Sur la route du retour nous faisons un crochet par Windsor. L’interprète nous fait savoir que nous allons faire une halte dans cette ville pour visiter le château. Effectivement, on ne voit que lui. C’est, nous dit le guide, l’une des plus belles résidences royales au monde et le plus grand château encore habité. La région est sous la neige. Sans doute par contraste les pierres grises et humides des murs paraissent bien noires.
Ce palais me fait un peu penser à notre école des mousses avec ses façades de pierres de tailles ponctuées de tours carrées. Le guide se lance dans de savantes explications sur les illustres locataires successifs, les rois d’Angleterre, sur les sculptures et autres détails d’architecture.

Dans le parc mes yeux croisent le regard d’une jolie jeune fille brune qui me sourit, une vraie invitation à la rejoindre. Et m... pour les rois d'Angleterre, au diable ces vieilles pierres, je quitte le groupe, direction les jardins.

Un coup de klaxon intempestif me rappelle mon statut de voyageur en transit.
Bon Dieu, que le temps a passé vite, la visite est déjà finie ? Monsieur le guide, vous ne pouvez-pas faire votre visite un peu plus longue ? Einstein a-t-il connu une situation analogue lorsqu'il a développé sa théorie de la relativité ? Le chauffeur trouve le temps trop long et moi trop court.

Tout le monde a pris place dans les cars. On n'attend que moi. Devant la porte, ma dulcinée, pendue à mes lèvres ne me lâche pas. Je serais bien gougeât de la repousser. Le conducteur impatient klaxonne pour faire hâter les adieux. Tout le monde rigole. Là encore, pas le choix, faut y aller. Incredible ! me fait le chauffeur lorsque je passe devant lui. Comment as-tu fait, s’étonne-t-il, nous sommes restés ici si peu de temps !

La nuit est tombée. Il se fait tard et nous n’avons pas dîné. Un casse-croûte, même le plus petit, serait le bienvenu. L’interprète le fait savoir au chauffeur. Ce dernier promet d’essayer de nous trouver quelque chose malgré l’heure tardive. Il nous arrête bientôt devant une cafétéria. Le personnel est en train de faire le ménage. Le service est terminé. Après quelques palabres, le patron veut bien faire quelque chose pour nous. Tout ce qu’il peut nous offrir c’est des œufs sur le plat et du pain. Nous n'en demandons pas plus. C’est déjà bien aimable à lui de nous recevoir. Le cuistot a un drôle technique pour cuire ses œufs. Il les casse sur une plaque chaude. Lorsqu’ils sont saisis, avec une spatule, il les retourne et les cuit sur l’autre face. Le jaune ainsi pris en sandwich entre deux couches de blanc n’est plus visible. Restaurés, les jambes dégourdies, nous pouvons mettre le cap sur Plymouth.

Pendant notre absence il s’en est passé de belles. Il y a peu, les Mod’s, des dandys en scooter, et les Rocker’s, des motards tout de cuir vêtus, s’affrontaient sur les plages du sud de l’Angleterre. Actuellement, on assiste à l’émergence d’une nouvelle catégorie : les skin heads, des voyous au crâne rasé. Ces derniers ont agressé de nombreux marins Français ces derniers jours. Ce soir, veille de notre départ, une opération de représailles de grande envergure est prévue. Tous les matelots et quartiers-maîtres, tous les pompons rouges donc, non de service, des quatre bâtiments, se rassemblent sur le quai pour l'expédition punitive. Notre bosco s’est muni d’une pomme lance-amarre. C’est effectivement un outil intéressant pour porter des coups à distance.

William the conqueror, we are back ! Sur ses armoiries, Le NORMAND affiche les léopards normands et sur l'affut arrière est inscrit "Hasting 1066". Retour aux sources. Et puis, aux côtés du Conquérant, les Bretons étaient nombreux et ont pris une part active à la conquête de l'Angleterre. En récompense leur chef a reçu le riche fief de Richmond où l'on peut voir encore les ruines de leur château fort.
Sitôt sortis de l’arsenal nous sommes encadrés par la police locale. Comment a-t-elle été avertie de ce qui se trame ? C'est vrai qu'il faudrait être aveugle pour ne pas voir cette troupe en marche. Des voitures de police escortent notre immense colonne. Pour pigmenter le jeu, nous entrons dans des immeubles pour sortir dans l’autre rue parallèle. Quelques skins heads se laissent surprendre. Ils sont vite attrapés et roués de coups. Dès lors le message circule rapidement. On n’en verra plus aucun de la nuit. La manifestation s’éclate dans les pubs et les dancings. Les rues se révéleront parfaitement sûres cette nuit là.

