Créée le 25 août 1939 par les marins près de l'embouchure de l'Oued Sebou, au Nord de Rabat, elle comportait à la fois deux pistes et une hydrobase.
La base abrita alors les escadrilles E1 sur Bréguet Bizerte et B1 sur LeO H 257 bis.
Au moment de la débâcle de 1940, elle hébergeait également la E6, qui regroupait tous les paquebots des airs de chez Latécoère soit, Laté 521, 522, 523 et 611, ainsi que, provisoirement, le Potez-CAMS 141.
Lors de l'opération Torch, le débarquement allié en AFN du 8 novembre 1942, les SDB américains et leurs escortes de chasseurs Wilcat, attaquèrent la base, sur laquelle étaient rassemblés les Martin 167 F de la 3B et les Dewoitine 520 de la 1AC restés au sol, où ils seront pour la plupart détruits.
A la fin de la journée, après de rares combats aériens, l'Aéronautique navale était pratiquement anéantie sur ce site.
Deux jours après, le 10 novembre 1942, après avoir été investie par les forces américaines, la défunte B.A.N fut aussitôt renommée "Craw Field" par l’Etat major américain, du nom du colonel Demas T. Craw, officier de liaison de l'USAAF auprès du général Truscott , commandant en chef de l’Opération Torch, tué fâcheusement par un tir de mitrailleuse des forces vichystes alors qu'il venait parlementer.
Dès cette date, la base fut placée en gardiennage de principe du côté Français, elle restera sous autorité américaine complète jusqu'au 1er janvier 1948.
A ce propos voir nota en bas de texte.
Une fois aux mains des Américains, lors de la progression Alliée vers la Tunisie, la base servira de plaque tournante pour les formations de l'USAAF et de l'US Navy, arrivant des USA ou d'Angleterre.
Puis elle passera sous contrôle de l'US Navy et sera renommée Naval Air Facility Port Lyautey, et sera utilisée pour sécuriser la route des convois vers l'AFN, dans les approches du Détroit de Gibraltar pendant toute la suite de la guerre.
Abritant pour cela de nombreux Squadrons de patrouilleurs ASM, B24 navalisés, Catalina, Ventura, Privateers, ainsi que deux flottilles françaises, en 1943 la 6FE FNFL, et en 1944 la 8FE.
A partir de janvier 1948 les Américains nous restituèrent officiellement la base.
Pour l'US Navy, "The French naval Air Station was fully recommissioned ", le transfert d’autorité eut bien lieu, et les trois couleurs flottèrent à nouveau en haut du mât de pavillon.
La base redevenait par principe sous commandement français, prérogative assurée selon la tradition Marine, par un officier supérieur de l’Aéronautique navale, mais comme il se devait d’avoir un grade supérieur à son homologue américain, souvent un major, ce ne fut pas toujours possible et le dernier commandement de la base fut assuré par un officier du service général de la Marine nationale provenant de la spécialité de canonnier ...
Le 1er octobre 1948, la 55 S sur Vickers Wellington et Caudron Goéland, école de spécialisation sur multimoteur (ESM) vint s'installer sur la base.
La période de cohabitation Franco-US qui allait s'ensuivre mérite à elle seule quelques pages ...
Autorité française de pure forme, car dans la réalité les Américains disposaient de la quasi-totalité de la logistique, des moyens matériels, et du contrôle aérien.
Pendant les années 1950, la base joua un rôle majeur dans les opérations de lutte anti sous marine et de guerre électronique menées par la 6éme Flotte US contre l'Union soviétique.
Elle abrita de nombreuses formations de l’Aviation navale et du Marine Corps, patrouille, chasse, bombardement, transport et renseignement électronique.
Appuyées sur une importante logistique comprenant entre autres deux stations de radio (A Sidi Bouknadel et Sidi Yahia) et un bataillon de Seabees chargé des travaux de construction et d’entretien des infrastructures et des pistes.
Au début des années 1950 il n’y avait toujours qu’un seul grand hangar pour abriter les activités de maintenance sur avion, partagé en deux parties égales entre l’US Navy et la Marine, ce qui ne manquait pas d’amener à des situations quelquefois difficiles à vivre pour les pingouins qui continuaient vaillamment de déplacer les avions manuellement, tandis qu’à quelques mètres d'eux une pléthore d'engins de traction peints en jaune s’activaient en tous sens, la moindre caisse à clous US était transportée par une Jeep...
