes sous-marines n'existaient pas dans notre pays et les pêcheurs savaient parfaitement comment faire pour bien voir dans l'océan.
- Explique-moi donc en détail, s'il te plaît ?
- C'est très simple, étant à plat ventre dans l'eau, on fait sortir par la bouche l'air venant des poumons ; il est nécessaire de bien contrôler les bulles afin qu'elles viennent se placer sur les orbites où elles resteront bloquées, l'écran entre l’œil et la masse liquide est formé et le plongeur peut voir parfaitement sur le fond. Une visière de forme étudiée et bien appliquée sur le front permettra de retenir un volume d'air plus important devant son visage, ce qui lui donnera une certaine liberté d'évolution.
Ce disant, la jeune fille a quitté le léger caraco qu’elle porte et se prépare pour la plongée. Elle dispose son léger vêtement d'une façon particulière autour de sa main gauche, elle formera ainsi ce léger bourrelet étanche sur son front, au-dessus de ses yeux, elle nagera de son bras libre et de ses jambes.
Pendant ce temps, les animaux avancent, lentement, crachant de temps à autre leur jet d'eau avec puissance. Les plus proches, suivies par plusieurs villageois, défilent devant leurs yeux, à quelques décamètres d'eux comme à la parade. Elles s'immergent complètement un certain temps puis elles reparaissent en lâchant leur énorme soufflement qui leur permet de renouveler leur oxygène, elle repartent derechef vers les profondeurs dans un bel arrondi du dos suivi parfois d'une claque formidable sur l'eau, appliquée de leur surprenante queue en V largement ouvert.
Celles qui se trouvent à proximité du récif où la profondeur n'est pas très grande, une quinzaine de mètres seulement, n'ont pratiquement pas de liberté de manœuvre verticale, elles restent en surface. Par contre, à une certaine distance ou la pente extérieure est importante, elles peuvent évoluer sans retenue ; certaines d'entre elles, s'élançant en venant des profondeurs, sortent presque entièrement de l'élément liquide avec une grande vitesse, elles retombent sans contrôle et parfois sur le dos avec un bruit fracassant et dans un jaillissement d'écume impressionnant.
Ce sont des baleines bleues, lui dit-elle, les plus grosses que l'on peut rencontrer dans l'océan. Il est très rare d'en voir par ici ; elles ont été trop chassées et sont en voie de disparition. Je n'en ai jamais tant vu, il doit y en avoir une cinquantaine. Les Reao, à l'eau depuis quelques minutes, nagent autour des cétacés les plus proches, autour de ceux qui ne font pas de mouvements brusques. lls savent bien que si les baleines ne sont pas agressives elles peuvent êtres dangereuses dans leurs évolutions, avec leur queue par exemple qui est un magistral battoir ; aussi, ils plongent toujours sur le côté de l'animal pour s'en approcher sans risques. L'un des nageurs, très hardi, est sorti de l'océan, transporté par l'une d'elles et plus ou moins à cheval, en se tenant à son éperon ou bosse dorsale. Il pousse un cri de gloire, tel un Tarzan des mers.
- A nous maintenant, annonce la fille, nous sommes les derniers, suis-moi pour franchir ces rochers pendant que les vagues sont les plus faibles et qu'aucune déferlante n'arrive.
Ils rentrent alors dans l'eau jusqu'au ventre et s'élancent pour s'éloigner de suite du rivage. Louis qui la suit, ajuste sans tarder son masque, appréhendant malgré ce qu'elle a pu lui dire, la rencontre avec un requin. Elle, qui a posé sur son front sa visière improvisée en fait de même ; de requin, il faut le constater, il n'y en a pas de visible. Mais, le spectacle, l'enchantement, est immédiat et inédit ; à vingt mètres d'eux, dans la clarté des eaux, quatre de ces mastodontes avancent lentement, propulsés par un très faible battement vertical de leur queue. Quelques villageois, hommes et femmes sont à leur contact, deux ou trois maintenant les abordent, et s'agrippent tant bien que mal à l'éperon dorsal ; d'autres viennent les regarder dans les yeux. Pour ces animaux, dans les deux cas, ce sont des moucherons qu'elles semblent ignorer, malgré leur regard intéressé. Les nageurs remontent régulièrement pour avaler leur goulée d'air, puis ils recommencent leur jeu ; ils sortent parfois de l'onde transportés sur le dos de la bête, plongent de ce tremplin improvisé, puis s'éloignent en nageant à toute vitesse, parant ainsi le danger que présente cette grande queue plate.