Au matin, la flottille appareille. Les autorités anglaises nous font parvenir un message plein d’humour où il est question de service rendu à la police locale dans sa mission de sécurité publique.

Dernière escale à Londres avant retour et Désarmement à Brest.





Les 2 à Droite Torchard (Totoche) et Erick Hanké.




Quelques mois après mon arrivé à Lanvéoc Le Normand rejoint Le Picard et le Cassard en Brise Lame.

Ce soir nous avions un rendez-vous en ville avec le troisième mousquetaire de la bande, le chouf infirmier. Pour le moment j'ai un travail à terminer.
Le moment venu, je me présente à l'officier de garde pour sortir. Ce bohémien me met le même marché qu'à Gaby en mains. On ne la fait pas à un vieux chouf ! Je lui fais savoir que je n'estime pas mes cheveux trop longs, j'ai passé mon après-midi à bosser avec le Csd (d'où mon retard ce soir) et il n'a fait aucune allusion à mes cheveux. Mais, pour autant, dans sa fonction, c'est lui le juge. Je me soumets donc à son jugement. J'irai ce soir me faire couper les cheveux en ville et me présenterai à lui demain matin. Ah que nenni ! Vous allez vous faire couper les cheveux, vous revenez ici illico, sinon je ne vous autorise pas à sortir.
Bien lieutenant, il y a dans la vie des problèmes bien plus graves que ça. Je quitte le bord sur le champ et nous nous reverrons demain matin.
Je salue comme il se doit en franchissant la coupée et poursuit ma route sans me retourner.
A la porte Caffarelli deux flics maritimes sont plantés sur le bord du trottoir. Rien d'anormal à cela.
J'arrive à leur hauteur. Bonjour, vous êtes bien le QM1 secrétaire du Normand ? Sur mon bonnet, il est écrit Le Normand, mes galons de chouf crèvent les yeux et en se penchant un peu on peut voir mon macaron SM sur la manche. Difficile de répondre par la négative. Ouais. Et bien c'est toi qu'on attend, tu te doutes bien pourquoi.
Les gendarmes maritimes sont tout à fait cordiaux. Ils me disent que l'officier de garde n'a téléphoné qu'à cette porte, donc je peux passer par une autre, personne ne me fera de difficulté. Maintenant, tu es déjà dans de sales draps, il serait plus raisonnable que tu rentres à bord, rajoutent-ils quand même.
Je me plains d'avoir traversé l'arsenal pour rien. Le flic maritime me dit : si tu retournes à bord, pas de souci, on te ramène.
Il y a sur le bord de la route une jeep. Les deux gendarmes montent devant et moi derrière.
Nous arrivons devant la coupée du Normand. Droit comme un I, je bombe le torse tel un général sur son command-car lors du défilé sur les Champs Elysées ou un empereur romain sur son char. Manquerait plus que j'ai un air d'un vaincu. On a son amour propre quand même !
Evidemment mon retour dans un tel équipage ne passe pas inaperçu. Lorsque je franchis la coupée le factionnaire me dit que l'officier de garde l'a chargé de m'annoncer que j'étais consigné à bord jusqu'à ma présentation demain matin au commandant en second.
Je vais derechef voir l'officier de garde lui faire remarquer que je ne suis pas sorti des limites de l'enceinte militaire et qu'en conséquence je ne me reconnais pas en infraction (tout cela en termes pas très fleuris - je ne suis pas d'humeur).
Fin de l'Acte I.
J'aurai surement dû écouter le premier conseil des gendarmes maritimes, à savoir sortir par une autre porte. Cela aurait éviter un acte II bien plus chaud.
Mais comme la plus grande partie de ce nouvel épisode ne se passe pas à bord du Normand (ben oui, j'ai à nouveau franchi la coupée) peut-être le raconterai-je dans Anecdotes.