« Le 8 novembre 1942, un dimanche, vers 3 heures du matin l’alerte est donnée à la base de Port-Lyautey : les troupes anglo-américaines opèrent un débarquement en AFN ; on n’a guère de détails, sinon que le débarquement a déjà commencé en Algérie et qu’on s’attend à une opération identique sur les côtes marocains.
La réaction est imminente : branlebas pour tout le personnel présent, rappel de tous les permissionnaires en ville, ordre de sortir les appareils du hangar et de compléter les pleins, mise à poste des groupes de défense de la base.
Vers 4 heures on commence à pousser les avions hors du hangar et à faire les pleins.
Vers 5 heures, ordre du commandant 3F de hisser les bombes, de compléter les armements, de tenir les équipages parés.
Ces mouvements s’effectuent très lentement pour les raisons suivantes :
- Interruption du courant électrique vers 5 heures, nuit noire, manque presque total de moyens d’éclairage de secours.
- Absence de nombreux permissionnaires qui n’ont pas encore rallié.
- La presque totalité des non-volants présents, arme un groupe de combat (2 mitrailleuses et 2 fusils mitrailleurs).
Pourtant il faut faire vite car l’aube approche et on entend déjà une violente canonnade dont les lueurs sont visibles au dessus de Mehedya (plage non loin de Port Lyautey) où le débarquement a déjà commencé.
Dès l’aube, les chasseurs de la 1F décollent et commencent à attaquer à la mitrailleuse et au canon les chalands de débarquement.
Ils nous déclarent à leur retour que de nombreux bâtiments de guerre ou de transport sont visibles le long de la côte.
Le lever du jour et la réduction du groupe de combat à 8 hommes de la 2B, permettent d’accélérer la préparation des avions.
A 7h40, le 2B1 (LV Cambon, SM Roujon, QM Ancergues et Seurr) équipé en réservoir supplémentaire décolle pour une mission d’exploration le long de la côte entre la frontière espagnole et le Mazagan.
Il reste à la 2B :
- Le 2B2 (LV Legris, Mtre Bézard, Mtre Sorbier).
- Le 2B3 (LV Nicolle, IM Thenin, SM Tretout, QM Lebreton).
- Le 2B4 (EV Legoascoz, Mtre Buhot-Launay, PM Fritsh, SM Marchesseau)
- Le 2B5 (LV Commines, SM Gouraud, SM Wartelle).
- Le 2B6 (EV Combier, Mtre Leborgne) se trouve à Agadir en compagnie d’un appareil de la 3B.
A 8h30 enfin, les avions sont parés, bombes et armement en place.
A 8h40, ordre du commandant 3F de mettre en route les avions pour effectuer une mission de bombardement sur les bâtiments de guerre devant Mehedya.
Attaque simultanée en piqué de tous les avions suivant le thème habituel.
Objectif au choix des chefs de bord.
Les appareils rallieront ensuite le terrain auxiliaire de Sidi-Yaya (à 2O km dans l’est de Port-Lyautey.
A 9 heures, les 8 appareils disponibles de la 3F (le 3F, quatre de la 2B, trois de la 3B) sont rassemblés à l’origine de la piste de décollage nord-sud, parés à décoller.
A ce moment, les équipages aperçoivent de nombreux avions venant du sud, des ennemis évidemment.
Il faut faire vite pour décoller, d’autant plus que nous n’avons aucune chasse amie en l’air.
Le décollage commence, un à un, sur la piste de 30 mètres de large ; tout se passe parfaitement, comme à l’exercice, mais les derniers avions, ceux de la 3B, décollent au milieu des bombes qui commencent à tomber.
Les chasseurs ennemis (des Grumman-Martlett américains) attendent les malheureux Glenn-Martin et les attaquent à tour de rôle, au fur et à mesure des décollages.
Le 3F (CC Mathon, LV Billioque, Mtre Bedu et QM Pradines) décollé le premier est presque aussitôt attaqué : on voit une explosion sur le fuseau moteur droit, puis l’appareil est perdu de vue, vraisemblablement réfugié dans les nuages très bas.
On ne connaitra jamais exactement le sort de cet avion.
Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’on retrouvera sur la plage au nord de l’embouchure du Sébou, le corps du CC Mathon, puis peu après celui du QM Pradines et quelques débris identifiables de l’appareil.
Le 2B2, décollé second, est attaqué aussitôt après par 2 chasseurs ; en feu, il vire à gauche, pique, redresse très près du sol, remonte en chandelle à 200 mètres.
