Le pain au ciment.
Tous ceux qui ont été affecté à la station météo de Reao avant 1968, ont connu l’ancienne église, c’est-à dire celle qui fut construite par les premiers missionnaires dans la seconde moitié du XIXème siècle, lors du regroupement des populations au village de Tapu Arava, tel que nous le connaissons maintenant.
En fait, me disait Teaka Pou, un Reao, qui, dans notre marine, fut retraité second-maître de manœuvre, membre des FNFL sur l’aviso Commandant Drogou et décédé à l’hôpital de Mamao en 1971, le nom de notre village est Pua Kiri Kiri, un cartographe à inscrit sur la carte Tapu Arava qui est le nom d’un marae local, le nom est resté.
Quand, depuis la rue vous faisiez face à la porte principale de cette église dont l’architecture était bien terne, et qui ressemblait, vu de l’extérieur, plus à une grange qu’à un édifice religieux, vous remarquiez, sur la gauche, un petit portique de deux bons mètres de hauteur surmonté d’une modeste toiture couverte en fara ou en nikau.
Accrochées au haut de ce portique se trouvaient deux cloches, l’une assez petite, à gauche, la seconde un peu plus importante, à droite ; cette dernière pouvait bien faire quarante centimètres de hauteur.
La plus petite appartenait au clergé, la seconde était une cloche marine et provenait d’un navire.
Comme cette dernière avait un volume sonore beaucoup plus important et un meilleur timbre que sa compagne de gauche (sans arrière pensée politique), c’est de celle-ci dont se servait Tetuanui Moearo, le catéchiste, pour appeler les fidèles aux nombreuses prières et avant de donner les directives du tavana après la messe du dimanche, les corvées diverses de balayages ou d’arrachage d’herbe dans le cimetière ou ramassage de crottes de chiens dans les rues.
Cette belle cloche provenait donc d’un navire qui s’était un jour brisé sur les récifs de Reao, et sur sa panse on y lisait : SAVERNAKE LIVERPOOL.
Pour approfondir le sujet, je vous livre ce que l’on peut lire dans un ouvrage datant de 1908 que j’ai en main et qui a pour titre : « La congrégation des pères des Sacrés-cœurs dite de Picpus », un écrit tout à l’honneur des Reao :
Citation : Le 14 novembre 1901, un navire anglais, le SAVERNAKE, se brise sur les récifs de Reao.
Les naufragés, terrifiés à la pensée de tomber entre les mains d’anthropophages, se hâtent sur des canots de gagner la haute mer.
Crainte injustifiée puisque les insulaires les invitent cordialement à venir.
Mais comment se faire comprendre ?
Une belle inspiration traverse l’esprit du chef.
Il court chercher le drapeau français dont il a la garde et il l’arbore au sommet d’un cocotier.
A cette vue, les marins anglais se reprennent : « si la France est là, il n’y a rien à craindre ! » et ils virent de bord vers ce peuple qui leur donne des marques de la plus haute sympathie, au point de se priver même de nourriture pour assurer pendant deux mois la subsistance des infortunés voyageurs.
Ces derniers tombent sous le charme des indigènes dont les femmes sont chastes et la conduite exemplaire.
Le Président de la République, informé par les marins, heureux témoins de ces merveilles de dignité et de charité chrétienne, envoie pour les chefs cinq médailles de sauvetage ; fin citation.
Le récit des missionnaires, un peu enjolivé selon moi, ne nous dit pas s’il y avait une tempête quand ce navire de commerce s’est mis au sec.
Je pense qu’il y avait quelques chose comme une dépression tropicale ou un cyclone.
En effet, au mois de novembre nous sommes en pleine saison où se forment ces phénomènes ; de plus le bateau dont les tôles sont toujours là, environ à un kilomètre à l’ouest du village se trouve parmi les cocotiers, enfoui dans les cailloutis apportés par la mer.
Il ne serait pas rentré tant à l’intérieur par niveau normal des eaux.
Il avait donc une montée des eaux importantes comme il s’en produit dans un cyclone par exemple.
Une anecdote m’a donc à ce sujet été racontée par Teaka Pou, qui avait pour nom de baptême Makario (ou Macaire) car né un 19 janvier.
C’est elle que je voulais vous livrer, comme indiqué dans le titre de mon écrit.
Tout ce qui était à bord du Savernake devint donc la propriété des habitants de notre atoll.
Comme dans les années précédentes, avec l’éducation missionnaire reçue, ils avaient fait connaissance avec la farine de blé, ils avaient donc appris à la travailler et à en faire du pain.
C’est à partir de cette époque qu’ils découvrirent aussi une façon polynésienne d’employer la farine : la fabrication du ipo, ce « gâteau » auquel nous avons tous goûté en les fréquentant, sans en faire notre gourmandise principale.
Comme dans l’épave du Savernake, il y avait un stock de ciment, me dit donc un jour Pou, les Reao, croyant que c’était de la farine, en formèrent des boules de pain comme ils savaient faire.
Cette « farine », comme celle qu’il connaissait, était aussi fine, aussi onctueuse ; un peu moins blanche tout de même, elle se laissa tout pareil facilement travailler et ils mirent les boules à cuire dans leur four de fabrication locale.
Bien entendu la surprise fut marquée au défournement.
Ce pain gris qui n’était point croustillant du tout, était des plus durs et immangeable et ce, malgré les bonnes et puissantes dents de nos amis paumotu.
Voici l'église tel qu'elle se présentait jadis.
Sortie de messe un dimanche vers 11 heures 30, à gauche : le portique supportant les deux cloches en question qui sont bien visibles.
On distingue au premier plan, en robe rose : Ioana Kehagatoro, au milieu, face à la porte, en robe jaune Eritapeta Faumea a Taiariki.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]André Pilon