Mais nos deux explorateurs restent sagement à distance ; Eritapeta peut faire la même chose que ses compatriotes, plusieurs minutes sous l'eau ne lui font pas peur, elle saurait faire du cheval sur la baleine, mais elle sait que Louis ne serait pas rassuré s'il demeurait seul ; elle reste donc près de lui.
Alors qu'ils évoluent à une cinquantaine de mètres du rivage, voici l'un des cétacés qui se trouvait dans la zone sombre, au-dessus de l'abîme, qui à grande vitesse, avec d’énergiques battements de sa nageoire caudale, fonce vers la surface. Partie d'une profondeur d'environ quarante mètres, son formidable élan fait sortir la baleine plus qu'à moitié de l'océan qu'elle retrouve brutalement, dans un grondement fantastique, amplifié par la résonance sous-marine. Dans l'action, en retombant déséquilibrée sur l'un de ses flancs, elle montre tout son ventre et le dessous de ses deux nageoires, d'une blancheur étonnante. Serait-ce un petit fils métissé de Moby Dick, la baleine blanche d'Hermann Melville, que poursuivait le capitaine Achab ?
Et puis, la voilà qui se dirige vers nos deux nageurs, vont-ils subir le sort de Jonas ? Non, les baleines sont des mange-petits, des microphages disent les savants, et le Jonas de la bible a du être avalé par un cachalot qui avait gueule et dents, et non des fanons filtreurs des baleines bleues. Il est connu que le cachalot est du genre teigneux - si l'on se rapporte aux récits des marins baleiniers - Jonas ne lui faisait donc pas peur. Mais, obliquant un peu sur la gauche, elle passe à cinq mètres d'eux, créant un remous des eaux, c'est que ce n'est pas rien une telle masse se frayant un passage. On sait que ces grands animaux marins atteignent trente mètres de longueur et dépasse les cent tonnes, ce qui fait une bonne centaine de mètres cubes d'eau à bousculer. Quelle impression peut nous donner l’observation de ce gigantesque et placide animal à portée de main !
Sur sa peau par endroit, des coquillages sont collés, par petits bancs ; ce sont des sortes de patelles, elles y adhèrent de la même façon qu'elles le feraient sur un rocher. Elle en a aussi tout près de ses petits yeux qui regardent avec curiosité ces humains inoffensifs qu'elle a, pour une fois, la chance de rencontrer. Autour de sa grande bouche allongée, principalement aux commissures des lèvres, non loin de ses yeux, on peut distinguer plusieurs bouquets d'algues vertes, auprès desquels se trouvent de tout petits poissons bleus aux aguets et tout prêts à aller se réfugier à l’intérieur de cette touffe de verdure si un danger pour eux survient.
Mais que font-elles là si près des rochers de l'atoll ? Elles ne sont pas en pêche, elles se nourrissent de plancton et leur bouche est fermée. Elles ne peuvent pas évoluer facilement, les fonds sont faibles à proximité du rivage. Une explication est bientôt donnée : alors que le troupeau s'éloigne vers l'ouest, trois retardataires sont maintenant en vue, elles sont à la traîne apparemment et nagent de façon identique et calmement. Elles se dirigent vers nos deux nageurs. Mais de l'une d'elle : que lui pend-il donc sous le ventre ?
Eritapeta, sortant la tête de l'eau, lui annonce alors :
- Cette baleine est en train d'accoucher.
En effet, on remarque bien maintenant la queue du baleineau et la partie postérieure de son corps, sur une longueur de deux mètres environ, sortant du ventre de sa mère. Les deux consœurs qui l'entourent semblent aider à la naissance du bébé, elles sont des « sages-baleines », pourrait-on dire. A moins qu'elles se soient positionnées en gardiennes pour dissuader tout agresseur potentiel ?
- Je pense, dit la jeune fille, que le troupeau est venu tout près de chez nous afin de ne pas être importuné par les requins du large pendant l'accouchement.
Cette fille amphibie a prononcé ces mots après avoir observé la scène en se privant de respiration pendant trois minutes !
Mais les nageurs n'assisteront pas à la naissance du bébé baleine, les trois retardataires s'éloignent à leur tour ; la tête du troupeau suivant son bonhomme de chemin, et toujours en rasant la côte, a déjà dépassé la hauteur de la station météo et du cimetière de l'hôpital des lépreux. Nos trois dernières suivent le chemin tracé. Et puis elles quitteront cette île, ce havre de tranquillité ; elles s'en iront vers leur destin qui risque bien de les confronter à des rencontres moins joyeuses, sous d'autres horizons, avec d'autres humains.
A suivre
André Pilon
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"... Rompre avec toutes ses habitudes et s'en aller, errer, d'île en île, au pays de lumière."
Charmian Kitteredge London, la femme de Jack London.