Passager en cale
Affecté sur le Robert Giraud à Madagascar, c’est sur le Jean Laborde, des Messageries maritimes que j’avais rejoint Diego Suarez en avril 60.
Mon retour s’était effectué sur ce même paquebot mixte pour mon rapatriement en mai 62.
Après quelques jours passés au dépôt de Toulon, l’embarquement avait eu lieu au cap Janet.
Si le Jean Laborde avait 3 classes en cabines, une quatrième en entrepont, aérées par quelques hublots sur la coque, ce que j’appellerais une cinquième classe, en cale était destinée aux militaires.
Cette cale équipée de bannettes, éclairée de trop rares ampoules souffrait d’un manque de ventilation, je me souviens de la peinture rouge du sol qui déteignait sous nos pieds.
Bannette vite abandonnée dès le canal de Suez franchi, pour aller dormir sur le pont.
Nous avions un espace limité, de la partie avant du bateau aux troisièmes. Nos repas étaient pris dans l’entrepont, sous le panneau de cale.
Ce panneau de cale articulé Mac Grégor était en partie ouverts, pour permettre une ventilation de l’entrepont, un filet tendu sur l’ouverture assurait la sécurité.
La visite du bord commissaire et passagers, nous regardant du haut de ce panneau nous donnait l’impression d’être en cage.
Notre seul accès à l’arrière du bateau, pour aller chercher les rations à la cambuse, se faisait par une coursive de service, à bâbord.
En passant devant la porte de la machine, nous échangions quelques mots avec le graisseur qui prenait le frais à la porte, devant le parquet des culasses.
Les plats venaient de la cuisine des troisièmes.
Les repas, dont je ne garde pas un souvenir impérissable avaient lieu sous ce panneau.
Souvenir de la mortadelle, reine des menus qui n’avaient rien de gastronomiques.
Le café du matin avait du subir plusieurs rinçages avant d’arriver jusqu’à nous, passant par les offices des autres classes.
Si dans les sanitaires, à l’avant à bâbord les lavabos étaient à l’eau douce, les douches, elles, étaient à l’eau salée.
Ce voyage de trois semaine, nous avait conduit dans un premier temps à port Saïd en passant par le détroit de Messine, avant pour la plupart d’entre nous de traverser le Canal de Suez pour la première fois. Premier contact avec la chaleur de la mer Rouge. Escale à Djibouti, et son traditionnel palmier en zinc maintenant disparu, Monbasa, Dar es Salam, et enfin la passe d’entrée de la baie de Diégo le débarquement pour notre première nuit Malgache avant de rejoindre nos affectations.
Après un séjour de vingt quatre mois sur l’aviso Ct Robert Giraud, j’avais retrouvé le Jean Laborde pour le retour.
Pour améliorer les conditions de vie et avoir un peu plus de confort, il était possible de faire une partie du travail d’un membre de l’équipage.
Ravalant ma fierté, sur les conseils de mon estomac, je me suis donc retrouvé adjoint de Roméro, le réceptionniste du bord, à passer l’aspirateur et faire le ménage au salon fumoir des premières.
Autre travail, qui me permettait d’entrevoir la vie des autres classes à bord, j’avais à préparer et installer le matériel de projection, qui se trouvait dans un local à bâbord du salon .
Les projections étaient faites aux premières-secondes, aux troisièmes et aux militaires et deux séances pour le personnel.
Ce travail nous permettait de manger à notre faim au réfectoire équipage, et d’accéder aux sanitaires.
Après le passage du canal de Suez, le froid ne permettant plus de dormir sur le pont je dormais dans la minuscule salle de repos, sur une banquette bien plus courte que ma taille.
Revêtu de la tenue de travail grise rayée du personnel restaurant, la circulation à bord était possible, en évitant quand même de croiser le commissaire.
Nous avions l’autorisation de sortir dans les ports, sauf en Égypte ou je n’avais pas pu participer à l’excursion des pyramides, qui avait lieu pendant la traversée du canal.
Je m’étais pourtant fait délivrer un passeport à cet effet, mais la guerre d’Algérie avait rendu les militaires indésirables sur le sol Égyptien, et je m’étais retrouvé de service en tenue à la coupée pour dissuader d’éventuelles tentatives de sorties.
J’avais été étonné de rencontrer à bord Geig, un lieutenant qui avait fait son service militaire sur le Robert Giraud à Diégo quelques mois auparavant.
Un électricien du bord avec qui j’avais sympathisé m’avait fait découvrir la machine.
J’ai conservé mon diplôme décerné aux gens qui passait la ligne pour la première fois, souvenir…
C’est la traversée du canal, qui m’a le plus marqué au cours de ce voyage.
Passage dans un autre monde, les marchands, le prestidigitateur Gali Gali et ses poussins, mais surtout l’impression de calme à l’avant sur le gaillard pour cette traversée à allure réduite.
Le petit train long du canal, les paysans sur leurs ânes, tout avait l’air de marcher au ralenti soudainement .
Quelle différence quelques années plus tard, pendant mon séjour de quatre mois sur le cargo Sindh, prisonnier de la guerre des 6 jours dans le grand lac Amer, avec une flotte de 14 navires de différentes nationalités, surnommée la Yellow Flotte par les médias, couleur du sable du désert qui recouvrait les bateaux, le jour ou le Kamsin soufflait.
J’ai gardé un bon souvenir de ces passages, j’ai traversé le canal des dizaines de fois plus tard, mais je n’ai jamais retrouvé cette impression de sérénité.
Peu de temps après mon retour en France, j’embarquai à Marseille sur un cargo des Messageries, le Donaï, à l’équipage cette fois, sur la ligne Bangkok et Saigon.