Un étrange massage
A la page 4 de ce post, je vous ai présenté Monsieur Makario Teaka Pou, prononcez : Po-ou, un genre de chef de famille qu’il aurait été à Reao dans l’ancien temps, et qui était de notre maison, de notre famille : les marins ; puisque lui avait fait une vingtaine d’années de marine.
Retraité, il habitait à Tahiti et il venait environ une fois l’an à Reao, où il réglait des affaires de familles et probablement encaisser l’argent que lui rapportait le coprah fourni par ses cocotiers.
Ne croyez surtout pas que les Reao s’enrichissaient en 1967 avec l’argent rapporté par les cocotiers. Il y a beaucoup de propriétaires fonciers pour une surface non extensible. Si l’on plante les cocotiers à 8 mètres les uns des autres, chaque arbre dispose de 64 mètres carrés, soit 10 000 / 64, ce qui fait 156 à l'hectare ; il est difficile d’en mettre davantage, ils seraient trop serrés.
Je pense qu’un cocotier donne environ quinze kilos de coprah par an.
En juin 1967, le coprah était payé 11 francs CFP le kilo, cela ne veut plus rien dire maintenant mais c’était un bon prix. La cause en est probablement parce que l’huile de coprah servait à la fabrication du napalm, ce que l’on ne sait guère, et la guerre du Viet Nam, pas la nôtre, celle des américains, faisait rage. Il y avait donc une forte demande de cette huile.
J’ai même lu quelque part que le coprah des Tuamotu était le meilleur pour la composition et la fabrique de cette mixture inflammable et hautement destructive.
Mais revenons donc à notre ami Pou ; le pauvre homme était perclus d’arthrose, bien que pas très âgé, puisqu’il il n’avait que 54 ans en 1967. J’ignore si à l’accoutumée, il prenait des pilules ou autres produits anti-inflammatoires, mais ici il se faisait faire des massages par deux femmes à peu près de son âge avec une pommade presque liquide fabriquée localement avec l’huile fournie par les amandes des noix mûres exposées au soleil afin « qu’elles rendent leur jus ».
Un jour que nous discutions tous deux, voici qu’arrive une jeune fille de 18 ans environ qui lui dit ainsi : je viens faire ton massage Pou. Je croyais qu’elle allait le frictionner avec les onguents qui étaient là, disposés sur la table, mais non, ce n’était pas cela ; la demoiselle était une « spécialiste ».
Notre infirmière, que nous appellerons Teretia, Thérèse, bien que jeune, était un peu tahuga, sorcière, sans doute. Avait-elle pris ses cours chez Viri, le sorcier en titre de Reao, je ne le sais pas du tout, mais lui, d’après cette demoiselle était un vrai etene, un sauvage, car il mangeait des crabes de terre ; il était le seul à en consommer sur cette île. Moi qui l’ai connu je ne sais pas s’il les mangeait mais je sais qu’il confectionnait des drogues avec ces bêtes ; autour de son faré, nombreuses étaient les carapaces vides dans lesquelles ses chiens fouinaient sans arrêt.
Allez Pou, on y va, lui dit la demoiselle.
Et Pou, après avoir rajusté le paréo autour de son torse, obéissant à l’ordre, se met en position pour le massage, c’est à dire allongé, à plat ventre sur le sol.
Teretia n’a rien en main, ni pommade ni onguent quelconque, et apparemment elle n’a rien apporté avec elle.
Elle le regarde faire et puis, comme elle est venue en samara, elle se met les pieds nus. La voilà donc en tenue de travail.
Et puis, m’ayant demandé d’approcher d’elle, prenant appui sur l’une de mes épaules, elle monte sur le torse du patient, avec précaution. Là, notre sorcière occasionnelle qui doit, vu sa corpulence peser environ 60 bons kilos commence à se déplacer sur le dos de Pou. A petits pas, mais bien appuyés, elle se déplace depuis la ceinture du patient jusqu’aux omoplates où elle piétine avant de redescendre vers la ceinture ; après quoi elle reprend le mouvement identique mais de l’autre côté du torse. On entend le cartilage craquer sous le piétinement de la jeune fille.
Cela à l’air d’apporter du bien être à notre rhumatisant, principalement lorsque Teretia arrive au niveau de ses omoplates ; il signale cet avantage par des maitai, maitai ! Bien, très bien ! montrant ainsi qu’elle lui atténue ses maux quotidiens.
Cet étonnant massage durera environ cinq à sept minutes. Bien entendu, il ne peut pas guérir de l’arthrose, mais cela lui apporte probablement quelque soulagement.
Je le verrai faire plusieurs autres fois, toujours à Reao, jamais ailleurs.
Quelqu’un parmi les anciens en aurait-il connaissance ? Aux Gambier, par exemple, d’où sont originaires les Reao. Tataio, Jean-Claude ?
Malheureusement, je n’ai pas de photo.
André Pilon
Dernière édition par PILON le Sam 14 Juin 2008 - 23:01, édité 4 fois