Dans le hangar, les Goéland ou Wellington voisinaient souvent avec les Neptune ou Mercator, quelquefois même aussi avec des chasseurs à réaction Panther ou Banshee …
Les marins retrouvaient toutefois leur fierté quand un Wellington roulait au son velouté de ses Hercules après avoir été réparé dans le hangar, son entrée sur la piste attirait alors les curieux de l’autre bord, médusés de voir un tel appareil entoilé décoller impeccablement.
En 1952 l’honneur des marins français fut quelque peu rehaussé quand les beaux Lancaster WU, vieux de conception mais presque tous neufs, puisqu’ils avaient été complètement remis au standard chez Avro, arrivèrent dans leurs livrées rutilantes, suscitant une autre curiosité, cette fois empreinte du respect dû au prestigieux quadrimoteur emblématique de la Seconde guerre mondiale.
Cette proximité n'avait pas que des inconvénients, des petits matériels consommables étaient ostensiblement laissés à portée des pingouins sachant être discrets, les méthodes de maintenance US étaient basées sur l'échange systématique des éléments actifs arrivés en limite d'heures de fonctionnement, ce qui est normal aujourd'hui mais était à l'époque une vraie manne pour compléter certains rechanges, les tubes électroniques en particulier, la hiérarchie fermait évidemment les yeux sur ces pratiques.
Je ne connaissais pas le cas d'une Jeep entière, mais de là à dire que les pingouins faisaient les poubelles... est un pas que je ne franchirai pas.
Il n'en était pas de même pour des largesses touchant au personnel et au possible envoi de permissionnaires en Europe sur les appareils du MATS des C54.
Les Américains envoyaient en effet régulièrement leurs marins passer quelques jours de détente à la base US Navy de Naples, le commandement français avait bien sûr refusé avec dignité ce genre de proposition, encore eut-il fallut que nos marins aient en poche les Dollars pour aller avec...
La zone vie était située sur la colline, d'ou l'on pouvait admirer les spectaculaires (toujours pour l'époque) décollages assistés des P4M-1Q Mercator.
Tous les déplacements des Yankees se faisaient en bus navettes, au début les marins français avaient le droit de les emprunter pour remonter du hangar, mais la hiérarchie décidait le plus souvent, sous couvert d’exercice, de faire remonter les pingouins en colonne par deux à l'heure des repas.
Les lieux de repos n’étaient toutefois pas situés dans les mêmes zones, certains bâtiments de la colline étaient occupés par des gradés Américains, qu’ils nommaient les "french barracks", la majorité de leurs matelots et quartiers maîtres étaient logés dans des "Quonset hut" que nous appelions demi-tonneaux, non dépourvus de confort et climatisés, situés dans la zone basse, non loin des pistes et du hangar.
En novembre 1960, venant de Khouribga, l‘Ecole de chasse 57S arriva sur la base avec un parc d'avions assez disparate composé de CM175 et de Vampire, mais aussi de SNJ-4, de F6F et de F4U7, là encore les Américains étaient un peu époustouflés de voir les Français continuer à chevaucher leurs vieux avions...
Pendant cette période, c’était plutôt la détente qui prédominait, les Américains étaient invités lors de la remise des macarons aux nouveaux pilotes, avec baptême au champagne, comme il se doit...
S’ensuivaient alors des invitations réciproques et d'un côté et de l’autre, beer, whisky and champagne ne manquaient pas non plus ... à l’une de ces occasions un F6F fut même prêté par la 57S à un Major de l’USMC, nostalgique de ses combats dans le Pacifique ...
Voilà ce que je peux dire sur Port Lyautey, que j'ai fréquenté à plusieurs reprises entre 1952 et 1953 quand, de Casablanca, je venais voler à la 2F.
Aucun nom précis des pingouins présents à ce moment-là ne me revient en mémoire, sinon celui du Lv Leclercq-Aubreton, qui plus tard commandera la 28F Privateer en Indochine.
Nota : La mort du Major Craw avait été très mal ressentie par l'Etat Major américain, déclenchant une grande méfiance à l'égard des Français, non seulement vis à vis des les Vichystes mais aussi envers les FNFL de la 6FE, à qui ils furent réticents à confier des missions en 1943, une haute intervention de l'Amiral Nomy auprès des autorités US mit fin à cela, mais lors de leur participation à la chasse aux sous-marins, les personnels de la flottille furent souvent mis fortement à contribution sans beaucoup de périodes de repos.
Un extrait de mon carnet de vols
Le grand hangar.
Un équipage de la 2F devant le demi tonneau du poste des seconds.