L’équipage saute en parachute, l’avion explose en l’air puis s’écrase au sol où il continue de brûler.
Le 2B3 et le 2B5 qui cherchaient à rallier leur commandant, se dérobent alors en rase-mottes vers l’Est poursuivis un moment par des chasseurs ennemis, heureusement plus lents qu’eux.
Le 3, tiré de loin n’est pas touché, le 5 n’est pas rattrapé.
Par contre le 2B4 qui décollait dernier de l’escadrille n’a pas pu se dérober assez vite et est sévèrement touché mais ne prend pas feu.
Les avions de la 3B attaqués à leur tour s’en tirent plus ou moins heureusement.
Pendant plus d’un quart d’heure, les appareils tournent à très basse altitude au dessus de la forêt de la Mamora, espérant que les chasseurs ennemis vont se retirer ou que les amis (dont on est sans nouvelles) vont venir apporter leur protection indispensable pour l’exécution de la mission de bombardement ordonnée, car dès qu’un Glenn tente de s’approcher du secteur Port-Lyautey-Mehedya, il se heurte aussitôt à un nombre important de chasseurs ennemis.
Toute tentative d’attaque dans ces conditions semble vouée à l’échec pour des appareils isolés et sans protection de chasse.
Or les chasseurs français ne paraissent toujours pas (on apprendra par la suite, qu’ils ont presque tous été détruits au sol à Port-Lyautey) ; aussi les Glenn vont-ils successivement se poser à Sidi-Yaya pour se regrouper et prendre des ordres.
Atterrissage entre 9h25 et 9h40 : Le 3 se pose normalement, le 5 s’embourbe en fin de course dans le sol très mou, les hélices labourent un peu le sol, mais l’appareil n’est pas avarié quoique profondément enlisé.
Le 4, très avarié (une vingtaine d’impacts ont coupé des commandes et surtout crevé et vidé le circuit hydraulique) se pose sur le ventre.
Un autre appareil qui tournait autour du terrain s’écrase au sol sans raison apparente, c’est le 3B-3 (LV Jumere). Le 3B2 (LV Simon) atterri le premier, a été très durement touché par les attaques ennemies et se répare tant bien que mal.
A 10heures, 05 le 2B1 atterrit, rentrant de mission menée avec beaucoup de courage et d’intelligence dans des conditions difficiles ; il a longé la côte de Larache à Mazagan à très basse altitude, au milieu de très nombreux bateaux ennemis, dans une DCA presque continuelle et souvent violente ; malgré quoi le LV Cambon a chiffré et expédié d’utiles messages de renseignements, tandis que Roujon attaquait à la mitrailleuse des chalands de débarquement et même un petit hydravion ennemi.
Le terrain de Sidi-Yaya détrempé par les pluies est très mauvais.
Le 2B3 en roulant au sol s’embourbe et en le dégageant, ses hélices heurtent un obstacle et sont avariées.
L’appareil devient indisponible.
Le 5 n’est toujours pas désembourbé faute de moyens.
Des véhicules de l’échelon roulant qui rallient, s’enlisent à leur tour ; des chasseurs de la 1F qui ont réussi à évacuer Port-Lyautey subissent le même sort à l’atterrissage.
Aussi l’ordre est donné de diriger sur Meknès tous les avions capables de décoller.
A 14 heures, le 2B2 décolle en même temps que le LV Simon et va à Meknès. Le LV Nicolle rallie Port-Lyautey en Nort-América et assure le convoyage, avec le QM Sarramiac de la 2B, d’un Glenn de la 3B à Mehnès.
A 15h30, le 2B5 enfin désembourbé, est amené au début de la piste prêt à décoller.
Comme le LV De Commines va mettre les moteurs en route, les chasseurs ennemis arrivent sur le terrain, tournent en rond quelques temps puis commencent à mitrailler les avions et véhicules qui s’y trouvent.
Le 2B5 ne décollera pas. Incendié un des premiers, il explose avec ses bombes.
Le 2B3 subit le même sort presque aussitôt après.
Seul le 2B4 posé sur le ventre n’est pas attaqué, mais il n’en vaut guère mieux.
Les équipages à l’abri sous les arbres en bordure du terrain, assistent impuissants à la destruction de leurs appareils.
Quand les Grumann s’en vont, il ne reste plus que quelques tas de ferraille en train de brûler.