Pont Réan
A notre arrivée sous un crachin caractéristique de l’image d’ Epinal que j’ avais de la Bretagne, dans la cour de « l’incorporation », on nous fit ouvrir dans la boue nos valises afin d’y subir une inspection destinée à éliminer un certain nombre d’objets interdits (notamment couteaux) et boissons alcoolisées (qui avaient d’ ailleurs disparues en cours de voyage dans les gosiers asséchés des jeunes recrues et dans celles des accompagnateurs prévenants et intéressés qui n’avaient pas manqué de nous renseigner sur le sort qui leur était réservé à l’arrivée).
Ensuite on nous fit ôter (toujours sous le crachin et par environ 5 à 6°) nos habits (à l’exception de nos sous-vêtements et nos chaussures) prendre notre savon et notre serviette dans nos valises (je n’avais ni l’un ni l’autre !), et nous entrâmes alors dans une pièce où plusieurs « coiffeurs » (ils avaient bien 3 jours d’expérience) nous accueillirent.
En quelques minutes ce fut le choc pour la majorité d’entre nous dont la coiffure à la mode consistait au paravent à avoir les cheveux assez garnis et mi-longs.
Nous passâmes ensuite sans sortir dans une pièce contiguë ou une douzaine de pomme de douche nous attendaient.
Après nous être séchés et avoir renfilé nos symboliques oripeaux, nous reprîmes nos valises et on nous fit entrer dans une très grande pièce ou étaient emmagasiné une quantité impressionnante de vêtements.
On distribua à chacun son paquetage comprenant principalement par pair : caleçon, maillot raillé, tricot de jersey bleu marine, tenue bleu de chauffe (en toile bleu claire) qui est la tenue de travail, une tenue (Tenue N°2) de marin classique bleu marine destinée à être mise normalement pour nos sortie en ville et par temps froid, chaussettes, chaussures, etc.
Ensuite un tailleur pris nos mesures afin de nous confectionner une tenue de sortie ajustée ( Tenue N°1), destinée à être portée lors des cérémonies et défilés officiels.
Après avoir revêtu une tenue bleu de chauffe, nous emballâmes nos vêtements civils dans un colis qui fut adressé à nos parents.
NOUS ETIONS MAINTENANT DES MARINS DE LA ROYALE
Parmi cette troupe il y avait une majorité d’inscrits maritimes, c'est-à-dire pour la plupart des garçons vivant au bord de mer, presque tous marins pêcheurs embarqués depuis l’âge de 14 ans.
C’était en général des gars solides, durs à la tâche, têtus comme des mules, et bagarreurs en diable.
Le soir, dans le dortoir où nous étions environ 60 à 80, il y avait presque toujours des pugilats qui opposaient Bretons, Marseillais et Ch’timis qui s’étaient dès le début regroupés dans des coins différents.
Les autres étions pris au milieu des envois de projectiles divers, nous protégeant tant bien que mal, et surtout évitant de rallier l’un ou l’autre camp.
Quoiqu’il en soit, cela finissait toujours par une séance commune de « marche en canard » que nous imposaient dans la nuit gelée et souvent mouillée, les Shakos.
Je garantis que très vite les esprits se calmaient (jusqu’au lendemain).
Il faut que j’explique :
Les shakos sont dans la marine les éléments chargés de faire respecter la discipline au sein de l’unité.
Aguerris au combat d’homme à homme ils sont assez redoutables et on y regarde à deux fois avant de leur résister.
La marche en canard consiste à parcourir accroupi, fusil porté en l’air à bout de bras une certaine distance imposée par un gradé (au bout de 50m on est déjà mort !).
Après deux semaines passées à « l’incorporation » où on nous a enseigné un minimum de connaissances militaires (tir au fusil – 8 balles en tout et pour tout-, lancer de grenade offensive contenant du plâtre, visualisation de scènes militaires au cinéma, sport …) j’ai, avec une quarantaine de mes compagnons, alors été affecté à une compagnie commandée par un Premier Maître aidé de deux Second Maîtres, « La Suffren » du nom du célèbre Bailli qui participa à la guerre d’indépendance des Etats-Unis dans une partie du camp qui se trouvait en contrebas.
Il faut préciser que nous étions dans les installations un peu améliorées, d’un ancien camp créé après la guerre pour les prisonniers Allemands.
Aussi les dortoirs étaient des plus sommaires, avec des planchers et des parois aux lattes de bois mal jointes, laissant passer des courants d’air froids, que nous essayons de contrarier par l’entretien d’un feu dans un poêle placé au centre de la pièce, malgré l’interdiction formelle qui nous était faite. Comme nous devions assurer obligatoirement la nuit un tour de garde, cela ne nous posait pas de problème.
Le matin, la toilette se faisait à l’extrémité du dortoir, dans une partie non séparée où une rampe de robinets alimentés en eau glacée était généreusement à notre disposition.
La douche ça n’étais pas tous les jours, mais une fois par semaine, et heureusement car on se gelait.
Une source de stupeur fut la découverte dès le premier soir des toilettes. Dans un baraquement à proximité, une quarantaines de latrines à la turc alignées sur deux rangées et sans porte pour s’isoler.
Au début cela surprend, pus par la suite on s’habitue et l’on va faire ses besoins dans le plus grand détachement.
Durant cette période on pratiqua du matelotage ( Connaissance des grades,apprentissage de la vie à bord des bateaux- règles de sécurité, règles de discipline, termes marins, apprentissage des noeuds, courses de baleinières à souquer ferme sur le fleuve local « la Vilaine »), des sports divers, et surtout on nous fit des vaccins qui rendaient presque tout le monde malade pendant plusieurs jours, et qui nous rendaient la vie douloureuse lorsqu’il fallait enfiler les vareuses des Tenues 1 et 2, bien plus serrées que celles des Bleus de chauffe.
On nous appris la chanson de la compagnie « Fleur d’épine, Fleur de Rose » que l’on devait brailler chaque fois que nous marchions au pas, et si d’aventure on croisait une autre compagnie nous devions essayer de couvrir leurs voix.
Au bout d’un peu plus de 5 semaines passées dans cette compagnie, il y avait le test d’évaluation des connaissances afin de nous orienter vers une spécialité en harmonie avec notre qualification.
Ayant un niveau secondaire correct, j’eus droit d’exprimer un choix parmi les nombreuses possibilités offertes.